À Seattle, nous avons pu parler avec le Directeur Général de Bungie dans son milieu naturel : les locaux, où l'équipe travaille sur Destiny 2 au quotidien.
Pete Parsons a pris ses fonctions en 2002. Il a donc vécu la plus grande partie des étapes d’évolution de la société : création des univers de Halo et Destiny, séparation de Microsoft puis d’Activision… il nous a parlé de cette séparation, mais aussi d’autres sujets pendant une demi-heure très instructive ! Voici l’interview.
Lennard (Pays-Bas) : Bonjour. Est-ce vrai que l'équipe joue beaucoup à Destiny 2 en-dehors du travail ?
Pete Parsons : Bonjour ! C’est drôle oui, car je vis cette expérience géniale où Destiny est mon travail, mais aussi mon jeu préféré. Donc j’arrive au travail tous les jours autour de toutes ces personnes talentueuses, puis je reviens chez moi et je joue à mon jeu préféré, qui s’avère être celui sur lequel je travaille. Bien sûr, j’ai ma femme et mes enfants, on fait des choses ensemble, mais ce jeu est aussi un hobby qui occupe mon quotidien. J’adore mon équipe chez Bungie, et j’adore la communauté que notre jeu rassemble. Ces gens font partie des plus adorables et généreux que je connaisse... ce sont aussi des gens qui m’ont carry sur les parties difficiles du jeu !
Millenium : Il y a eu beaucoup de controverses sur le rythme de travail des employés dans le jeu vidéo : crunch, burnouts… comment empêchez-vous ce genre de problèmes ?
Nous pensons beaucoup à cette problématique depuis la sortie de Halo 2 [Bungie avait fait l’objet de controverses pour les conditions de travail], cela fait 15 ans que nous travaillons sur le sujet. Je pense que nous ne sommes pas parfaits, créer un jeu vidéo est quelque chose de difficile. Ça l’est encore plus aujourd’hui, avec un jeu comme Destiny 2 où il faut constamment communiquer, faire des mises à jour, l'améliorer… c’est un marathon. Ce n’est pas un sprint pour le sortir rapidement, puisque sa sortie est le début et non la fin !
Nous avons passé beaucoup de temps à adapter la manière de créer un jeu, le calendrier de production… ça reste une industrie difficile et on doit beaucoup travailler, mais notre objectif est de s’assurer que peu importe qui tu es et d’où tu viens, tu dois pouvoir venir à Bungie et savoir que tu pourras travailler dans les meilleures conditions possibles. On y arrive bien, mais on a aussi encore un long chemin à parcourir.
Francesco (Italie) : C’est aussi contre-productif puisque des employés qui travaillent trop et qui sont trop stressés travaillent moins bien que d’autres, non ?
En fait, ce que l’on ne veut vraiment pas, ce sont des heures de travail qui ne peuvent décemment pas être tenues, et une équipe stressée. Par exemple, le feedback de la communauté peut être quelque chose de très stressant. Et quand on le lit avec l’équipe, on essaie de comprendre ce que ça signifie réellement. Beaucoup de gens aiment se plaindre de Destiny, mais ce qu’on dit à l’équipe, c’est que quand quelqu’un se plaint, c’est qu’il tient à ce que le jeu devienne meilleur, car il aime le jeu.
Je joue à plein de jeux différents. Pour beaucoup, je finis par les mettre de côté et les oublier. Mais Destiny n’est pas l’un de ces jeux pour cette communauté. Donc si on replace leurs commentaires dans ce contexte : que ces personnes y jouent beaucoup, tiennent aux amitiés qu’ils ont formées dans le jeu... qu’est-ce que l’équipe peut en apprendre ? Je pense que cette façon de penser a beaucoup aidé sur le long-terme car Destiny peut déchaîner les passions. Quand on fait une erreur, on essaie d’avoir une discussion transparente avec la communauté. Je pense et j’espère qu’on s’est bien améliorés sur ce point aussi !
Fran (Espagne) : Maintenant que vous vous êtes séparés d’Activision, comment allez vous opérer en indépendants ?
C’est une très bonne question ! Activision a été un très bon partenaire pour nous, ils nous ont aidés à construire l’univers génial qu’est celui de Destiny. Et en se tournant vers l’avenir, continuer en indépendants est aussi une perspective excitante. Il y a du travail à faire, comme le fait de construire la version de l’éditeur que l’on veut devenir, et je pense qu’on y arrive bien en ayant recruté les bonnes personnes. J’ai de l’espoir sur la direction que l’on prend et j’espère que vous vous en rendrez compte avec Shadowkeep, New Light et le reste. Ce qu’on a fait jusqu’ici, c’est surtout de prendre le chemin que l’on voyait pour Destiny, ce qui est centré sur un monde évolutif et continu. Et pour faire cela, nous avons dû dire au revoir à Activision.
