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LoL : ROG Esport, insubmersibles

LoL : ROG Esport, insubmersibles
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Le temps d'une soirée parisienne, et dans un cadre idéal, ROG Esport s'est livré à Millenium. Depuis la ROG School jusqu'à la LFL, chacun a raconté son histoire.

LoL : ROG Esport, insubmersibles

Crédit photo : @GearProd, @Crowfalls_

Dans le deuxième arrondissement de Paris, rue du Sentier, existe le premier complexe dédié aux concepteurs d'escape games de la capitale. « 10 Rooms, 6 Thèmes, 2 à 50 joueurs » est écrit sur la façade de The Escape Lab'.

Ce soir, on inaugure deux sous-marins factices au cinquième étage. Baptisé Echo Squad, le jeu de simulation propose à une équipe soudée de manœuvrer l'appareil en eaux troubles. Le concept est directement importé de Montpellier et fait un carton là-bas.
La maison a voulu marquer le coup. Quatre équipes esport étaient attendues pour essayer les machines et disputer un showmatch en immersion. A quelques jours de la Gamers Assembly, sont attendus Team 404, représentant de l'esport sur mobile, l'équipe Fortnite de Gamers Origin, les GameWard et ROG Esport.

Thud est dehors, au téléphone. Le patron a l'air contrarié. Il attend une partie de ses joueurs. Pour les interviews ? Pas de soucis. La première moitié de l'équipe est déjà rentrée.

Ascenseur. Quatrième étage

A l'intérieur, il y a Jester, le midlaner de l'équipe accompagné de deux inconnus. Personne ne veut se lancer. C'est Cihow, un membre du staff, qui s'y colle en premier. Il pense n'avoir rien à dire.

« The Escape Lab' est le premier complexe dédié aux concepteurs d'escpape games de la capitale ». - League of Legends
« The Escape Lab' est le premier complexe dédié aux concepteurs d'escpape games de la capitale ».

Cihow est coach mental. Son métier ? « C'est aider les joueurs pour que ce qui se passe dans leurs têtes n'influe pas négativement leurs performances ». Pour ça, il va travailler sur la gestion du stress à l’extérieur ou lors d’événements importants, sur la concentration, la communication ou la cohésion dans le groupe. Cihow est issu du sport classique. Il était en fac de sport et a sa licence d'entraîneur / préparateur physique de badminton. Son master en préparation psychologique en poche, il contacte Thud et Mephisto, séduit par l'annonce du projet ROG School.

« C'est difficile de savoir ce que j'apporte au quotidien. Le but c'est aussi que mon travail ne se voie pas à première vue, que ça reste naturel. C'est du travail sur le long-terme et c'est volontaire. Si les joueurs sont pas intéressés ou n'ont pas envie, ce n'est pas du tout le but de les forcer. L'objectif c'est qu'ils viennent par eux-même ».

Il avoue qu'il n'a ni méthode précise, ni routines particulières : « Moi je suis là pour leur apporter un espace où ils peuvent se poser des questions et trouver des réponses. L'objectif c'est qu'ils trouvent eux même leurs propres moyens, leurs propres routines d'avant-match et leur propre façon de gérer le stress. Il y a jamais une recette miracle pour chacun. C'est du cas par cas ».

Cihow travaille à plein temps avec ROG Esports. Pour lui, les méthodes d'entraînement dans le milieu vont beaucoup changer.

« On peut aller chercher du côté du management en entreprise ou dans le sport traditionnel et la haute performance. J'encourage l'esport à s’imprégner de ça car il y a beaucoup à apprendre de l'extérieur. ROG l'a compris ».

Direction l'ascenseur. Le petit groupe monte dans la salle de réception, au quatrième étage. En haut, personne ne se mélange : les quatre équipes se sont réparties aux quatre coins de la pièce.

Dans le coin des ROG, il y a Fabien, croisé en bas. C'est le chef de projet de Thud et officiellement son bras droit. Il n'est pas très à l'aise mais il fait l'effort de parler de lui en attendant les autres. Il baisse même le son de la sono pour être audible. « Je connais Thud depuis l'époque où il bossait chez O'gaming. On avait fait des émissions ensemble sur Hearthstone, à l'époque où il y avait une chaîne O'gaming Hearthstone. J'intervenais en tant que caster ». Son petit nom c'est Mascarade. Il raconte qu'il a suivi Thud dans son projet ROG School le jour où il a quitté O'gaming.

