Crédits photos : Inven Esports
SK Telecom T1 abdique dans ce Summer Split. En plus de ne pas avoir disputé les playoffs pour la première fois de leur histoire, l'équipe a raté la qualification pour les Worlds, en Corée du Sud. Battus par les Gen.G au cours d’un énième rendez-vous manqué, l’équipe triple championne du monde tire un trait sur une saison chaotique et sur l’espoir de se reposer indéfiniment sur ses protégés, ceux-là même qui forgèrent un jour la légende SKT T1. Rien n’augurait d’une saison comme les autres pour une équipe à la peine depuis le début d’année et qui ne s’est jamais remise de sa défaite en finale des Worlds face aux Samsung Galaxy, il y a bientôt un an. Une lente régression visible dans le jeu depuis, jusqu'à l’apathie des dernières semaines qui brosse le portrait d'une équipe souffrante, sans âme.
Sans âme et sans armes
Le segment d’été 2018 s’est employé à négocier jour après jour la peau de l’équipe la plus titrée au monde. A l’heure d’aborder la compétition en juin dernier, la méforme des joueurs SKT T1 est de notoriété publique : les joueurs sont à la peine dans des secteurs de jeu où leur large supériorité dénotait encore quelques mois auparavant. L’avènement du patch 8.11 tôt dans la saison a d’ailleurs poussé une équipe fragile dans ses derniers retranchements. SK Telecom T1 n’a jamais répondu à l’exigence d’un changement radical de la meta et s’est retrouvé confronté à des adversaires en maîtrise face à ces nouveaux enjeux. Le peu d’automatismes présents dans les rangs n’a pas permis d’appréhender avec suffisamment de hauteur les stratégies funneling qui ont tourné au ridicule entre les mains d’SKT T1, alors recroquevillée dans des swaps lanes sécuritaires et dans des extensions de champion pool contestables. Le Darius botlane de Faker ou la Lulu de Bang ont été moqués à juste titre en travestissant toute la rigueur d’une équipe habituée à l’excellence.
Le plan de jeu SKT T1 n’a souffert d’aucun parti pris, juste d’approximations béantes. Toute l’expérience du plus haut niveau, de l’intensité des finales ou du temps passé à décortiquer chaque parties ne peut emporter l’absolue nécessité d’avoir un regard neuf sur le jeu. L’effectif SKT T1 est encore aujourd’hui un effectif de vétérans et Faker, Wolf ou Bang sont dans l'impasse à partir du moment où le moindre repère n’en est plus un. Le désastre de la première semaine de compétition a par ailleurs souffert de ce contexte précis et d’un total de zéro matchs gagnés par SKT T1. Une performance.
La déroute face à MVP en deuxième semaine est à cet égard riche d’enseignements. Sans faire dans la demi-mesure, la titularisation en bloc de l’équipe B a entériné du côté du staff l’importance de retrouver un sens de l’équilibre en jouant la carte de la concurrence passive au sein du collectif SKT T1. La débâcle qui s’en est suivie a quant à elle défini l’inutilité de cette démarche et un banc de touche inexistant chez les triples champions du monde. L’inquiétude s’est-elle emparée du staff en réalisant que ni l’effectif vieillissant ni les rookies placardisés ne feraient la différence dans cette meta ? Sans doute.
Faker, premier fusible
Talent sans égal, le midlaner SKT T1 a façonné un peu plus sa légende cette saison en portant à bout de bras une équipe malade lorsque les regards se sont faits plus insistants en milieu de saison. Les prestations lors des Telecom War sont à porter à son crédit, sans réserve. Et son indémodable Ryze aussi. Heureusement que Faker était présent pour veiller sur ses coéquipiers lorsque personne dans la maison SK Telecom T1 n’a su motiver les troupes, ou dégager un semblant d'unité. Comme un phare au beau milieu de la tempête, frappé par les mêmes difficultés que le groupe, surpassant son entente désastreuse avec Blank en jungle et ignorant les pires rumeurs concernant son implication au sein du collectif, Faker est la rare satisfaction d’une saison en forme de chemin de croix. De toutes les individualités en nette perte de vitesse, son cas est le dernier des sujets à débattre.
