Cet extrait est tiré du site BlizzardWatch.
Traduction (non officielle)
« Quel trou » siffla Sira Gardelune en extirpant son pied qui se libéra de la boue avec un bruit de succion. « Heureusement que cette position n’est que temporaire ».
A côté d’elle, Nathanos se tenait droit comme un i, ignorant le nuage de mouches qui s’assemblait ostensiblement autour de sa tête. Il portait souvent une eau de Cologne légère afin d’atténuer leur odeur d’êtres ni vivants ni morts. Beaucoup trouvaient troublante leur absence complète d’odorat. Sira elle-même s’y habituait tout juste. Elle ne supporta pas les insectes aussi gracieusement que Nathanos et tenta de les repousser de la main alors qu’ils se rassemblaient en essaims de plus en plus denses.
« Où sont-ils ? » ajouta Sira, contrariée. « Patience, Gardienne. Patience ».
Elle en avait peu dans ses bons jours, et encore moins quand elle était obligée de rester dans un marécage avec de la boue pourrissante jusqu’au genoux. La Raine-Mare lui rappelait douloureusement son statut de morte-vivante. Ici, la vie vibrait tout autour d’elle, des arbres humides drapés de rideaux de mousse verte au cliquetis des crabes qui se se promenaient le long de la côte derrière eux, et jusqu’au chœur assourdissant des grenouilles et insectes qui empêchaient de réfléchir en paix.
La vie. Elle était partout dans cet endroit. Une vie insolente, audacieuse. Pas un centimètre qui ne soit pas couvert de lianes, de nids ou de mares turbides. Derrière les arbres en face d’elle, un troupeau de potamodontes grognait et soufflait : les basses d’un orchestre vibrant de pépiements, de chants d’oiseaux et de coassements.
En un mot, c’était révoltant.
« Nous allons être dévorés vivants » souffla-t-elle. Le temps de finir sa phrase, elle avait écrasé une douzaine d’insectes.
« Là-bas ». Nathanos pointa les arbres derrière lesquels se trouvaient les potamodontes. De longues bandes de mousse humide donnaient une sensation de claustrophobie sur cette plage. Postées autour pour monter la garde, quatre sombres forestières supportaient avec abnégation les piqûres des insectes et la puanteur du marais.
« Vous les voyez ? » demanda-t-il. Sira plissa les yeux.
« Lorsqu’ils se déplacent, ils ne sont que des ombres dans la forêt ; et en tant que telles ils continueront à nous être très utiles ».
Elle remarqua du mouvement parmi les grandes racines émergeant à la base des arbres. Des trolls étaient en train de se frayer un chemin jusqu’à eux. Habilement maquillés de boue, ils étaient quasiment invisible dans le fouillis de feuillages et de branches du marécage. Sira ne contesterait pas leur utilité – ils avaient déjà dû transporter la Complainte de la Banshee pour la sortir de la pleine mer et ainsi éviter les terribles tempêtes qui battaient les côtes.
« Ils peuvent sortir de l’ombre » dit-elle d’un ton brusque. « Ce sont eux qui ont demandé cette entrevue ».
« Il se trouve que je suis d’accord ». Avec un sourire suffisant, Nathanos porta les doigts à sa bouche pour siffler, signifiant ainsi aux rebelles zandalari qu’il avait remarqué leur présence. Ils se redressèrent un par un, et parmi eux la meneuse qui avançait lentement vers leur position en boitant de façon prononcée. D’une certaine manière, Sira appréciait la sorcière, Apari, car elles avaient toutes deux été trahies par l’unique chose qui avait toujours défini leurs vies.
Pour Sira c’était sa vénération envers la déesse, Elune. Pour Apari, sa loyauté envers la couronne zandalari.
Malgré le handicap de sa blessure, Apari progressait avec aisance dans le marécage. Ils se retrouvèrent dans une clairière non loin de la plage. Le chef de la Morsure de la Veuve arrivait avec sa tique de compagnie rondelette sur l’épaule, un entourage réduit d’une douzaine de gardes, et son lieutenant omniprésent, une grande trollesse brune nommée Tayo.
