Les loot boxes
Alors que le concept existe depuis très longtemps via les TCG et autres free-to-play, les micro-transactions sous forme de «boîtes surprises» au contenu aléatoire s'immiscent désormais de plus en plus dans les campagnes solo de AAA pourtant déjà vendus plein pot et offrant souvent d'autres contenus annexes payants, comme des DLC et des season pass. On fait le point sur cette nouvelle forme de paywall qui rapporte très gros aux éditeurs.
L'effet Kinder Surprise
Finalement, quelle différence y a-t-il entre le vidéaste qui se paie 100€ de tickets à gratter en vidéo face à celui qui achète pour la même somme de packs de cartes ou autres boîtes remplies de contenus aléatoires ? Le plaisir qu'en tire le viewer est exactement le même : cette petite curiosité malsaine qui pousse à savoir si la personne que l'on suit sera chanceuse, pour ensuite voir sa réaction si c'est effectivement le cas, voilà pourquoi ce genre de vidéo a un effet que l'on pourrait qualifier d'«hypnotisant» sur bon nombre de personnes, et en particulier les plus jeunes. Le contenu payant planqué derrière les loot boxes se doit alors d'être suffisamment intéressant et impactant afin de maximiser l'enjeu de chaque ouverture et que tout le monde ait sa petite décharge d'adrénaline avant de voir ce qu'elles contiennent réellement.
Le concept de ces «Kinder Surprise» virtuels est loin d'être récent et depuis très longtemps déjà, de nombreux f2p utilisent ce procédé, à fortiori sur mobiles. Ces lootcrates se rapprochent effectivement des titres basés sur des modèles économiques de gashapon. Si le principe vous est inconnu, il s'agit de ces machines à pièces distribuant de petits jouets, mais à l'échelle d'un jeu vidéo : grâce à différentes devises in-game, le joueur peut s'offrir un tirage à une loterie en espérant bien évidemment tomber sur un monstre, un objet ou une technique qui va lui permettre de gagner considérablement en puissance. Si les droits d'entrée à ces loteries sont distribués généreusement en début de partie, bien souvent avec des résultats contrôlés ou/et similaires pour tous, il sera bien plus difficile d'en acquérir après quelques heures de jeu, rendant ainsi le passage en caisse pour quelques tirages supplémentaires de plus en plus tentant. Ces jeux cartonnent au Japon et commencent doucement mais sûrement à faire leur trou en Europe, avec des représentants de choix comme Dragon Ball : Dokkan Battle, Final Fantasy Brave Exvius ou Fire Emblem Heroes, encore et toujours sur mobile.
Fire Emblem Heroes, un bon exemple du modèle gashapon.
Tu pousses le bouchon un peu trop loin Maurice
Là où ce système devient problématique, c'est lorsque les contenants tiennent une partie trop importante dans le game-design d'un jeu, le transformant en véritable casino entouré d'un gameplay poussant parfois à la consommation : le meilleur argument des développeurs pour contrer le fait qu'il s'agisse purement et simplement de contenus cachés derrière un paywall, c'est que tout peut se débloquer en jouant «normalement». L'exemple le plus récent et le plus probant provient d'un titre qui n'est même pas encore sorti : Star Wars Battlefront 2. Si EA et Dice ont basé leur communication sur l'absence de DLC et de season pass, il semblerait que l'on se dirige vers des boîtes au contenu fleurant bon le pay-to-win, soit des avantages concrets in-game pour les joueurs qui mettront toujours plus d'argent sur la table.
Concrètement, à l'heure où ces lignes sont écrites, le seul moyen de débloquer de nouvelles armes et compétences dans BF2 est d'ouvrir ces fameuses boîtes, soit pour les acquérir directement de manière aléatoire, soit via des composants qui serviront ensuite à crafter l'objet de votre choix. Le problème ? Les matériaux sont très rares et les coûts beaucoup trop élevés pour le joueur moyen, d'autant que tout est fait dans ce système de Star Cards pour vous pousser à essayer d'avoir les meilleures, puisque ces dernières sont divisées en 4 tiers de rareté... C'est un exemple parmi tant d'autres, mais il s'agit là d'un exemple concret d'usage abusif de ce système de boîtes à loot.
Ouverture de caisses sur la bêta de Star Wars : Battlefront 2
Quelques exemples de titres payants et récents proposant des loot boxes :
- Destiny 2
- Forza Motorsport 7
- Middle-earth : L'ombre de la Guerre
- Star Wars Battlefront 2
- For Honor
- Battlefield 1
- PUBG
Tant que j'gagne, je joue
Il y a donc des éditeurs qui abusent de ce genre de pratiques et si tout est effectivement accessible in-game, le grind est parfois un passage obligé : on ne joue plus alors à un jeu pour profiter de ses mécaniques ou de son univers, mais on «travaille» pour acquérir ce qui était auparavant inclus d'office. Au contraire des micro-transactions «classiques», les boîtes ne nous laissent pas non plus «choisir» ce que l'on achète, ce qui est encore plus pervers puisque pour rentabiliser son achat, il faut avoir la chance de tomber sur le contenu que l'on souhaite, on en revient alors à des mécanismes qui s'approchent du simple casino.