Son absence sur cette fin de Summer Split est par contre un vrai tour de force. Le retour à une meta plus dense sur le patch 8.13 et le léger mieux entourant les performances de chacun, notamment Bang au bot, coïncide de façon paradoxale avec l’éloignement de Faker du poste de titulaire. L’équipe a même gagné en cohérence sur cette fin de split : la communication semble avoir repris le dessus dans la macro SKT T1 et Pirean a assuré un remplacement des plus dignes sur la midlane. La décision de se passer des services du pur produit SKT T1 n’en demeure pas moins étrange. Une énigme qui renvoie exclusivement à la question de la responsabilité du staff cette saison, de son travail et de son management globalement défaillants.
Apprendre chaque jour
Tout porte à croire que le coaching staff SKT T1 a été dépassé par les évènements et n’a pas su gérer au mieux la quantité d’égos au sein du groupe. Avant la relative stabilité des dernières semaines, tirée d’un retour dans une certaine zone de confort, les coachs SKT T1 ont essuyés plusieurs déconvenues. Dans leur travail d’analyse et de préparation en amont, d’abord, en accusant un retard conséquent sur les enjeux de la meta en début de saison. Des drafts bancales et des stratégies désuètes à l’origine de lourdes contre-performances ont jeté le discrédit sur les méthodes de travail de l’équipe. Comme un refus de s’adapter, voire d’un déni de la réalité du moment, kkOma, Bengi et les autres n’ont pas donné aux joueurs les meilleures chances de s’améliorer lorsqu’il en était encore temps. Car ne pas pratiquer la meta est une chose, se priver des points forts de chacun en est une autre. Attendre la sixième semaine pour enfin voir Bang faire parler son Ezreal est inconcevable.
La piste d'une conception erronée du progrès s’accrédite également au travers de toutes les rotations de line-up effectuées cette saison de façon impulsive et presque incohérentes. Surement le meilleur moyen de ne jamais privilégier un groupe fort capable de progresser ensemble et de développer une vraie complicité. La titularisation de Blank, de Bang ou même d'Effort sur la quasi totalité du split est à ce sujet un épais mystère, si l’heure de dresser quelques comparaisons est venue.
La gestion du cas Faker est difficile à admettre tant elle paraît maladroite. Tous les éléments ne sont évidemment pas à la disposition du grand public mais le sentiment d’injustice domine au regard d'un choix assumé, qui apparaît comme une sanction plus qu’autre chose. Si tel est le cas, en connaître les tenants et les aboutissants aurait le mérite d’être instructif. A contrario, la thèse de l’incompétence des hommes de l’ombre prendrait de l’ampleur, car rien ne justifie dans le jeu une telle mise à l'écart. La balance penchera toujours du côté du légendaire midlaner.
L'espoir d'accrocher une qualification pour les Worlds en octobre est maintenant révolu et pousser la métaphore jusqu’à évoquer un champ de ruines serait excessif, l’équipe a su relever la tête sur la fin de saison et bénéficie de beaucoup de circonstances atténuantes. Quelques nouveaux visages ont par ailleurs apporté un léger vent de fraîcheur au milieu d’un effectif séculaire en panne de renouvellement, mais tout cela est insuffisant.
SK Telecom T1 doit aussi tourner la page. L'époque du standing à la SKT T1 a laissé place à un ensemble vétuste incapable de réaction et d'initiative. Comme un symbole, la défaite fatale infligée par les Gen.G aujourd'hui montre que l'avenir appartient à ceux qui bénéficient d'un nouveau regard sur le jeu, qui ne soit pas entravé par des années de pratique assidue à haut niveau. SKT T1 n'est pour l'instant pas en mesure de sortir les nouveaux prodiges de demain et l'écurie va probablement devoir se porter sur de jeunes talents locaux pour assurer sa pérennité. Cette année encore, nombreux sont les jeunes prétendants prometteurs à s'être illustrés dans le championnat Coréen. Apporter aux grands joueurs de demain un vrai savoir-faire et une vraie discipline est maintenant à la portée d'une marque qui doit transiger avec son propre modèle éthique et économique.
La probabilité de revoir les grands noms d’SKT T1 sur les tablettes l’année prochaine n'a jamais été aussi faible. Aujourd'hui, c'est toute une structure qui est condamnée à se moderniser, mais aussi apprendre à se défaire d’un passé lourd à porter.
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