Pour dissimuler son identité, certaines mèches de la chevelure blanche d’Apari avaient été colorées à la boue. Aucun des trolls ne portait les caractéristiques tuniques blanches et noires des insurgés mais plutôt des haillons impersonnels avec quelques morceaux d’armure.
Seuls Apari et son garde du corps Tayo s’avancèrent pour leur parler. La sorcière reposa son poids sur sa bonne jambe et porta la main à son cœur. « Salutations, cavalier pâle ».
« Finalement » répondit rapidement Nathanos. « J’ai conscience que cela ait été difficile étant données vos limites, mais la prochaine fois j’escompte de la promptitude ».
Les yeux de la trollesse lancèrent des éclairs. « Je n’ai aucune limite qui doive te préoccuper, cavalier pâle ».
« Très bien. Au moins vous avez compris que nous avons besoin de discrétion. Nous ne pouvons nous risquer plus loin dans l’intérieur des terres. Si des loyalistes zandalari nous voient, nos plans tomberaient à l’eau ».
La sorcière eut un mouvement d’impatience. « Vous avez apporté notre dû ? »
« Vous n’êtes pas vraiment en position d’émettre des exigences » cracha Nathanos. « Mais j’ai hâte de quitter ce marais ».
Il pivota et fit signe à la forestière Visrynn de s’avancer. La forestière aux cheveux sombres apporta un petit coffre ouvragé et le posa silencieusement par terre entre les trolls et le Flétrisseur. Sur le navire, Sira les avait vus préparer le paiement, un assortiment de gemmes, de bijoux, de colliers admirablement travaillés, de petits flacons remplis de spiritueux rares, et de dagues. Etant donnée la forte diminution de leurs ressources, Sira avait trouvé cela un peu excessif mais Nathanos avait clairement expliqué que c’était le prix d’une mission réussie.
« Bientôt » lui avait-il assuré à bord de la Complainte de la Banshee moins d’une heure auparavant, « là où nous irons, aucune de ces broutilles n’aura d’importance ».
Sira tapa dans un autre essaim d’insectes qui bourdonnaient autour de sa tête, tout en regardant le garde du corps de la sorcière qui s’agenouillait avant d’ouvrir le coffre d’un doigt. Aucun sourire. Aucun remerciement pour leur générosité. Absolument aucune réaction. Bouillant intérieurement, Sira regarda Nathanos qui ne révélait rien de plus que la trollesse brune.
« Ce n’est pas ce que je veux ». Apari secoua la tête avec un ricanement. « Ce n’est pas ce que nous avions convenu ».
En s’éclaircissant la gorge, Nathanos fit calmement signe à Visrynn de revenir, ce qu’elle fit. Avec une égale sérénité, elle reprit le coffre et retourna auprès de ses sœurs derrière eux.
« Outrageant », murmura Sira. Elle n’aurait peut-être pas dû. Immédiatement, la sorcière fixa ses perçants yeux turquoise sur elle. Un instant plus tard, Sira eut l’impression qu’un millier d’araignées grouillait le long de son dos. Elle eut un frisson mais refusa de détourner le regard. Ce n’est qu’un tour de sorcière, se persuada-t-elle, rien de plus.
« Voyons, voyons » intervint Nathanos. « C’est un simple malentendu. Que voulez-vous de nous ? ».
Apari eut un large sourire, montrant une rangée de dents jaunies taillées en pointes, aux extrémités ternies par les spiritueux infects que les zandalari distillaient dans des cuves noircies. Elle s’avança en clopinant, regardant Nathanos de la tête aux pieds comme s’il constituait une pièce de viande de choix. Quelle que soit la suite, Sira songea qu’elle ne plairait pas au mort-vivant.
« Votre émissaire disait que vous vouliez tuer un loa ». Apari hocha la tête. Ses yeux s’allumèrent : cette idée lui plaisait clairement. « Vous voulez tuer Bwonsamdi mais vous ne pouvez pas, pas sans nous. Ce n’est pas facile, ce que vous demandez. Il doit d’abord être affaibli. Les croyants et les offrandes le rendent fort, mais sans fidèles il est vulnérable. Ses autels sont protégés par une magie puissante, le tribut dont j’ai besoin dissipera cette magie ».