Comme évoqué dans ce thread Neogaf sur les loot boxes du prochain Assassin's Creed, certains studios n'hésitent pas non plus à annoncer que ces dernières sont «gratuites», pour éviter un gros retour de bâton de la communauté et des journalistes lors du lancement d'un soft, soit le moment où le plus gros des ventes se fait, pour finalement taxer ces loot boxes quelques mois plus tard. Après les DLC, la loot box est un peu le nouvel eldorado des éditeurs, puisqu'il s'agit finalement de micro-transactions emballées dans de jolis paquets cadeaux dont l'ouverture est rendue ludique grâce à de nombreux artifices, et ça fonctionne, très, très bien. Comme le souligne l'analyste ZhugeEX sur Twitter, Activision-Blizzard a récolté pas moins de 3,6 milliards de dollars par ce biais l'an dernier. Un succès qui explique probablement la surenchère de ces derniers mois : la grande majorité des AAA permettant désormais d'engranger différentes monnaies ou des points d'expérience, même dans des softs qui ne s'y prêtent pas forcément comme Forza Motorsport 7 pour prendre un exemple tout récent, disposent d'un système de loot box.
Y a pas de petites économies
Puis quand la chance vient à manquer, il est parfois possible de la forcer : des titres comme Counter Strike, ou plus récemment PlayerUnknown Battlegrounds, laissent les joueurs créer de véritables économies parallèles par le biais des loot boxes et de leur contenu. C'est grâce (ou plutôt à cause) de cela qu'une skin de couteau sur CS:GO achetée plusieurs centaines de dollars n'émouvra plus grand monde aujourd'hui, les sites de revente étant désormais légions, avec un marché particulièrement bien rôdé. Un chemin que semble suivre le battle royale phénomène de Bluehole, avec ces fameuses caisses Gamescom dont les contenus les plus rares sont partis à prix d'or sur le marché Steam : rappelons qu'il n'y a ici aucun autre intérêt que celui d'avoir un personnage plus à son goût.
Il s'agit néanmoins de cas isolés et au risque de nous faire les avocats du diable, les AAA incluant des systèmes de loot boxes intrusifs et donnant accès à du contenu autre que cosmétique sont finalement encore assez rares, quoiqu'en très nette augmentation depuis ces derniers mois. Au risque de paraitre défaitiste, comme pour les DLC et les season pass, ce système s'introduit dans la grande majorité des jeux petit à petit jusqu'à ce que l'on s'y habitue, puis qu'on ne se rende finalement plus compte qu'elles existent. D'ailleurs, vous ne vous en souvenez probablement pas, mais en 2013, une personnalité de l'industrie avait une vision déjà bien précise des surprises virtuelles pour lesquelles le joueur devrait mettre la main à la poche : avec Curiosity - What's Inside the Cube, Peter Molyneux menait une expérience particulièrement intéressante. Il s'agissait d'un «jeu» multijoueur dans lequel les participants pouvaient acheter des outils de destruction plus efficaces avec de l'argent réel afin de miner un cube géant, ce dernier contenant une surprise «exceptionnelle» pour qui porterait le coup final. Si Curiosity était considéré comme une énième fantaisie du créateur de Fable à l'époque, y repenser dans le contexte actuel donne un sens beaucoup plus concret à cette boîte cassée en grande partie à coups de micro-transactions.
Du «gameplay» pour Curiosity
Réguler pour mieux sauver
Les loot boxes dans le sens auquel on l'entend aujourd'hui sont un concept encore assez jeune, mais déjà capable de toucher des centaines de millions de joueurs et de tout âge. Ce système, très lucratif, est adopté par de plus en plus de studios et étant donné sa nature, des solutions doivent être apportées par les différents acteurs de l'industrie afin de prévenir le grand public sur ce qui peut devenir une addiction chez certaines personnes déjà sensibles aux jeux de hasard (car il ne s'agit finalement que de cela). Le concurrent de Metacritic sur le rassemblement de critiques vidéoludiques, Open Critic, fait d'ores et déjà un premier pas dans le bon sens en indiquant sur son compte Twitter que leurs fiches de jeux indiqueront bientôt le modèle économique et prendront en compte les différentes pratiques déployées par un éditeur (le soft dispose-t-il de loot box, servent-elles uniquement pour l'achat de cosmétiques, etc), le genre d'initiative que l'on espère voir de plus en plus se développer à l'avenir. Dans le même ordre d'idée, le gouvernement chinois a également sauté le pas il y a peu, en obligeant les éditeurs à rendre public les taux de probabilité d'obtention des objets dans les coffres. En attendant d'autres actions concrètes, les joueurs vont fatalement devoir apprendre à vivre avec le fait que davantage de contenu soit caché derrière un paywall qu'ils peuvent néanmoins traverser, à condition d'accorder énormément de temps à un titre en particulier, mais vous connaissez l'expression : le temps, c'est de l'argent.