Cihow (à gauche), en pleine session avec les joueurs dans la gaming house de la ROG School. - League of Legends
Cihow (à gauche), en pleine session avec les joueurs dans la gaming house de la ROG School.

Il prend le sujet à cœur : « On est très attaché au côté formation. On ne veut pas être regardé comme "encore une autre équipe". On veut jouer la carte de la détection de talent à fond et c'est pour ça que je réfléchis à une solution pour intégrer des élèves au projet, en plus de l'équipe en LFL». La LFL n'a pas laissé le choix à la ROG School. La structure a été tenue de clarifier sa position avant de se lancer dans l'aventure cette année. «Aujourd'hui l'objectif c'est la performance. On a eu l'opportunité d'intégrer la LFL qui est un circuit qui ne prend que des équipes compétitives. Il y a une obligation : les joueurs doivent être des professionnels et non des élèves en formation. C'est incompatible. Cette année on a pris cinq joueurs issus de nos anciennes promotions ROG School 2017 et 2018. Maintenant le but c'est l'excellence et si on doit prendre d'autres joueurs, on prendra d'autres joueurs ».
Fini les processus de sélection un peu spartiates avec deux cent participants, les entretiens et les tryouts en team. «Jester peut en témoigner» lance Fabien avec un sourire à l'intention de son midlaner.

Jester écoute sans broncher. Il prend sur lui pour revenir sur le split en LFL. C'est à voix basse qu'il se jette à l'eau : « C'était une expérience très enrichissante. On a commencé la saison en 0-4, ça a été très difficile. Il y a eu beaucoup de remise en question entre tous les joueurs. On a surmonté nos difficultés et on a come-back en faisant 9-1. On a finit troisième en saison régulière alors qu'on était dernier à la fin des deux premières semaines. Je pense que c'est une belle remontée. Personne ne nous voyait revenir et tout le monde pensait qu'on finirait derrière aAa ». Puis il raconte ses déboires : les premiers jours à Webedia, le tie-break perdu pour la deuxième place face à GamersOrigin ou encore la déconvenue en playoffs face à Misfits Premier.

Les portes de l’ascenseur s'ouvrent : Thud est de retour avec trois de ses gars.

Speed dating

A peine arrivé, il reprend là où Jester s'est arrêté.

« On a fait un très mauvais départ. Quand je dis "on", c'est tous les joueurs et l'encadrement. On a mis ensemble cinq individualités qui n'avaient jamais joué ensemble, sur scène. J'avais des joueurs comme Jester et Enjawve qui étaient intimidés par la scène. Les deux sont des jeunes joueurs et ils ont perdu leurs moyens. En terme de leadership et de communication, on s'était pas rôdé. On a réglé 80% des problèmes après les deux premières semaines : on fait quand même 9-1 après avoir fait 0-4 contre les quatre gros ».
Jester raconte qu'on entendait les casters et l'équipe d'en face communiquer les deux premiers jours à Webedia. Le souci a été réglé pour les playoffs et Thud prend la défense de la prod cette saison. Pour lui, le vrai problème est ailleurs : « On devrait construire davantage de story-telling sur les joueurs. Filmer un peu plus de sujets sur eux parce que ça contribue à développer leur personnalité. Ça a été un peu fait mais pas assez. C'est important de créer des histoires autour des joueurs pour que les spectateurs s'attachent à eux ».

Il en vient au problème : « Les joueurs ROG sont underrated. Les joueurs formés par la ROG School sont underrated. Tiger est complètement underrated comme carry-ad. Nji, un gros caractère, l'un des meilleurs junglers d'Europe à son niveau et un très bon capitaine. Complètement underrated. Et puis Darlik, joueur d'expérience. Je le voyais pas aussi fort. Darlik a été l'un des joueurs les plus régulier chez ROG sur le split ».

Thud : « Pour l'instant en 2019, la priorité c'est ROG Esports. C'est l'équipe. La partie formation, on l'a mise entre parenthèses ». - League of Legends
Thud : « Pour l'instant en 2019, la priorité c'est ROG Esports. C'est l'équipe. La partie formation, on l'a mise entre parenthèses ».

« Et puis Solal ... Énorme coup de bol ! ». Solal c'est Enjawve, le support de l'équipe. « Il me contacte sur Twitter : "Salut, je suis fan de Pomf & Thud et je suis challenger. T'as pas un job pour moi ? ». Ça rigole. « A deux jours près on prenait quelqu'un d'autre. On le test et tous les joueurs me disent "c'est Faker". Donc on le prend, il s'entraîne avec Zven, il y a des bestofs sur YouTube. Il joue Thresh : incroyable. On est permaban Thresh sur le split entier grâce à Solal ».

