Esport mobile, la conquête de l’Ouest
Le support mobile est un eldorado qui n’a pour limite que le nombre d’utilisateurs de smartphones dans le monde, soit plus de deux milliards de personnes en 2018 et qui tend à frôler les trois milliards avant 2020 selon Statista. Ajoutez à cela la croissance phénoménale du secteur de l’esport et vous obtenez un cocktail très lucratif que beaucoup de géants veulent s’arracher.
Tencent avec Arena of Valor ou Alibaba Group avec Vainglory se sont lancés dans l’aventure avec succès en Chine mais ont du mal à franchir les frontières. Pour Tim Ebner, le head of esports de Supercell, l’audience chinoise et occidentale n’ont pas du tout les mêmes attentes. C'est pourquoi le format de la Clash Royale League en Asie, lancée depuis le mois d'avril, diffère légèrement des ligues européenne et nord-américaine : « Ils ont des journées de compétition et des matchs plus longs, ils sont habitués à l’esport hardcore et traditionnel, ici on essaye d’attirer et faire grandir une autre audience, qui n’est potentiellement pas du tout familière à l’esport ».
Malgré une nette baisse de popularité, Clash Royale reste l’un des piliers du jeu mobile en occident et le candidat le plus à même de faire son trou dans un secteur déjà bien occupé par les géants que sont League of Legends, Overwatch et maintenant Fortnite. Pour y arriver : « L’enjeu est encore de comprendre l’esport sur mobile, je ne pense pas que la bonne approche soit de copier ce qui se fait sur les plus grands écrans. » précise notre interlocuteur. Trouver la bonne formule avec un modèle différent pour attirer une audience qui l’est tout autant c’est l’aventure dans laquelle Supercell s’est lancé l'année passée.
Clash Royale a mis du temps à se mettre en scelle, les premières compétitions majeures ont été initiées par des organisateurs tiers et non pas par l’éditeur américain. L’ESWC en France notamment, a instauré les premiers standards dans l'organisation de tournois et d’évènements sur le successeur de Clash of Clans. Supercell est arrivé plus tard, à tatillons en échangeant d’abord avec les acteurs qui avaient pris les rênes jusqu’à se lancer dans le grand bain avec la Kings Cup aux États-Unis puis le Crown Championship, les premiers championnats du monde organisés à Londres en novembre dernier.
Un premier essai dans la cour des grands qui débouche aujourd’hui sur le lancement d’une ligue officielle en Europe, en Amérique du Nord, en Amérique Latine et en Asie : « on a toutes les équipes européennes et nord américaines à Los Angeles, elles joueront plusieurs matchs par semaine dans le même studio » nous précise notre interlocuteur. Un modèle qui au premier abord, ressemble en tous points à celui de l’Overwatch League, sur « plus grands écrans ».
Des franchises qui n’en sont pas vraiment
Dès son lancement, la Clash Royale League a réussi à attirer de très gros noms de la scène esport : G2 Esports, FNATIC, Cloud9, Counter Logic Gaming, 100Thieves, Team SoloMid ou encore Immortals ont franchi le pas. L’argument de Supercell pour les attirer ? Une ligue franchisée, qui n’en est pas vraiment une.
Les franchises, c’est le « nouveau » modèle économique plébiscité par l’Overwatch League et les League of Legends Championship Series presque devenu un standard dans les championnats de sport électronique en quelques mois.
Mis en place dans les ligues américaines de sport traditionnel depuis des années, ce dernier a été plébiscité par les grands clubs pour qui la possibilité d’être relégué ou de ne pas se qualifier à un tournoi majeur constituait un frein à l’investissement. Ces dernières ne luttent plus pour intégrer les ligues majeures grâce à leurs résultats sportifs, elles le font en présentant un projet de développement sportif, communautaire et médiatique sur plusieurs années moyennant un prix d’entrée parfois élevé à plusieurs millions de dollars.
Pour la Clash Royale League c’est un petit peu différent nous précise Tim Ebner : « Nous n’avons pas franchisé, nous avons invité des équipes du monde entier. L’an dernier on avait un circuit plus amateur et on a remarqué que les meilleurs joueurs étaient déjà affiliés à des structures. On a commencé à parler avec beaucoup d’équipes et d'investisseurs et beaucoup étaient intéressés par le projet ». Pas de sélection, encore moins de droit d’entrée, les places dans la ligue ont été distribuées par Supercell.
