Mise à jour : petite précision, il a été révélé fin 2017 que la vidéo de Leeroy Jenkins était un fake. Mais comme dirait le Chevalier Bohort "Attendez, il faut que ce soit vrai tout ce qu'on dit là ?" Bohort, Kaamelott, saison 1, épisode 54, Le Serpent Géant du Lac de l'Ombre.
En ce 11 mai 2018, c'est le treizième anniversaire de la légende de Leeroy Jenkins. 13 ans en arrière, il lançait seul son paladin face à la mort, entraînant avec lui son groupe et engendrant malgré lui la naissance d'un mythe. 13 ans plus tard, son nom est toujours ancré dans la culture jeux-vidéo-ludique. Ne lassant pas le joueur, de clin d'oeil en easter eggs on aime toujours le croiser dans nos jeux favoris, mais pourquoi ?
La web-série néo-zélandaise « The Epic NPC Man » a récemment consacré un épisode à Leeroy Jenkins. Dans la scène de départ, un joueur, probablement le chef de guilde, briefe ses compagnons à l’entrée d’une grotte qui semble être une instance PvE. Parmi eux, Leeroy Jenkins écoute mais grouille d’impatience d’en découdre. En témoigne son impossibilité à tenir en place et la musique qui nous fait sentir que le moment arrive…
Leeroy lance alors à ses compagnons « Très bien, les mecs, allons-y ! », commençant à entonner son fameux cri de guerre quand un PNJ lui applique l’index sur la bouche, lui intimant de se taire : « Chuuuuut ! Laisse tomber, fiston ! […] Cette blague… Elle a plus de 10 ans […]. C’est vieux, ça a été trop fait et ce n’est pas original ! Ok ? Maintenant, dégage ! ».
Incrédule et gêné, Leeroy quitte la scène, mais change quand même d’avis et, l’épée a la main, traverse le groupe en courant vers la grotte au cri de « Leeroy Jenkins ! ». Le PNJ nous regarde alors… et nous juge, parce qu’en dépit de sa mise au point, aussi juste et vraie soit-elle, ce que l’on voulait c’était voir Leeroy Jenkins être Leeroy Jenkins et on aurait été déçu s’il ne l’avait pas fait. Même après en avoir soupé pendant 13 ans, on continue à l’adorer. Leeroy Jenkins serait donc un plaisir coupable… ou peut-être est-il bien plus que cela ?
La revanche du troisième homme
Dans la vidéo originale, celui qui semble être le chef de guilde briefe son groupe a l’entrée du Pic Rochenoire Supérieur. Il ne semble pas plus motivé que cela a l’idée de vider l’instance, juste parce que le paladin de l’équipe, Leeroy Jenkins a besoin de loot des épaulières sur le boss. Pourquoi parle-t-il de Leeroy Jenkins a la troisième personne ? Même s’il était AFK au moment du briefing et qu’il est revenu juste avant de foncer dans le tas, briefer un groupe en l’absence du joueur pour lequel on s’apprête à faire l’instance n’est pas nécessairement la meilleure méthode quand on veut que les consignes soient comprises. En outre, les soupires agacés du leader pourrait indiquer qu’il ne porte pas une estime démesurée a son paladin. Partant, c’est à ce dernier que notre sympathie va instinctivement. Il est à la fois le protagoniste de la conversation, le personnage en difficulté et l’incarnation d’une situation à laquelle nombre d’entre nous a été confronté : celle du chef qui tient peu compte des joueurs de son groupe. C’est donc d’abord parce qu’il est si facile de s’identifier à lui que Leeroy Jenkins est devenu populaire.
L’éloge de l’absurde
Un jeu se joue selon ses règles et c’est précisément ce qui fait son intérêt : obtenir une victoire en dépit des contraintes imposées. World of Warcraft n’y fait pas exception en nous soumettant à un ensemble complexe de règles, certaines touchant tous les joueurs, d’autres variant selon la race, la classe, le stuff, etc. À ces règles délivrées par le jeu lui-même, les joueurs ont ajouté des règles de leur création. La guilde, cette petite communauté organisée, offre la possibilité de jouer ensemble, sous réserve de l’acceptation des règles du groupe. En fonction des guildes, la hiérarchisation est plus ou moins poussée et certains membres se voient gratifiés de pouvoirs sur leurs compagnons. On les appelle chefs de guilde ou officiers et ils édictent les règles internes à respecter pour continuer à faire partie du groupe. Si la hiérarchisation des guildes est certainement nécessaire à la progression in game, il n’en demeure pas moins que dans tout système hiérarchisé, la transgression devient un tabou et en tant que tel, elle fascine.
A cet égard, Leeroy Jenkins est une figure de transgression. En fonçant dans Rochenoire, bille en tête, ignorant la parole de ceux qui fixent les règles et donc, ceux qui savent, il devient le petit grain de sable qui fait exploser le rouage. Au fond, il nous rappelle que WoW est un jeu et que si le jeu doit se jouer selon les règles, il peut aussi se jouer par l'absurde.
Petites pertes et grands profits
La dernière partie de la vidéo montre la guilde de Leeroy se précipitant dans l’instance à son secours. On entend un joueur dire « Save him! – Sauvez -le ! ». Bien sûr, dans l’opération, il se prend aussi une volée de noms d’oiseaux, ce qui est assez compréhensible, mais personne ne l’abandonne et tout le monde prend sa part dans la mission suicide, même ceux qui paniquent, râlent et l’insultent. Et c’est aussi cela qui rend la séquence attachante ; en dépit de l’agacement, la guilde a rempli sa fonction : jouer ensemble, dans la victoire comme dans la galère.
La vidéo se termine sur un écran de rez. Avec le recul, la création du mythe Leeroy Jenkins n’aura couté à ses compagnons que quelques pièces d’or en réparation et 3 minutes perdues sur leur temps de jeu. L’histoire ne dit pas si Leeroy a ensuite été exclu du roster, mais sa popularité planétaire aura sûrement participé à sa rédemption.
La blague est certes vieille, elle a été vue, revue, peut-être trop vue, mais c’est sa répétition et son nombre infini de déclinaisons qui pourraient créer la lassitude. Le souvenir de l’original, lui, reste intact. Leeroy Jenkins nous a appris que ça fait parfois du bien de transgresser les règles, que le jeu n’est qu’un jeu et que le héros de ce jeu, c’est vous.