Il y a bien quelque chose qui explique que les joueurs ROG soient si sous-côtés. Thud, qui choisit soigneusement ses mots depuis le début, a sa réponse : « Pourquoi ? Parce que la plupart des coachs en Europe sont médiocres. Je n'ai pas dit tous les coachs mais je pense que le recrutement de nouveaux talents en Europe est très mauvais. Il y a beaucoup d'imposture sur ce poste : des gens qui sont recrutés davantage sur la taille de leur compte Twitter que sur leurs compétences de coach. Si les coachs sont incompétents, ils vont naturellement se rabattre sur des joueurs avec une grosse fanbase ou plusieurs splits en LCS à leur actif. Pas forcément sur le meilleur joueur que personne ne connaît. L'industrie est comme ça. Et elle va changer je pense. Nous, honnêtement, ce n'est pas notre parti pris ».

Le deuil de la ROG School semble plus difficile à faire que prévu. « On a cinq anciens élèves qui viennent jouer sous les couleurs de ROG Esports et on fait quatrième. Pour moi, c'est la preuve qu'on peut former des joueurs talentueux. ROG School a placé huit joueurs dans de grosses équipes européennes depuis 2017. C'est l'accomplissement de deux années de travail alors que notre projet était assez critiqué : tout ce qui est nouveau est critiqué dans ce milieu ». Pourtant sa line-up francophone est un modèle de réussite en LFL. Il poursuit sur sa lancée : « Francophone, mais française surtout. Après pour Tiger on met le drapeau Tahitien parce que ça le fait marrer. Je t'avoue que je préfère montrer qu'on peut réussir en France avec cinq français. Je pense qu'on a le meilleur niveau d'Europe, ici en France. Des quatre ligues majeures, c'est nous qui avons le plus de talents.

D'ailleurs ça m'a bien fait rigoler : au début de la saison, tu as des managers qui disent que c'est impossible de gagner la LFL avec une line-up 100% française. Je le redis, ils disent ça parce qu'ils ne savent pas recruter. Très peu de coachs font un vrai travail de scouting, de recherche, en Turquie ou en Espagne, parce qu'il faut regarder des petites LAN, des petits streams, faut chercher à se renseigner. C'est du boulot.

J'ai envie de dire, et c'est peut-être un peu prétentieux, que les autres équipes ne vont pas autant step-up que nous ». Thud est confiant pour la suite. Il parie que son équipe fera top 2 ou top 3 dès le prochain split en LFL. Mais pour le moment, tout le monde profite de l'instant présent : « On se fait ce genre de petites sorties de temps en temps. C'est du team-building. Je veux pas que ce soit que du LoL. Je pense que tu peux construire un collectif en faisant d'autres activités. Que ce soit des restos, sortir en boîte, aller au ciné, un bowling, n'importe quoi ».

A côté, les organisateurs s’attellent à la présentation d'Echo Squad. Eux, c'est Gear Prod, une start-up montpelliéraine spécialisée dans les attractions vidéo-ludiques. Ce soir, ils lancent leurs deux nouveaux jouets : des submersibles factices pilotés par des ingénieurs d'un soir. Tout a été importé depuis le sud de la France en pièces détachées. Manque de pot, l'un des deux sous-marins a cramé ce matin. Les showmatchs sont tombés à l'eau et les quatre équipes de cobayes se relayent sur un appareil. Il y aura du retard donc on fait patienter les joueurs en leur proposant de la VR.
D'ailleurs, les GamersOrigin réintègrent tout juste les lieux. Ils reviennent de leur expédition en mer. Ils se chambrent entre eux à coups de «pourquoi t'as int comme ça ? ».

Comme tous les autres avant lui, Tiger accepte de jouer le jeu. L'étage est bondé de monde et il a la solution : « On va sur la terrasse si tu veux ».

Rooftop en manches courtes

Au quatrième étage, il y a une grande terrasse ouverte avec son coin canapé et un peu de verdure. La nuit commence à tomber et l'endroit est presque désert. Cette table là fera l'affaire.

Il commence par la soirée avant de parler de son équipe. Tiger arrive à expliquer ce dont parlait Thud tout à l'heure : « Tu vois, si le collectif vit bien et qu'il y a une complicité, forcément ça va se ressentir en game. C'est ce que disait Enjawve en interview avec O'gaming. Ça va se ressentir dans la façon dont tu vas parler avec les autres, de leurs erreurs par exemple. Si Solal fait une erreur et que moi je le vois, je peux lui dire et il ne va pas mal le prendre. Il ne va pas se bloquer vis-à-vis de son ego parce qu'on est potes. Il n'y a pas cette barrière entre nous.

