Sans schéma, juste avec des mouvements de la main, TheVic arrive à reproduire une bonne année et demi de montagnes russes sur Fortnite. Il faut juste un peu de souplesse dans le poignet.
« Je monte énormément jusqu'au Skirmish, en août l'année dernière. Après mon niveau baisse un peu : DreamHack Séville, on fait un résultat moyen. Je remonte parce que je joue beaucoup jusqu'aux IEM, puis je redescends encore juste après. Et là, ça remonte ».
Les Summer Skirmish Series propulsent Victor « TheVic » Lopez tout en haut du grand huit. C'était sous les couleurs de Gentside, il y a un an. Il assume avoir été, à ce moment là, l'un des tous meilleurs joueurs de Fortnite en France. Huit semaines de compétition où il s'accomplit sans voir les bosses sur le circuit, au loin : Top 4 en Semaine 2, Top 2 en Semaine 4 et puis un beau parcours en duo complice avec Skyyart le mettent sur les rails. Derrière, c'est la première pente.
« Si on regarde bien, la DreamHack Séville, c'est exactement le même scénario que la World Cup. Vu que c'est une petite DH, personne n'en a parlé. Mais j'ai fait Top 17. En duo, c'est pas fou du tout. Vraiment, j'étais inexistant. Exactement comme au début des qualifs de la World Cup. Vu que c'était une petite LAN, tout le monde s'en foutait surtout qu'on avait fait une bonne perf' au Winter Royale, juste avant ».
Tout juste floqué LeStream Esport, bientôt parisien et occupant d'une belle gaming house, Vic' ne fait pas forcément attention aux avertissements. Un peu comme lorsqu'on ferme les yeux dans les virages, les bras levés. En somme, tout roule jusqu'à Katowice. Quelques jours avant les IEM, il atteint avec Blax, son duo, la troisième place de la Lyon Esport 2019. En Pologne, les deux joueurs LeStream font Top 13 et TheVic arrache un Top 10 remarquable en solo. Il s'invite sur le toit de l'Europe. Baigné dans la lumière, tout juste dans l'ombre de son frère d'armes, Skite — Top 1 Lyon Esport et Top 5 aux IEM —, TheVic veut profiter pleinement de ses dix-sept ans.
Sur le quai de la World Cup
Il était privilégié, assis à la table de Gotaga, Kinstaar et Mickalow lors de l'Invitational de la TwitchCon, en Californie. Ces derniers temps, c'est davantage les bancs de la fac qu'il voyait comme issue de secours. Car le looping de la World Cup, TheVic l'a vu venir de loin et l'a surtout passé la tête en bas. Seul joueur de LeStream Esport à ne pas être du voyage à New-York fin juillet, Vic' est passé, en l'espace de dix semaines de qualifications, des éloges des reditteurs à la petite voix du doute.
« Troisième, quatrième semaine, j'étais vraiment mal. Je venais de me rendre compte que ça allait être très compliqué. J'étais déjà, mentalement, préparé au pire, bien avant la fin des qualifs. Je commençais aussi à me poser des questions : "Est-ce que j'ai encore le niveau ?" Surtout qu'on est jeune, on a pas beaucoup d'expérience. À 17 ans, c'est dur ».
C'est au retour des IEM, un mois et demi plus tôt, que tout a commencé à bouger. L'après Katowice l'entraîne ailleurs. TheVic a d'autres activités. À Lyon, c'est déjà une nouvelle vie et de nouvelles rencontres, avec le sentiment d'être enfin à sa place. Il sort beaucoup plus qu'avant, comparé à l'époque où il suivait encore ses cours et où des problèmes de santé le clouaient sur Fortnite le soir. Il veut streamer davantage. Il soigne son YouTube. Il découvre aussi Instagram et la popularité de la plateforme auprès de son public. Il se prend aux vlogs, qu'il tourne à droite à gauche avec beaucoup de succès.
Alors, même avec toute la bonne volonté du monde, c'est sa préparation à la World Cup qui trinque.
« Vu que je ne mettais pas la bonne intensité dans le jeu, comme je le fais aujourd'hui, ça ne marchait pas. J'étais pas forcément motivé et vu que je venais de faire que des bonnes perfs', j'étais pas inquiet. Parce que j'ai toujours été habitué à participer aux gros événements ».
La vraie redescente arrive très vite. Blax, avec qui il dispute toutes les compétitions depuis le début de l'année, veut changer d'équipier dès la troisième semaine. Il ne croit plus dans les chances du duo de se qualifier pour New-York. TheVic déraille.
« On avait fait une perf' moyenne et il avait peur de rater sa qualification. Il a vu que Nayte venait de se qualifier, qu'il était chaud, et Il y a vu une bonne opportunité. Il voulait absolument y aller, comme tout le monde. Le pire, c'est que ça arrive juste après la troisième semaine de qualifs et que je m'étais déjà bien remis en question. On commençait à comprendre nos problèmes et ça allait déjà mieux. Je pense que si on avait continué ensemble, on aurait eu une grande chance de se qualifier ».