Nick Allen, le COO de Counter Logic Gaming nous as confié que la démarche de l’éditeur avec les organisations est foncièrement différente de celle Blizzard ou Riot Games : « Ils avaient beaucoup d’idées mais à la fin ils nous ont demandé ce que nous ferions à leur place. Comment on voyait l’écosystème évoluer, comment faire en sorte que les joueurs puissent avoir une carrière professionnelle en jouant à Clash. C’est peu commun dans le milieu de l’esport. Ce niveau de collaboration et de réceptivité à la vision et aux retours des équipes nous a convaincu d’investir. »
Les organisations ont donc joué un rôle prépondérant dans l’élaboration de la Clash Royale League. Mais Supercell n’aurait peut-être pas réussi à convaincre ou même interpeller les grands clubs sans les avantages procurés par les franchises. Matthew « Nadeshot » Haag le CEO de 100Thieves nous a confié qu’il faisait très attention avec ses investissements et que ce système l’avait conforté dans l’idée d’investir sur Clash Royale : « Je suis assez nouveau dans le milieu, je ne suis pas comme tous ces grands clubs qui ont connu le succès mais aussi des turbulences avec des paris qui n’ont pas payé sur certains jeux. Je ne pense pas que les franchises soient indispensables dans l’esport mais, elle permettent aux organisations d’investir plus d’argent sur leurs joueurs ou sur un titre en particulier. Dans ma carrière (Nadeshot a été joueur professionnel Call of Duty, N.D.L.R) il y a eu des moments où j’étais très instable, où j’ai fait face à beaucoup de pression à cause des relégations ou des tournois ratés. Peu importe l’argent qu’on investissait sur moi ou celui que j’investissais personnellement, une tonne d’opportunités m’a échappée parce que j’avais eu un mauvais tournoi ou une mauvaise semaine. »
Le son de cloche n’est pas différent chez son vis-à-vis de CLG : « En tant qu’équipe on pense toujours à l’instabilité d’un écosystème et le risque de perdre notre investissement. C’est ce qui est vraiment compliqué avec l’esport, quand on a été relégués sur Rocket League, on a décidé de quitter ce jeu. C’est compliqué d’attirer des sponsors si ce risque est omniprésent. Je ne dirai pas qu’on n’en aurait pas fait partie mais le fait de savoir que cette ligue est prévue sur le long terme nous permet d’investir plus sur l’infrastructure ou les salaires des joueurs. »
Admis à l'ancienneté
La Clash Royale est la première ligue « franchisée » à avoir ouvert les portes à certains de ses clubs historiques. Un fait rendu possible grâce à l’absence de prix d’entrée dans la ligue. Ainsi, Team Queso et Tribe Gaming figurent dans les ligues européenne et nord-américaine aux côtés des grands noms que sont Cloud9, TSM ou CLG.
Pour Patrick « Chief Pat » Carney, le CEO de Tribe Gaming : « On est la seule équipe CRL américaine qui était sur Clash Royale à l’origine et honnêtement on avait des doutes sur l’engagement réel des autres équipes sur mobile mais, on a pu voir qu’ils traitaient Clash Royale comme n’importe quel autre jeu. Pour nous, être associés à ces sept organisations alors que nous sommes concentrés sur le mobile et que nous n’avons qu’une année d’existence, c’est génial mais c’est aussi un défi, on va devoir garder le rythme. »
L’Espagnol Jesús Valera «Soking» Ruiz, joueur historique de la Team Queso, nous a confirmé son bonheur de poursuivre sa carrière avec la structure espagnole née il y a quelques mois sur Clash Royale : « Je suis heureux de re-signer dans mon équipe et je suis fier de pouvoir jouer cette ligue sous le maillot qui m’a amené jusqu’ici. ». De son côté, le joueur américain Ian «Oxalate» Smith est resté chez Tribe Gaming malgré les offres d’autres clubs : « Je me sentais bien ici, ils savent ce qu’ils font et je pense que c’était ma meilleure option. »
En dehors de ces deux privilégiés en revanche, d’autres structures comme Sandstorm ou Movistar Riders ont dû se contenter d’une place dans la ligue LATAM (Amérique du Sud). Une division qui n’a rien à envier à l’Europe ou à l’Amérique du Nord sur le plan sportif mais qui bénéficie d’une exposition moindre et d’une production de moins bonne facture.
Du trône à la cité des anges
Afin d’intégrer la Clash Royale League, les joueurs ont dû se faire repérer et se faire drafter par les différentes écuries participantes. Sur le papier, les structures pouvaient signer jusqu’à deux recrues de leur choix et laisser la porte ouverte à deux autres joueurs du Combine, le système de qualification ouvert à tous les joueurs Clash Royale.
