Revenons cinq ans plus tôt, tu viens de prendre ta retraite de joueur et tu veux fonder une équipe mais tu n'as ni les fonds ni l'expérience nécessaire, comment tu vas t'y prendre pour créer G2 ?
J'ai commencé par compter l'argent que j'avais économisé de ma carrière de joueurs, j'avais quelques centaines de milliers d'euros et à ce moment-là j'étais déjà prêt à dépenser 100% de cet argent pour donner une chance à G2. Très vite j'ai eu la chance de rencontrer Jens Hilgers, le fondateur d'ESL, il a accepté de cofonder G2 avec moi. Jens est bien plus qu'un simple associé, il m'a appris tellement sur la gestion d'une entreprise dans l'esport, il est mon mentor.
Pas très longtemps après j'étais en train de faire du kart... je ne l'ai pas dit à beaucoup de gens mais mon principal hobby quand j'ai du temps libre c'est d'aller faire du kart. Bref pas très longtemps après la création de G2 je faisais du kart quelque part en Espagne et totalement par hasard je rencontre un homme qui prétend m'avoir vu à la télé, il sait qui je suis et il prétend qu'il peut m'avoir 5 minutes d'entretien avec un gros investisseur qui veut mettre de l'argent dans l'esport. J'ai préparé le meilleur speech de 5 minutes de ma vie et j'y suis allé, il a immédiatement accepté d'investir dans G2. Cet entretien m'a permis de rencontrer un autre investisseur que j'ai aussi réussi à convaincre en 5 minutes, ça m'a permis de réaliser que je n'étais vraiment pas mauvais pour vendre ma vision aux autres.
C'est comme ça que G2 a eu de l'argent pour déployer ses ailes durant les premières années, depuis j'ai eu 100 métiers différents, franchement si on met à part le graphic design je crois qu'à chaque fois que G2 avait besoin de quelque chose j'ai personnellement mis la main à la pâte. J'ai construit des prévisions comptables, j'ai fait du droit pour pouvoir rédiger des contrats, j'ai mis des campagnes marketing sur pied, j'ai appelé des joueurs jusqu'à ce qu'ils acceptent de nous rejoindre, j'ai négocié tous nos accords commerciaux et tous nos sponsorings... . C'est simple si G2 avait besoin de quelque chose, je considérais que c'était mon job.
Maintenant que G2 a grossi et que tu n'as plus besoin de tout faire toi-même, est-ce que tu pourrais nous décrire une de tes journées ordinaires ?
J'ai un rythme de vie très bien agencé, ironiquement c'est plus facile d'être créatif lorsqu'on a un cadre de vie ordonné. Mon fils me sert d'alarme, il me réveille tous les matins à coups de poing vers 07h30. Puis je vais à la salle de sport. En rentrant de la salle Je travaille pendant une heure avant d'aller au bureau parce qu'une fois sur place c'est important d'être accessible pour tous ceux qui ont besoin de moi, mais le matin chez moi personne ne me dérange et ça me permet d'être très efficace.
J'arrive au bureau entre 10h00 et 11h00, à partir de là c'est une longue suite de réunions, soit avec des équipes de joueurs soit avec des équipes comme le marketing, le commerce, les juristes ...
Je rentre chez moi pour faire prendre son bain à mon fils et le mettre au lit vers 19h30, à ce moment-là je retourne travailler sur mon ordinateur mais comme je suis chez moi et que la journée est presque terminée je travaille sur des sujets plus légers. C'est typiquement le moment où je check nos chaînes youtubes et nos comptes sur les réseaux sociaux, je lis les idioties que nos joueurs ont postées sur twitter, j'échange un peu avec les fans, je regarde aussi ce que font d'autres marques pour m'en inspirer soit en matière de com soit en matière de design, j'ai beaucoup regardé ce que faisait Supreme récemment. À partir de 21h30 je joue aux jeux-vidéos ou je regarde une série avec ma femme et je suis au lit à 23h00, j'ai absolument besoin de huit heures de sommeil.
À un moment il a bien fallu constituer des rosters pour la première fois, comment convaincre des joueurs de rejoindre une organisation qui vient d'apparaître ?
À l'époque G2 n'avait pas d'histoire, alors j'ai utilisé la mienne à la place. L'industrie me connaissait, les joueurs avaient joué contre moi ou avaient au moins entendu parler de moi. Tout le monde savait que j'avais passé des années sur le circuit, que je connaissais les équipes de l'intérieur et que je savais de quoi les joueurs ont besoin pour réussir.
Plus important encore : ils savaient j'étais prêt à faire tous les efforts possibles pour gagner lorsque j'étais joueur et qu'il n'y avait aucune raison que ça ait changé maintenant que j'étais owner.
Par chance cette éthique nous a permis d'obtenir du succès très tôt dans notre histoire, et cette crédibilité qui n'émanait que de moi durant les premiers mois, elle émane maintenant de l'organisation. Aujourd'hui les meilleurs joueurs du monde demandent à faire partie de G2.
Est-ce que tu surveilles tes joueurs de très près ? Si un roster à un problème d'entente par exemple jusqu'à quel point tu attends avant d'intervenir ?
Je donne autant de conseils que je peux et je suis prêt à guider les joueurs de G2 autant qu'il le faut mais je préfère attendre qu'ils me le demandent plus que de m'immiscer dans leurs affaires. Je fais attention à leur laisse autant d'espace que possible parce que dans le passé j'ai eu tendance à beaucoup trop micromanager et c'était une erreur.
Je sais qu'au début de l'interview je me suis décrit comme faisant tout, c'est la bonne attitude à avoir au début mais lorsque l'entreprise grossit c'est absolument crucial d'apprendre à déléguer. Une personne seule, peu importe sa capacité de travail, ne peut gérer une entreprise que jusqu'à une certaine taille, insister pour tout micromanager c'est condamner sa société à rester petite ou à échouer.
Les meilleurs managers du monde acceptent de donner du pouvoir à ceux qui travaillent pour eux parce que quelqu'un qui reçoit du pouvoir reçoit des responsabilités en même temps et c'est à ce moment-là que cette personne se développe et qu'elle devient le plus utile à l'équipe. Du coup je laisse à mes joueurs le pouvoir et la responsabilité de régler leurs problèmes, mais je suis toujours là s'ils ont besoin de moi.
Y a-t-il eu de véritables tensions entre vous et Fnatic lorsque Caps vous a rejoint ?
Il y a eu des tensions en effet, après j'ai pour règle de ne jamais me laisser énerver. Je refuse absolument d'être salé. Et si je craque et que je m'énerve sur les réseaux sociaux vous me verrez pas longtemps après en train de me moquer de moi-même. Il y a eu des accusations de poaching lors de l'arrivée de Caps mais je me suis pas laissé atteindre par ces accusations, parce que si je m'étais laissé agacer vous m'auriez vu me tourner en autodérision sur Twitter juste après.
... et Fnatic ?
Ils étaient salés (rires) très salés, ils ne sont pas comme nous, ils détestent que les choses ne se passent pas comme ils le veulent et ils le montrent. Je continue de penser que ce sont des gars supers, mais on est très différents.