Autrefois, quand l’hiver enlaçait affectueusement Frigost, les enfants sages se réjouissaient. Ils savaient que le 25 descendre, Nicolas Nowel, sa femme, son fils et ses glutins allaient distribuer les jouets fabriqués en leur honneur. Si cette tradition traversa les mers et les océans, que le reste du Monde des Douze s’en inspira et continua de s’en réjouir, les choses changèrent brusquement sur l’île glacée... Les plus viles créatures profitèrent de la popularité de cet événement pour attirer de pauvres marmots dans leurs pièges, parfois, en usurpant tout bonnement l’identité de celui qu’on surnommait tendrement « le père Nowel ». Ainsi, en ces temps de fête, croiser le chemin du Papa Nowel, du Père Fwetar ou encore des Grincheux revenait à sonner le glas des festivités et, accessoirement, de sa vie. Certaines de ces monstruosités finirent même par élire domicile chez Nicolas Nowel en personne ! Les mômes étaient devenus les friandises… Aussi quand un séisme détacha le bout de terre glacée appartenant autrefois au généreux Enutrof, c’est tout Frigost qui poussa un soupir de soulagement. Les créatures croqueuses d’enfants étaient désormais exilées sur l’île de Nowel ! C’était sans compter sur le Minotoboule, autre danger pour les aventuriers, mais qui ne raffolait en rien des bambins…
Le vent faisait tournoyer des flocons dans la pièce. Sur le sol enneigé, le Minotoboule constata une multitude de petits pas qui entraient et sortaient ; comme si une armée de Glutins s’était tranquillement rendue au marché. Il suivit les empreintes vers l’extérieur et s’enfonça de quelques mètres dans le blizzard. Une petite bosse attira son attention. Il se pencha pour ramasser la pièce à conviction recouverte de neige : une casquette cache-oreilles rouge ! L’angoisse parcourut son dos et remonta dans sa nuque. Le Minotoboule lâcha le couvre-chef et recula d’un pas. Non… ça ne pouvait pas être eux… Était-il encore en train de rêver ?
Il devait en avoir le cœur net. Tant pis s’il risquait sa vie et sa santé mentale, il devait connaître la vérité ! Le Minotoboule se mit à courir en suivant une série d’empreintes. Elles se séparèrent plus loin en plusieurs directions, prouvant qu’il s’agissait d’un groupe organisé. Il en choisit une au hasard et poursuivit sa cavale. Plus le Minotoboule progressait, plus les traces étaient recouvertes de neige. Bientôt, il n’y aurait plus rien… Il devait faire vite !
Arrivé au bord d’une descente, il constata que les pas avaient laissé place à une trace d’embarcation, peut-être une luge ? Après une grande inspiration, le Minotoboule s’élança et se mit à glisser sur son postérieur : il fila si vite qu’il décolla dans les airs au bout de la pente suivante ! Il se rétama un peu plus loin comme une vulgaire peluche. Face contre neige, il reprit ses esprits au son d’une fluette mélodie. Un tintement. Un bruit exécrable… Des grelots ! Entre peur et courage, la bête se releva et regarda tout autour d’elle : à quelques mètres seulement, elle aperçut une silhouette de petite taille, assise sur un paquet, en train de dévaler une pente. Le Minotoboule se rua en sa direction. À force de courir, ses muscles commençaient à brûler, mais il devait absolument mettre la main sur cette petite vermine !
Au fur et à mesure qu’il s'en approchait, il entendait un ricanement sur le rythme des grelots. Plus que quelques pas et… il se projeta en avant, bras tendus, toutes griffes dehors et… finit par l’atteindre ! Enfin ! Il tenait cette bestiole fermement dans sa paume. Quand il découvrit son visage, il fut stupéfait… et ravi qu’en réalité, il n’agisse pas d’un sale môme : c’était un Sakai Firefoux ! Coiffé de sa casquette cache-oreilles rouge, il ricanait tout de même comme un enfant avec qui on joue dans la neige, ce qui dégoûta le Minotoboule au point qu’il faillit le balancer, mais cette créature était le seul témoin dont il disposait.
« Pourquoi m’avez-vous volé ? Comment vais-je assurer ma tournée, tas d’ignobles gnomes ?! »
En guise de réponse, le Firefoux continua de glousser.
« Ne me force pas à faire ça… »
La menace du Minotoboule ne porta pas ses fruits. Alors, il dut se résoudre à… chatouiller la boule de poil jusqu’à ce qu’elle cède ! Pendant ce temps, il ne voyait pas le Mini Nuit’ sorti de nulle part pour récupérer le paquet cadeau du Sakai Firefoux. Ce dernier poussa la boîte jusqu’au sommet d’une pente, prit place dessus et se lança… mais rien ne se passa. Le Minotoboule retenait la cargaison et semblait très, très fâché. Dans ses bras, le Foux souriait. Soudain, un horrible gargouillement résonna dans la vallée. Cela faisait des mois que le pauvre Minotoboule ne s’était pas nourri…
Coiffé d’une casquette cache-oreilles rouge trop petite pour lui, emmitouflé dans une écharpe typique des Mini Nuit’, le Minotoboule remuait le contenu d’une casserole sur le feu à l’aide d’une cuillère en bois, en sifflotant. Ça sentait bon la sauce au poivre et le témoin récalcitrant ! Il s’approcha de la table pour fouiller les frusques des deux voleurs. Il sortit de la poche de l’un d’eux un contrat : pour chaque paquet, ils recevraient chacun une bouboule de neige en sucre glace, un bonbon de Nowel et un sucre d’orge. Une carte de visite se détacha du feuillet. Le Minotoboule la ramassa et fronça les sourcils. Le nom indiqué lui était parfaitement inconnu : « Gronchon, boss errant sur l’île de Nowel, no 1 du frisson durant les fêtes ».