Au début de l'année, Supercell invitait l'ensemble des joueurs à se lancer dans un défi 20 victoires, les meilleures d'entre eux ont ensuite eu la possibilité de disputer plusieurs qualifications en ligne pour intégrer le Combine. C'est dans ce cercle fermé de joueurs performants, dans lequel figurait des professionnels, des semi-professionnels mais aussi des amateurs, que les structures ont fait leur marché en amont de la ligue. Tous n'ont pas été sélectionnés et certains pros sont restés sur le carreau.
Cette ouverture à tout un chacun est l’un des arguments mis en avant par Supercell pour vendre les mérites de sa ligue jusqu’à en faire le thème de son trailer de lancement. Tout le monde peut participer à la compétition et « devenir pro ».
Dans la réalité, les choses sont bien différentes, la plupart des joueurs de CRL étaient professionnels ou semi-professionnels avant d’intégrer la ligue et ceux d’entre eux qui ont été draftés grâce aux Combine sont pour le moment cantonnés au banc.
Titulaires, remplaçants, professionnels ou amateurs, tous ont déménagé à Los Angeles pour jouer la ligue dans des conditions similaires à celles de l’Overwatch League : « Les structures doivent avoir une maison pour les joueurs, les équipes jouent leur match au même endroit dans nos studios mais vivent à des endroits différents de L.A. » souligne Tim Ebner.
Si les structures n’ont pas eu besoin d’investir pour entrer dans la ligue, elles sont tenues de proposer un logement et un lieu d’entraînement à leurs joueurs. Certaines se « contentent » d’une gaming house, d’autres fournissent un accès à des infrastructures bien plus complètes, c’est le cas chez Counter Logic Gaming comme nous l'indique Nick Allen : « on a un centre de performance, une installation dans laquelle les joueurs sont tous les jours. Ils ont leur propre matériel, on a répliqué certains aspects de la scène comme les podiums dans leur salle pour qu’ils puissent s’y habituer ». Supercell a également imposé un salaire minimal à tous les joueurs mais l’éditeur n’a pas souhaité nous en dévoiler son montant.
En quelques semaines, les joueurs sont passés d’un environnement amateur ou semi-professionnel à un encadrement complet : « nos joueurs se réveillent à 08h00, prennent le petit-déjeuner et s’entraînent à partir de 09h00 jusqu’à environ midi. Ils essayent de nouveaux decks, jouent les défis, font des scrims contre notre équipe académie ou d’autres formations de la ligue. Ils déjeunent ensemble à l’extérieur, l’entraînement reprend vers 13h00 toujours avec des scrims, le 2vs2, on discute et on établit de la stratégie jusqu’en fin d’après-midi » nous explique William « Woody » Wix, le manager de l’équipe 100Thieves.
Un changement drastique dans les habitudes des joueurs mais aussi dans leur mode de vie, notamment pour les étrangers. Le Français Jarod «Azilys» Quesada, joueur de Team Liquid, s’est confié sur son arrivée aux Etats-Unis : « Le déménagement a été compliqué, je ne vois plus ma famille ni ma copine, il faut s’habituer à vivre tous les jours en mode gaming, ce n’est plus comme à la maison. J’ai prévu de rentrer en France d’ici deux mois et entre les saisons pour aller voir mes proches. »
Le dépaysement n’a pas que des avantages, surtout pour ces jeunes joueurs qui n’ont pas véritablement eu l’occasion de connaître ce type de rythme auparavant, ce qui n’était pas le cas des joueurs Overwatch par exemple, qui ont parcouru le monde entre l’APEX en Corée et les événements aux États-Unis pendant près d’une année avant le lancement la ligue officielle à Los Angeles.
Des inconvénients qui font partie intégrante du métier, mais globalement, les joueurs sont tous très heureux du virage pris par Supercell : « On a commencé avec des tournois en ligne, puis à Paris à l’ESWC, et maintenant aux Etats-Unis c’est génial. » nous a confié Frank « Surgical Goblin » Oskam, l’un des joueurs les plus expérimentés et titrés de la scène et qui évolue désormais chez Team Liquid.
Les divisions européenne et nord-américaine de la Clash Royale League sont lancée depuis le 21 août, les matchs ont lieu toutes les semaines entre lundi et vendredi. Retrouvez le planning et les résultats sur notre article de suivi.
Crédits photo : Arena of Valor, Supercell, Esports Marca, 100Thieves, LoL Esports.