On a abattu beaucoup de travail ces derniers mois. On a non seulement bâti une nouvelle structure d’éditeur, mais nous sortons aussi Shadowkeep, New Light, nous passons de BattleNet à Steam, sur Google Stadia… je pense que ce sont des pas de géants pour construire un univers qui est celui que les fans veulent voir. Je me rends compte que ça fait une longue liste !
Sven (Allemagne) : Allez-vous rester indépendants sur le long-terme ou chercherez-vous un nouvel éditeur ?
Notre volonté est de rester indépendants, définitivement. Mais nous avons aussi de nombreux partenaires, comme Stadia et NetEase. On ne sait pas ce que l’avenir nous réserve, mais pour l’instant, nous n’avons aucune envie de quitter notre indépendance. Que ce soit pour Destiny ou d’autres jeux !
Lennard (Pays-Bas) : On a l’impression que Destiny gagne en qualité depuis cette séparation. Est-ce que vous diriez qu’Activision vous limitait, d’une certaine façon ?
Il ne faut pas oublier que nous étions liés à Activision depuis 2010. Depuis, le marché a beaucoup changé. Ce sont des gens géniaux dans une bonne société et ensemble, nous avons construit quelque chose d’extraordinaire. Mais nous nous sommes rendus compte que nos chemins se sont progressivement séparés Donc ce que vous voyez aujourd’hui, c’est nous qui commençons tout juste à comprendre l'avenir qu'on veut donner à Destiny.
C’est aussi vrai pour ce qui concerne Bungie. On veut se concentrer sur le fait de limiter les crunches et poursuivre la construction d’une équipe qui pourra créer le meilleur divertissement qui soit, que ce soit Destiny ou autre chose.
Lennard (Pays-Bas) : On imagine que vous allez chercher plus de partenaires. À quoi peut-on s’attendre à l’avenir ?
Je ne peux pas dire grand-chose, en tant que société indépendante, nous avons toujours cherché des partenaires pour nous aider à nous agrandir. On travaille avec diverses banques d’investissement, et on a noué un partenariat avec NetEase, qui est implantée en Chine. Certains d'entre eux travaillent même dans nos locaux, non pas pour des projets spécifiques, mais pour aider à améliorer le monde de Destiny. Ils ont une approche intéressante sur la création de jeux et sur leur business model. Il y a aussi le marché chinois qui est intéressant –nous n’avons rien à annoncer là-dessus. Mais sur le long-terme, c’est un partenaire avec qui on se voit encore travailler.
Sven (Allemagne) : Destiny 2 arrivera-t-il sur la prochaine génération de consoles ?
Je n’annoncerai rien, mais ce qui est génial chez Bungie, c’est qu’on s'engage très tôt sur les plateformes. On a des équipes qui travaillent sur des choses intéressantes… mais je ne peux rien dire.
Fran (Espagne) : Accordez-vous de l’importance aux éditions physiques ? Shadowkeep ne peut qu'être acheté en digital.
Notre focus est beaucoup porté sur le digital, puisque Destiny a été une sorte de pionnier en la matière. Le choix du digital est celui qui nous permet de tirer un maximum de l’univers de Destiny par rapport au temps dont on dispose.
Lennard (Pays-Bas) : Comment voyez-vous Destiny et Bungie dans 10 ans ?
C’est une très bonne question ! Wow. Pour Bungie, nous en sommes à notre 29e année et quand je pense à l’avenir, je sais qu’on admire les équipes de Disney, Pixar… Je me demande comment en faire le meilleur endroit possible où les meilleurs peuvent venir pour faire de leur mieux. Je vieillis après tout, et je commence à penser à l’héritage que je vais laisser derrière moi. C’est vraiment à ça que je pense le plus.
Et pour Destiny, je pense que l’une des choses qu’on a réussi à faire et que fait aussi Pixar, est d’avoir créé un univers qui inspire les gens, que ce soit pour Destiny ou même Halo. Donc, dans 10 ans, j’aimerais que Destiny soit encore cet endroit où les gens veulent aller. Et j’espère qu’il y aura aussi d’autres jeux qui deviendront ces lieux, parce que ça fait aussi partie de notre avenir. Et d’ailleurs, la seule façon de faire ça est de ramener des personnes de pays différents, qui ont une vie différente, des talents qui sont variés. Et quand je regarde les talents qu’on a au bureau, qui apportent tous un nouveau regard, je sais que c’est ce qui nous permet de créer ces univers.
Mais vraiment, ce que je trouve génial et inspirant au quotidien, c’est le fait que le jeu réunisse une communauté. À un moment, le jeu devient même un prétexte pour que les gens se retrouvent et discutent. Que ce soit parler de sport, de leurs hobbies, ou de la maladie ou la souffrance qu’ils ont, ils peuvent même discuter de se marier… tous ces sujets de la vie. Et je ne peux pas vous dire à quel point c’est gratifiant de se rendre compte de ça.
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