On s'entend très bien. Après il y a encore des situations précises, un peu "tricky" où on ne se comprend pas. Lui il fait plus attention au jungler que moi, il est fort pour ça. Solal c'est le meilleur support avec qui j'ai jamais joué. Je parle pas de macro mais mécaniquement parlant, il est très précis et ça s'est vu en LFL. On gagnait beaucoup de nos botlane. Il n'y a que aAa, parce que j'étais pas prêt contre Neeko, et Misfits Premier qui ont réussi à gagner au bot contre nous ».

Tiger : « Je pense que les joueurs underrated chez nous c'est Solal, Nji et moi. Je pense pas que Darlik soit underrated. Nous trois, on est un peu le trio gagnant de l'équipe. On est underrated ». - League of Legends
Tiger : « Je pense que les joueurs underrated chez nous c'est Solal, Nji et moi. Je pense pas que Darlik soit underrated. Nous trois, on est un peu le trio gagnant de l'équipe. On est underrated ».

Tiger parle bien. Il est clair dans ses propos et il ne cherche pas ses mots. A 23 ans, il fait presque figure d'ancien même si ça ne fait que deux ans qu'il joue en pro. Depuis la ROG School, beaucoup de choses ont changé pour lui.

« Aujourd'hui, je suis dans un collectif et j'ai envie de gagner. Quand j'étais à la ROG School, ma mentalité c'était "je suis là pour apprendre avec le coach", Mephisto. On était pas dans une dynamique de gagner à tout prix. Si je gagnais c'était bien, si je gagnais pas je m'en foutais parce que tout ce que je voulais c'était m'améliorer pour le futur. Là, l'équipe, elle veut gagner, elle est plus là pour apprendre ».
C'est la quatrième personne à mentionner "coach" Mephisto ce soir. Pour Fabien, c'est un excellent chasseur de tête et Thud avoue ne jamais l'avoir vraiment remplacé. « Ça fait un grand vide de ne plus l'avoir à nos côtés depuis qu'il est parti chez Fnatic. Il m'apprenait beaucoup de trucs et il y a une vraie relation d'amitié entre nous. Après, on se préparait à ce qu'il ne soit plus là. C'est pas comme si j'avais signé avec ROG Esports et qu'on m'avait promis que Mephisto serait encore coach. On y était préparé et il n'y a aucune raison pour que ça nous affecte davantage. De toute façon, il nous parle tout le temps, tous les jours. Que ce soit par rapport au jeu ou aux scrims ».

Ses paroles sont franches lorsqu'il parle compétition : « Je pense qu'on aurait pu faire les European Masters. Je pense qu'on aurait jamais pu battre LDLC, ça j'en suis certain, mais je pense qu'on pouvait au moins faire le top 2 et attraper GO ou Misfits Premier. L'objectif minimum sur ce split c'était top 3, chose qu'on a faite en saison régulière ».
Ses pronostics pour le tournoi ? « Misfits peut aller loin. LDLC partent grand favori. Quand on regarde le niveau de chaque ligue : anglaise c'est pas très haut, l'Espagne n'est plus ce qu'elle était : le mercato en LEC leur a fait mal. Par contre la scène qui fait très peur c'est l'Allemagne. Ils sont au même niveau que la France pour moi. Il y a de très très bonnes équipes, rien que SK Gaming Prime ça fait peur. Je vois une finale France - Allemagne ».

Quelqu'un passe la porte-fenêtre. Enjawve sort prendre l'air. Il fait une dizaine de degrés et il n'a qu'un t-shirt large pour se protéger du vent.

Leur prochain rendez-vous : La Gamers Assembly. C'est dans quelques jours après tout. Tiger avoue que l'équipe ne s'y prépare pas vraiment. « La Gamers Assembly n'est pas un de nos objectifs. La plus grosse équipe risque d'être aAa. Je pense pas qu'on ait forcément besoin de charbonner pour gagner la GA. On sera en finale quoi. On veut bien la gagner mais si on la gagne pas, on finit deuxième. C'est pas une échéance pour nous ».

Solal voit que la place est libre. Il s'approche tout sourire. Il jure qu'il n'a pas froid.

Mephisto et Tiger, dans l'ancienne gaming house ROG School. - League of Legends
Mephisto et Tiger, dans l'ancienne gaming house ROG School.