Atteignant finalement un degré d’impatience visible, Nathanos la pressa. « Continuez ».
« Cela va requérir quelque chose de précieux » continua-t-elle. Pointant Visrynn et le coffre, elle agita les mains et haussa les épaules. « Cela peut être précieux pour certaines personnes, mais pas pour vous. Vous devez donner quelque chose de douloureux, quelque chose d’irremplaçable ».
« Ce que nous offrons devrait être amplement suffisant » Nathanos restait ferme. « Vous n’êtes pas en position de marchander ».
La sorcière était d’une audace stupéfiante, Sira lui reconnaissait au moins cela. Avec un soupir théâtral, la trollesse se retourna en s’appuyant sur sa bonne jambe, refusant l’aide de son garde du corps en rassemblant les membres de la Morsure de la Veuve. Un instant, Sira pensa que ce n’était que du bluff. Mais non, les trolls se regroupèrent et, lentement, se fondirent à nouveau dans l’épaisse végétation du marais.
« Un instant ».
Les trolls s’arrêtèrent, observant leur chef. Apari attendit, se contentant de lancer un regard au-dessus de son épaule droite. Avant que Nathanos ne plie et se soumette à leurs exigences, Sira lui prit le coude, baissant la voix en penchant la tête vers lui. « Attendez ... »
Mais il sortait déjà une chaîne de sous son épaisse vers noire, un insigne vert et or usé par le temps était accroché à la chaîne ternie. Un insigne d’officier ? Le souvenir d’une guerre oubliée depuis longtemps ? Sira ne saurait le dire. Nathanos et Sylvanas avait jadis servi Lune-d’Argent. Tacticien hors pair, il avait été élevé au rang de seigneur forestier parmi les pérégrins, un exploit qu’aucun autre humain n’avait réussi à accomplir. La Dame Noire elle-même lui avait octroyé ce poste prestigieux, les sombres forestiers qui servaient Sylvanas avaient relaté l’histoire de nombreuses fois lorsqu’ils étaient en mer. Celle-ci semblait être particulièrement appréciée. Cet insigne en était-il la preuve tangible ? Alors que les yeux de Nathanos brillaient perpétuellement d’un vif éclat rouge, Sira vit celui-ci faiblir un instant, s’estompant comme l’avait fait celui de la relique gravée. « Que faites-vous ? » murmura Sira. « Nous ne pouvons accéder à toutes leurs exigences et obéir tels des chiens bien dressés. Ils considéreront que vous êtes faible ».
A ces mots, Nathanos fit une moue, les yeux désormais aussi brillants et brûlants que son intense rage. Il sembla se reprendre, respirant profondément. Sa force, semblait-il, n’était pas à remettre en question. Sira faillit reculer, mais il repoussa simplement ses cheveux de son front, tandis que son regard incendiait la gardienne de cette fureur intense.
« Vous apprendrez l’utilité du silence, ou je vous l’apprendrais moi-même ». Cela sembla satisfaire sa rage. Lorsqu’il la regarda à nouveau, ce fut comme si elle n’était rien de plus qu’une pustule sur son pied : quelque chose à laquelle il répugnait de devoir accorder son attention, mais sans en avoir le choix.
Sira se contint dans un silence indigné alors qu’il tirait et cassait la chaîne autour de son cou avant de couvrir la distance qui le séparait de la trollesse. Il tendit l’insigne pour qu’elle le prenne. Apari souffrait peut-être d’une sérieuse blessure, mais à ce moment-là elle réagit prestement. En un clin d’œil, son bras était prêt à saisir le collier tenu par Nathanos. Cependant, il y était préparé et lui attrapa vivement la main avant qu’elle puisse prendre son paiement.
« Ceci n’est pas un simple bibelot, sorcière. Si vous échouez à détruire les autels du loa comme promis, les conséquences seront graves. Vous avez peut-être réussi à faire apparaître quelques nuages au large des côtes, mais un paiement de cette valeur exige des résultats ».