Dossier : la franchise The Walking Dead
Depuis sa création en 2004, le studio américain Telltale Games en a fait du chemin. Plus de 10 ans et de nombreuses franchises, plus ou moins réussies, telles que les Sam & Max, Les Experts ou Tales of Monkey Island, la boîte TG tente un pari fou. Tenter de s’approprier et de réadapter les comics The Walking Dead de Robert Kirkman, et ce alors même que la série éponyme connaît un succès retentissant. Entre les fans de la première heure de la bande dessinée, et les inconditionnels de la série télé, le challenge est de taille et le studio est attendu au tournant. Mais comme souvent, la passion est dévorante et se meurt rapidement. On est en droit de se demander si l’essor qu’ont connu les trois premières saisons ainsi que leurs différents DLC était mérité, ou simplement justifié par l’enthousiasme que provoquait à l’époque un nom tel que « Walking Dead ». Maintenant que la hype est passée, que peut-on attendre de la 4e saison, actuellement en cours de développement ?
The Walking Dead
Sorti en avril 2012, dans un premier temps uniquement en anglais, The Walking Dead a littéralement soulevé les foules. Rapidement récompensé par le prix du « jeu de l’année » aux Video Games Awards, il s’était vendu à plus de 8,5 millions d’épisodes en moins d’un an, toutes plateformes confondues. Pas mal, pour ce qui était initialement un Point & Click, dont sont habituellement peu friands les gamers. En mars 2013, fort de son succès un patch intégrant un sous-titrage intégral en français vient parfaire le tableau et augmenter l’accessibilité et la réussite du titre. Une solide réputation, jouable sur de nombreuses consoles de salon et portables, PC ainsi que mobiles et tablettes, la franchise semblait avoir tout en main pour dévorer l’univers du gaming, et ce malgré un PEGI 18 lourd à porter.
Des personnalités qui ne vous laisseront pas de marbre
Avant de se lancer dans la présentation des protagonistes et la sympathie ou la haine qu’ils nous inspirent, il faut garder en tête que plus proche du récit interactif que du jeu d’aventure, The Walking Dead est un divertissement dont on ne sort pas indemne. Lee Everett, le personnage que vous incarnez, est un homme accusé du meurtre du sénateur avec lequel sa femme avait une liaison. Un criminel qui reste malgré tout humain, sujet à des pulsions meurtrières lorsque la personne qu’il aime le plus le blesse de façon profonde et indélébile. S’il est bien sûr impossible de cautionner ce geste, on ne peut cependant pas éviter de ressentir de la compassion à son égard.
Néanmoins, là où The Walking Dead fait très fort, c’est que contrairement aux apparences, c’est davantage Clementine qui peut être considérée comme l’héroïne de cette aventure. Cette fillette de 8 ans se retrouve seule, dans un monde apocalyptique, peuplé de zombies affamés de viande fraiche. Apeurée et « sans défense », elle n’en reste pas moins courageuse et douce. Son innocence ainsi que sa personnalité déjà mature pour son âge, finissent d’en faire l'un des personnages les plus attachants créés dans les jeux vidéo. Dès notre rencontre avec Clementine, nous n’aurons qu’un objectif : la protéger, coûte que coûte. D’autres protagonistes secondaires, et pas des moindres, rejoindront l’aventure en cours de route et disparaîtront au gré des aléas ou de morts violentes… De Kenny, l’individualiste à Carley, la perspicace journaliste en passant par le petit Duck ou la paranoïaque Lily, la personnalité de chaque individu est brossée.