Solal raconte qu'il a vécu treize ans en Guadeloupe, comme si il ne connaissait pas la fraîcheur du printemps à Paris. Il est presque là en touriste.

« C'est ma première saison, la première fois que je joue à LoL en compétition. C'est ma première équipe, j'y connais rien. Je profite juste de l'instant présent. Aujourd'hui, je suis super heureux, tout simplement ». Il regarde autour de lui : « Je suis sur une terrasse en plein milieu de Paris alors qu'avant j'étais à des milliers de kilomètres d'ici ! ».

Il ne lâche pas son sourire. Il déborde d'enthousiasme : « Je sais pas trop comment je dois gérer ça. Je sais qu'il faut que je joue à LoL du mieux que je peux et que je dois bosser là-dessus, encore plus que ce que j'imaginais. Là, je vis avec mes teamates, qui sont en plus mes potes. C'est déroutant. On est dans le même campus, on se voit tout le temps. On parle d'absolument tout. C'est bizarre comme environnement. C'est un peu "anormal" ».

C'est compréhensible. Solal n'a que 20 ans et son parcours est aussi singulier que fascinant.

« J'ai commencé LoL à 14 ans et j'ai du faire une pause de trois ans. Je pouvais pas participer aux tournois auxquels je me qualifiais en France. Il fallait faire dix heures d'avion... Du coup j'ai peu à peu laissé tomber la compétition. Le jeu était devenu quelque chose de contemplatif pour moi. Je regardais les Worlds, les LCS, tout ça.
En saison 7, quand je suis arrivé en France et que j'ai vu que j'avais un ping de 40, j'ai essayé de rejouer à LoL. Je suis monté Master en deux semaines. Puis j'ai contacté Thud et Nji. J'ai fait trois mois à la ROG School et ils m'ont proposé de rejouer avec eux cette année ».
A propos de ses coéquipiers, il ne manque pas de complaisance. Il écarquille les yeux : « Darlik, Tiger et Nji sont trois joueurs irréprochables. Jester et moi on a des fois des problèmes de communication mais on a un peu fixé ça. On est pas shotcaller et on a un peu les nerfs sur scène donc c'est Darlik et Nji qui prennent les choses en main. Nji il a cette grande fierté de vouloir gagner tout seul. Il a construit son propre honneur au fil des saisons. Et puis, le come-back contre Gamers Origin en LFL, c'est Darlik qui a fait la com' de A à Z. Il a tout shotcall, c'était impressionnant. Il a fait ça avec beaucoup d'encouragements pour chacun, pour le mental ».

La nuit finit par tomber. Il commence à faire sombre. Pour l'instant, tout le monde s'accorde à dire que l'équipe méritait mieux. Lui, ça le dérange. Il a pas l'air de comprendre.

« C'est pas qu'on méritait mieux. C'est que ça se mérite. Point. C'est la compétition. Si l'autre gagne ça veut dire qu'il est meilleur que toi de toute façon. On a été moins bon du coup on le méritait pas. Bien sûr qu'on aurait pu faire mieux. Il y a pas d'histoires comme quoi "on aurait du finir top 2". Faut mériter sa place. Sinon Il y a plus d'intérêt à jouer et on arrêterait d'aller en game ». Il en profite pour charrier son carry-ad qui, dix minutes plus tôt, s'inclinait devant LDLC.

« Il dit n'importe quoi. Je sais pas ce qu'il raconte. Je sais pas du tout de quoi il parle. Pourquoi tu joues si tu penses que t'as aucune chance de gagner contre l'adversaire ? Même si tu sais que t'es moins fort que lui, il faut essayer ».
Tiger tente de s'expliquer de là où il est. Son complice se retourne : « T'as tort c'est tout ! Tu penses que t'es moins bon que Comp ou quoi ? ». Les deux joueurs plaisantent.

Enjawve : « League of Legends c'est un peu de la Formule 1. C'est de la compétition pure. T'as vingt personnes qui courent et des millions de gens qui regardent ça.  Si t'es mauvais tu descends et si t'es bon, tu montes. Il y a pas d'entre deux ». - League of Legends
Enjawve : « League of Legends c'est un peu de la Formule 1. C'est de la compétition pure. T'as vingt personnes qui courent et des millions de gens qui regardent ça. Si t'es mauvais tu descends et si t'es bon, tu montes. Il y a pas d'entre deux ».

Au bout du compte, il faut résumer. Solal s'implique beaucoup dans ce qu'il fait mais la compétition n'a pas l'air de l'intéresser plus que ça.