Avec Blax, TheVic venait de signer ironiquement un Top 5 encourageant au Warmup de la World Cup, un tournoi d'échauffement, tout juste deux semaines avant l'ouverture des qualifications.
« Je comprends pourquoi il a fait ce choix. J'arrive à me mettre à sa place. On en a parlé il y a quelques temps et même lui a reconnu que c'était un choix difficile. Sur le moment, avec la pression de la World Cup, il a trouvé ça juste de le faire parce qu'il avait peur de ne pas se qualifier. Mais avec du recul, on aurait pas dû le faire. Au final, il est allé avec Nayte et ça s'est pas super bien passé. Je pense qu'on aurait pu se qualifier. Ça serait passé à un moment ou à un autre. Notre duo marchait bien vu qu'on jouait depuis longtemps tous les deux et qu'on s'entendait bien.
Le truc que j'ai eu du mal à encaisser, c'est qu'il y a eu une période où lui était un peu en-dessous. Je le motivais, je l'ai pas lâché à ce moment là. Donc le fait qu'il me lâche au seul moment où je commence à sous-perf', j'ai été un peu déçu. C'est pour ça qu'avec le recul d'aujourd'hui et toute cette pression autour de la World Cup, je peux comprendre qu'il ait fait son choix rapidement ».
TheVic reforme avec Madzen le duo des débuts jusqu'à la dernière semaine de qualification, sans trouver de Top 10 salvateur sur la route pour rallier les États-Unis. Depuis Gentside, ils avaient toujours l'habitude de jouer ensemble. Duo avec Mad' a été un déclic, le retour aux sources dont TheVic avait besoin. Avec lui, il reprend certaines bases et revoit toute sa méthode. Quand il regarde ses dernières semaines de compétition par rapport aux premières, c'est incomparable.
Lyon - Paris
Généralement, il déprime le temps de quelques heures après les jours de Cup. Il regarde les rounds depuis la capitale, non loin de la Défense, où il habite maintenant avec son équipe. Sauf qu'il n'y a personne, c'est une sensation étrange. Comme si le monde entier était là-bas, sauf lui. TheVic dégrise.
« Si je me qualifiais, c'est que j'avais eu de la chance. L'erreur que j'ai faite m'a appris des choses, mais j'aurais quand même eu de la chance d'un autre côté. Au final, je ne me qualifie pas, je perds beaucoup d'argent, beaucoup de hype, tout ce que tu veux... C'est pas le niveau que j'aurais voulu montrer dans tous les cas ».
Il y a le soutien de sa communauté pour le réconforter, au milieu d'un florilège de reproches. TheVic concentre beaucoup de critiques. Il se met en retrait et laisse tomber les lives et YouTube, alors que c'est quelque chose qui compte. Il s'est épanoui à travers le prisme du streaming. C'était — déjà à l'époque de ses treize ans quand il diffusait du Minecraft —, la clef pour un mec un peu taciturne de converser et controverser. Ce n'est pas vraiment le genre de la maison de monter en épingle le "drama" de la World Cup.
« J'ai laissé parler. J'ai lâché Twitter. J'étais presque déco de tout, je répondais plus aux gens. J'avais besoin de me focus sur moi-même pour me retrouver et ne pas prendre toute la haine. Quand la World Cup est passée, j'ai commencé à revenir sur les réseaux. Au fur et à mesure, les gens ont compris ».
Il tourne même une vidéo pour s'expliquer et renoue avec la communauté. Sa popularité renaît comme par magie sur les réseaux et il a parfois l'impression qu'on se bouscule de plus en plus sur ses streams. Presque en vieux sage, TheVic met ça sur le dos de sa prise de conscience. À ses mots, la World Cup était une étape.
« Je me plaignais beaucoup et je ne comprenais pas ce qu'il se passait. Quand tu regardes le début de la World Cup par rapport à maintenant, il y a une vraie différence. Je disais "j'ai été unlucky", des trucs comme ça. C'était pour mon ego. Se dire ça te rassure. Il y a beaucoup de gens qui suivent des joueurs pros et qui sont frustrés de les voir se plaindre tout le temps. Un joueur pro qui dit vraiment les choses, c'est limite rare. J'ai une personnalité un petit peu différente d'autres joueurs pros là-dessus ».
Ils sont près de mille cinq cents à suivre son premier live après la compétition, soit deux mois après le dernier. Il a vu son Twitter gagner mille abonnés dans une journée. Sur Youtube, il fait maintenant le double de vues. La World Cup lui a fait gagner en popularité, il va finir par le croire. Epic Games inaugure d'ailleurs les Champion Series. La dernière marche vers la rédemption pour TheVic.