Au-delà d’offrir de la profondeur au scénario ainsi que de responsabiliser le joueur, puisque ses choix et actions influent sur la nature de ceux qui l’entourent, l’idée est de créer des dilemmes impossibles. Nonobstant leurs défauts, les protagonistes ne laissent jamais indifférents, haïs ou aimés, le jeu s’amuse à nous torturer en inversant les rôles. La qualité des personnages, avec tous ces points qui font leur personnalité nous les rend finalement si humains qu’aucune décision ou action ne peut s’avérer être exclusivement bonne ou mauvaise. La vérité est que peu importe qui ils étaient au départ, ils ne sont désormais que des êtres essayant tant bien que mal de survivre dans un monde dominé par la peur, la trahison et où la mort attend une seconde d’inattention ou de compassion pour surgir. Lee lui-même, malgré sa moralité, malgré le prix à payer souvent très élevé, prendra les décisions qui s’avèreront nécessaires pour garantir la protection de Clementine. Au sein d’un groupe de survivants prêts à exploser, il prendra rapidement la place d’un père de substitution pour la fillette et n’hésitera pas à sortir les crocs, poings ou fusils pour la protéger. Autre point à ce sujet, ne se contentant pas uniquement d’être le phare dans la nuit de cette aventure, la petite fait également office de conscience morale. Nombreux sont les joueurs qui avaient initialement décidé d’abandonner une personne ou d’en torturer une autre, et qui renoncent en croisant le regard de Clementine. L’intégrité physique de la gamine n’est pas le seul enjeu, sa candeur ainsi que son sens moral seront votre priorité. Il n’y a pas à tortiller, Telltale Games nous offre là un jeu qui parvient à capter les émotions sans verser dans le pathos asthénique.
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Un monde où l'anarchie est la seule règle...
Soyons clairs, la vocation principale de The Walking Dead n’est pas tant de tester vos réflexes ou de pousser l’utilisation de votre cerveau à son max, mais d’émouvoir les joueurs et d’ébranler leur certitude. Telltale Games a tout mis en place pour que ce qui vous paraissait au départ comme monstrueux et anormal, finisse par être justifiable, voire même nécessaire. Dans la peau de Lee Everett, un criminel en route pour la prison après avoir été jugé coupable du meurtre de l’amant de sa femme, la galère commence instantanément. Un accident de la route et une rencontre avec l'un des premiers infectés, Lee n’aura pas le temps de souffler. L’histoire débutant quasiment en même temps que l’infection zombiesque, il lui faudra quelque temps pour comprendre ce qu’il se passe. On voit le personnage naviguer entre incompréhension, désespoir, incertitude et instinct de survie. Essayant de trouver un refuge, il tombe sur une Clementine seule et déboussolée. Ignorant ce qui se passe, elle attend avec nervosité le retour de ses parents.
Un criminel et une fillette abandonnée, dans un monde post apocalyptique et rempli de zombies, pas hyper original, mais le scénario promet de nombreux rebondissements. De ce côté, il n’y a pas grand-chose à reprocher à Telltale Games, l’histoire est clairement au-delà des espérances. Après avoir forcé le joueur à adorer ou détester les personnages, il s’amuse à le mettre dans des positions où sa morale et ses sentiments s’entrechoqueront. La personnalité forte des protagonistes permet de créer des dilemmes déchirants, où il faudra prendre parti rapidement et qu’il sera ensuite nécessaire d’assumer. En hâte serait d’ailleurs mieux approprié puisque TWD nous impose des choix cornéliens à prendre en à peine quelques secondes. Parfois même, ces décisions capitales s’effectuent juste après un évènement crucial tandis que le joueur est encore sous le coup d’une émotion. Pour parfaire ce tableau, certaines décisions pourront être assimilées à de la torture mentale, pour leur difficulté ainsi que pour leur finalité. Telltale Games se joue de nous en mettant sur nos frêles épaules plus de poids qu’elles ne peuvent en endurer sans possibilité de fuir. Effectivement, il n’existe aucune bonne réponse, et si le scénario n’est pas fondamentalement bousculé par nos réactions, les morts de certains individus incomberont quand même à nos choix. Au-delà d’un simple Point & Click, The Walking Dead se veut d’être une véritable expérience émotionnelle presque autant que sociale.