« Je sais ! ». Il se redresse d'un coup sur son siège. « Je sais. C'est très bizarre. Je me pose la question presque tous les jours. C'est quelque chose que j'essaye d'améliorer, ma compétitivité, parce que je ne l'avais pas au départ. Je crois que j'aime me comparer aux gens et me dire que je suis meilleur qu'eux. J'arrive à voir pourquoi je suis meilleur qu'eux. En ce moment, je regarde Lehends tous les jours : il est trop fort. Je vois qu'il est bien meilleur que moi et je trouve ça trop bien. C'est ça qui m'a poussé à être là où je suis ».

L'aparté avec la botlane ROG prend fin dans la bonne humeur. Solal déclare qu'il s'est juste contenté de répondre et qu'il ne savait pas trop quoi dire.

Ma vie, ma passion

Depuis l'intérieur, Abuzorus est venu s'installer autour de la table. La majorité de l'équipe est maintenant dehors et pour le manager, tout le monde tend l'oreille.

« J'ai fait quatre ans d'école de commerce à Nice, à l'EDHEC. Ensuite, je suis monté sur Paris. J'ai quitté mon travail parce que ça me plaisait pas. J'étais chez Nissan, dans des bureaux. Je m'occupais de personnes entre 25 et 30 ans. Je me faisais chier dessus, c'était horrible. Costard-cravate c'est pas mon truc donc je suis parti ».

Sacha s’engouffre dans une formation à la Paris Gaming School. Après quatre ans d'école de commerce, « autant jeter encore un peu d'argent par les fenêtres et voir ce que ça donne », comme il dit. «J'étais passionné d'esport. Quand je suis arrivé là-bas, je me suis rendu compte qu'il fallait se sortir les doigts pour réussir. J'ai passé neuf mois de ma vie à vivre dans la PGS. J'avais des petits problèmes à côté qui ont fait que mon directeur est devenu mon père spirituel, en quelque sorte. Je suis resté avec lui ».
Il en profite pour faire la visite guidée : « D'ailleurs, c'est un peu comme ici, à l'étage d'un grand bâtiment. Deux cent mètres carrés, trente pc, une cuisine, une salle de bains, deux toilettes, trois chambres. J'étais bien ».

Puis il commence à monter sa propre structure. Avant, il fait deux compétitions pour se faire la main avec une équipe sur LoL en France. C'était en 2017, avec Nuit Blanche. Fort de son expérience, il décide de prendre les choses en main.

« A la fin de l'année, je me dis : "Qu'est-ce que je vais faire ?". Ma mère -qui me soutient énormément- et moi, on en est arrivé à se dire : "t'as trente personnes avec toi, profites-en pour trouver des profils différents. Monte une équipe avec les gens d'ici. Prend un cm, un coach CS, un coach OW, un coach LoL, un manager, etc ... Fait des équipes, voit comment ça se passe".

Ma mère est très gentille mais je savais très bien comment ça se passait. Quand tu veux faire quelque chose dans l'esport, si tu veux faire quelque chose de sérieux, il te faut de la tune. Si t'as pas de tunes, tu vas rêver. Les équipes du LoL Open Tour, elles sont très sympa et elles ont beaucoup de potentiel, mais si t'as pas de moyens derrière avec un nom, personne parlera de toi ».

Abuzorus : « A la PGS, il y en a qui disaient en entrant : ' Je vais lâcher 10 000 balles pour faire une formation de streamer, je vais devenir streamer'. Bah non mec. Faut se bouger le cul ». - League of Legends
Abuzorus : « A la PGS, il y en a qui disaient en entrant : " Je vais lâcher 10 000 balles pour faire une formation de streamer, je vais devenir streamer". Bah non mec. Faut se bouger le cul ».

Sacha sait se débrouiller et il a un peu de sous de côté. A cette époque, il a 22 ans et il choisit de tout investir à ce moment. Pour la première fois, il se donne à fond dans un projet.

« Début janvier 2018, un peu avant mon anniversaire, je me laisse trois semaines, un mois, pour faire du scouting 24h/24. Je voulais monter une équipe LoL avant la Lyon Esport 2018. Je bosse de sept heures le matin jusqu'à tard dans la nuit, je me fais juste des micro pauses. Je regarde les matchs de tout le monde. J'enregistre tout. Je voulais une équipe de full Français, full random qui n'avait pas forcément fait d'équipes avant. Et qui avait du potentiel surtout ».
Au final, il s'en sort tout juste une semaine avant la compétition : « On a fait cinquième avec MiF. On a même battu GamersOrigin. Avec des mecs qui sont partis à la ROG School l'année d'après ! Je me dis que c'est parti et que je vais continuer.