Compte jusqu'à trois
Chez LeStream Esport, tout le monde s'est dispersé pour disputer ce nouveau format en trio. Skite est parti avec Kinstaar et Hunter, de chez Solary, idem pour Vato qui joue avec Airwaks et Nikof, et Blax a choisi de faire équipe avec JuleZ et Renik. TheVic participe avec Falconly et Robabz, deux joueurs de l'équipe TrainHard qu'il connaît particulièrement bien.
« Pour résumer, Falco' vient d'avoir 16 ans et ses parents n'ont pas vraiment confiance dans le milieu. Ils sont partis en vacances et ne voulaient pas le laisser seul à la maison. Ce qui peut se comprendre en soi, à seize ans. J'avais proposé qu'il vienne ici, à Paris. On a loupé la première semaine à cause de ça. Mais même en ratant une semaine de compétition, on est déjà qualifiés.
Robabz a quinze ans et, mécaniquement, il est trop fort. Ce qui est pas simple c'est qu'il avait l'habitude de lead avec Falco'. C'est compliqué pour lui de me laisser la main même si ça va de mieux en mieux. On a eu une grosse conversation pour tout mettre à plat et maintenant je pense qu'il a confiance dans mon lead. Je sais que c'est pas facile de faire confiance à un mec qui a raté la World Cup, alors que toi tu t'es qualifié ».
À eux trois, ils se hissent dans le Top 90 des équipes les plus régulières des qualifications. Ils arrivent en 72ème position à la fin de la cinquième semaine, très exactement. TheVic n'accorde pas beaucoup de crédit à ce classement. Sur Fortnite, tout le monde met énormément d'importance dans les qualifs alors, qu'à ses yeux, le principal reste juste de se qualifier. Si il y fait une belle perf, tant mieux. Mais c'est dans les poules qu'il faudra être carré. Il essaye surtout d'apprendre de ses mates en terme de mécaniques et de faire profiter de son expérience.
« On avait le potentiel de faire des Top 10 chaque week-end. On a eu un petit déclic récemment. Plus le temps passe, plus on arrive à faire de bonnes choses. Le truc compliqué, c'est que eux ont l'habitude de jouer ensemble en duo. Donc c'est pas comme si j'étais avec mon duo et que quelqu'un venait se greffer. C'est moi qui doit m'adapter à leur jeu, en plus de lead. Le temps d'adaptation est un peu plus long en ce qui me concerne. Ça ne me dérange pas ».
TheVic a retenu la leçon et se plaint le moins possible. Il essaye d'apprendre à aimer toutes les façons de jouer. De base, c'est un joueur de squad vu qu'il l'a pratiqué pendant très longtemps. Ce coup-là, avoir un gars en plus avec lui, c'est aussi un moyen de réduire l'aléatoire. Si son lead fonctionne, bien sûr.
« Le spawn est encore plus split. En terme de stratégie, on est trois donc on peut utiliser quelqu'un pour que les deux autres puissent clutch. C'est une idée. En duo, si tu te retrouves seul, c'est tout de suite différent. En trio, ça m'arrive de voir qu'on est tous moyens et de me sacrifier. Je vais purement faire le support ».
Le trio tout neuf termine deuxième de sa poule, juste derrière Mongraal, Mitr0 et benjyfishy qui tiennent, en tant que favoris, la première position. C'est un premier exploit. Confirmé dans le Top 8, TheVic accède à la grande finale des Champion Series cinquante-six jours après la finale de la World Cup. Ses deux coéquipiers et lui sont, sur le papier, l'une des trente-deux meilleures équipes d'Europe.
Skite et Blax ne font pas partie des huit premiers trios dans leurs groupes respectifs. Vato échoue lui aussi en poule, à une dixième place frustrante. TheVic représente LeStream, avec Nayte, dans la dernière ligne droite.
C'est Top 2 avec neuf kills au compteur dès l'entame, pour le trio français. Le ton est donné. Falconly s'est énervé. Il a presque remporté son un contre trois face à la triplette de Mongraal, en toute fin de zone. Puis Top 7. Puis Top 6. À mi-parcours, TheVic occupe la première place de la finale. À la fin des six rounds, c'est une sixième place méritée qui attend les meilleurs français du tournoi.
« J'ai toujours eu un très bon mental. Là n'était pas le problème. Je fais plus d'efforts. J'essaye vraiment de favoriser les scrims et le jeu. Le reste c'est devenu un plus. Le fait de stream va me rajouter des heures de jeu que je n'aurais peut-être jamais faites. Et puis tout le monde est super sympa maintenant. Une bonne commu t'apporte beaucoup ».
Mongraal, mitr0 et benjyfishy se sont fait voler la vedette par l'équipe de Stompy, grands vainqueurs des Champion Series. Nayte arrive treizième. TheVic avoue qu'il est presque déçu de sa performance, c'est un bon signe. Ça reste sa plus belle victoire, en un an et demi de montagnes russes sur Fortnite.