J'ai commencé à me renseigner sur LoL, sur Owerwatch, Fortnite, Hearthstone, masculin comme féminin. Ça a duré comme ça pendant six mois. J'avais pris une gaming house avec mes joueurs LoL et je m'occupais d'eux toute la journée. Au fil des résultats et au fur et à mesure qu'on parle de moi, y'a Thud et Nji, notre joueur/coach, qui m'ont contacté. Mon profil leur convenait. J'ai directement accroché avec Nji, il savait comment je bossais. J'étais un mec qui lâchait pas. J'ai beaucoup bossé et j'y ai mis de ma poche aussi.

Puis j'ai revendu MiF à Supremacy, qui était une catastrophe de A à Z. Je n'ai pas aimé la structure. Je n'ai pas aimé les chose qui ont été dites. Je n'ai pas aimé la façon dont ça a été fait à la fin, ce coup de couteau dans le dos de mon bras droit. Il s'occupait de l'équipe avec moi mais il ne payait pas l'appartement. C'est moi qui payait la gaming house à mes joueurs ».

Tout le monde est interrompu par l'annonce de Thud sur le rooftop. Il apporte les nouvelles : « On reprend la VR les gars. Je suis chaud, Masca est chaud. C'est dans dix minutes ! Par contre, le sous-marin c'est un peu en retard. Il y a des petits problèmes. Je suis désolé on va passer en dernier, vers 22h10 ».

Sacha passe à la vitesse supérieure.

«Cette année, je suis fier du parcours que mes joueurs ont commencé à faire mais pas de la finalité. Je sais qu'ils sont largement capables de faire mieux. On a pu le voir et dieu sait qu'ils s'entraînent vachement dur et les reproches qu'ils se mangent jour après jour.
Tout le monde manque d'expérience. C'est beaucoup dans la tête. Quand on arrive à des moments décisifs dans sa vie, on a du mal à faire les bons choix, à être décisif justement. On attend de toi que tu sois le meilleur tout le temps. Une seule erreur c'est trop. Il est à côté de moi. Il sait que contre Misfits il est mort trop de fois avec sa Leona. Il n'aurait pas dû ».

C'est pour Solal, qui l'admet tout de suite : «Ouais j'ai solo lose. Ça arrive mais ça fait putain de chier ».

Abuzorus, le méchant flic chez ROG Esports ? « Non. Ça je suis content, j'ai plus ce titre. Avant j'étais le bourreau qui levait les joueurs à dix heures et qui les emmenait faire du sport dès le matin. Maintenant j'ai compris au bout de deux ans. Ce n'est pas pareil de travailler avec des gens de neuf heures à dix-huit heures et de travailler avec une équipe tous les jours. T'apprends à les connaître et là tu te rends compte que tout le monde n'agit pas pareil. Tout le monde ne veut pas s'entraîner pareil ». Plus loin, il confie que c'est même lui qui arrondit les angles quand Nji, son joueur-coach, dit les choses franchement.

Atelier réalité virtuelle pour Enjawve, Abuzorus, Tiger et Jester. - League of Legends
Atelier réalité virtuelle pour Enjawve, Abuzorus, Tiger et Jester.

« L'image que les gens ont de moi c'est un petit con fils à papa, paix à son âme, qui a dépensé son fric n'importe comment pour se faire connaître dans l'esport ». Les questions pièges, voilà ce qu'il en fait.

Je me suis fait trash une fois parce que lorsque j'ai créé MiF, Solary a fait un Power Ranking avant la DreamHack, ou la GA je sais plus. MiF n'y étais pas alors qu'on venait de faire top 5 à la Lyon Esport quand même. Mes joueurs n'avaient pas aimé. J'ai publié un screen de leur Power Ranking sur Twitter avec écrit "Vous oubliez MiF ... MiF ne vous oubliera pas", avec un petit sourire. C'était pas méchant, c'était pas "Solary je vous baise". C'était plutôt "vous avez décidé de nous boycotter, pas de soucis on va vous montrer qu'on est là". Et si il faut qu'on mérite notre place, on méritera notre place». Il tape du poing sur la table.

«Instantanément, t'as Chap qu'a répondu avec trois photos de moi où il y avait ma bio Twitter, mon tweet et une photo de moi en gros plan, genre un meme. Derrière, il y avait la voix de Sardoche qui disait "t'es qui dans l'esport ?". Ça a fait 20.000 vues et ça a commencé à mal parler sur moi. Ça a été très compliqué à accepter parce que j'ai pris une grosse tarte. En plus on arrivait à la DreamHack ou la GA, je sais plus. J'étais dans le car que j'avais loué pour l'équipe et on me dit "Sacha regarde ça"'. J'étais pas bien.

Je te fais une confidence : j'adore Solary. J'ai leur maillot. Ils me font trop rire. Je m'endors tous les soirs avec eux. A trois heures du matin c'est tout le temps Narkuss ou Tioo, ou Sharkk. A cause d'eux, j'ai plus de 100 € hors forfait parce qu'on a un vieux wifi à la gaming house. J'adorerais rigoler avec eux et crois moi que j'ai aussi des trucs à leur dire. Je pense qu'on peut bien se marrer.

Au final, quand les gens vont commencer à me connaître et qu'ils vont venir me parler, il vont voir que je suis complètement détente. Avec moi, tu vas pas te braquer, te brusquer, on va pas se battre. Pas tout le monde l'a compris pour l'instant ».

Il est presque l'heure. Sacha envisage son futur.

« Je sais que c'est ce que je veux faire mais il me manque encore pas mal de choses. Rien que par rapport au jeu, j'aimerais bien être plus investi et comprendre beaucoup plus le truc. J'aimerais apporter quelque chose en plus. Je sais que c'est impossible, malheureusement, parce que mes compétences sont ailleurs.Vis-à-vis du management, je suis déjà tout le temps avec eux. Je sais tout ce qu'il se passe. J'abuse du partage d'écran pour voir ce qu'ils font. Je veux participer à tout.

Je pense que y'a pas un seul manager en France sur LoL qui fait autant que moi. Qui reste autant de temps avec ses joueurs. Il faut que je développe ça encore plus mais de façon plus intelligente. Je veux arriver à les comprendre, toujours plus. Quand un de mes joueurs arrive sur scène, je veux savoir si il est stressé, si il me ment, etc. Avec eux, ça fait trois mois et demi et j'y arrive de plus en plus. Des fois je fais encore confiance, et je me dis au fond, Sacha, c'est peut-être une erreur. Ça s'est vu il y a pas si longtemps, une discorde dans l'équipe concernant un joueur. Des fois faut faire confiance et des fois faut aussi se faire confiance. Faut que travaille encore avec ça. Et aussi arriver à m'adapter un peu plus vite. J'ai du mettre trois semaines à m'adapter au groupe et qu'ils m'adoptent eux. Je suis très sociable mais je peux faire encore mieux ››.

ROG Esport remporte finalement la Gamers Assembly 2019. - League of Legends
ROG Esport remporte finalement la Gamers Assembly 2019.

En ce qui concerne le terrain, c'est plus direct : ‹‹ Gagner le second split. Et très très sérieusement : la Gamers Assembly. Pour moi il faut la gagner. Ce serait super. Je leur ai dit que moi, je la voulais. Après il y aura la DreamHack où j'ai envie qu'on fasse un gros coup. Il y aura largement la possibilité. Si on fait ça, dans la tête des gars, ce sera différent pour entamer le prochain split.

Aujourd'hui je me sens vraiment bien dans ce que je fais. J'ai des gens autour de moi qui sont vraiment top. On est tous sur la même piste. On part tous en même temps et chacun va arriver à un endroit : un en LCS, l'autre en académie NA, ... On sait pas ce qu'il va se passer. On est une famille et je veux pas partir au bout d'un an. Voir les joueurs grandir puis s'en aller, c'est le plus beau ››.

Thud vient chercher ses protégés pour la VR. Tiger a décidé de rester sur la terrasse : ‹‹ Je vais pas refaire un truc que j'ai déjà fait ››. Il revient un instant sur Sacha : ‹‹ C'est un super manager. Dans l'ancienne gaming house, tous les lits étaient faits. Il est trop fort. Si je suis en game et que j'ai faim, il va me faire mon goûter et me l'apporter. Je te jure ››.
En guise d'épilogue, il dresse un petit état des lieux de la compétition : SKT ? G2 ? « Trop forts ». LDLC ? « Ils ont le niveau du LEC ». Tonerre ? « Faut qu'il arrête la botlane, c'est chaud là ››.

Il est dix heures passées et leur mission va bientôt commencer. Direction l'ascenseur. Dernier palier.

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