Comme dans les comics éponymes, le jeu se construit autour des relations humaines, les zombies n’ont qu’un rôle de catalyseur poussant les personnages dans leur retranchement. Dans un monde où le danger rôde partout et la mort frappe n’importe quand, il faudra composer avec le manque de tout, le temps qui s’égrène, et l’envie de protéger les nôtres. Le tout en gardant en mémoire que finalement nos pires ennemis, se cachent parmi ceux qui nous entourent… L’impression de danger immédiat et permanent suivra le joueur tout le long de ses pérégrinations et il ne cessera de se demander qui sera le prochain à le trahir. La faim, la soif, le manque de sommeil, la peur et l’horreur dans laquelle se trouvent les protagonistes les pousseront à faire de choses abominables sans que l’on puisse réellement leur en tenir rigueur. Face à une situation désespérée, auquel aucun être humain n’est préparé, difficile de rester quelqu’un de bien. Il n’y a ni gentils, ni méchants, juste des survivants pris dans des confits interpersonnels et prêts à échanger leur humanité contre quelques instants supplémentaires de vie. L’histoire ne fait pas de cadeau, la violence physique ou psychologique est omniprésente, et certaines scènes peuvent choquer, même après 15 heures plongé dans l’univers. Dramatique et prenante, l’intrigue est maîtrisée et ne reprend pas la narration des comics, permettant ainsi de toujours prendre le joueur au dépourvu, qu’il connaisse ou non la BD. Cependant, Telltale Games n’en a pas oublié son objectif principal : choper aux tripes et bousculer les valeurs sociétales. Pari tenu pour eux, qui en prime, parviennent à ménager du suspens tout au long de l’aventure avec de nombreux cliffhangers.
Saison 1 - Episode 3 de The Walking Dead. Attention Spoiler !
Une œuvre vidéoludique presque parfaite ?
Lassé des Point & Click classique ? The Walking Dead est fait pour vous ! En effet, plus proche d’une histoire interactive que du jeu d’énigme, les puzzles sont très accessibles. Leur objectif est davantage d’immerger le joueur et de lui créer de cruels dilemmes que de tester son QI ou son sens de l’observation. Le jeu repose principalement sur deux mécaniques en alternant entre QTE et dialogues. Des QTE, imprévisibles et mortelles en cas d’échec, entrecoupent des phases d’exploration simples, mais jamais superficielles. On retrouve bien là les habitudes de Telltale Games qui s’arrange savamment pour les intégrer au script. Elles surgissent sous forme de répétitions rapides sur des touches ou des directions et si la mécanique est bien rodée, elle permet de sortir des codes usuels des Point & Click. Loin d’être répétitive, elle offre une plaisante diversion dans cet univers sombre et son utilisation avec parcimonie est efficace. Les montées de stress provoquées par les limites de temps, aussi bien pour les QTE d’action que pour les choix moraux, sont volontaires afin de réveiller l’instinct primaire en chacun de nous. Devoir choisir qui abandonner, qui tuer, qui sauver, qui suivre dans un court laps de temps et ensuite devoir l’assumer tout au long de l’histoire, c’est là que repose le sel de The Walking Dead.
Les dialogues ne sont pas anecdotiques, puisqu’ils influent sur le caractère et comportement des personnages ainsi que sur les évènements à venir. L’empressement imposé par ce chrono peut parfois agacer, mais permet de ne pas briser l’immersion. Pas le temps de réellement peser le pour et le contre, il faut choisir vite et il est impossible de revenir en arrière. Un peu comme dans la vraie vie finalement… Sauf qu’il ne reste qu’une poignée de survivants qui s’entredéchirent pour des raisons et des finalités qui leur sont propres. Implicite ou explicite, chacune de vos décisions pèsera sur la balance. Sans modifier complètement le scénario, elles affecteront vos rapports avec le reste du groupe créant ainsi de gros problèmes de culpabilité, de morale et de confiance. Les développeurs ont réussi avec brio des QTE impliquant davantage le joueur dans l’action plutôt que de lui faire réaliser des réactions complexes, cependant insipides et aussitôt oubliées. À ce propos, une fois un épisode fini, un récapitulatif des choix effectués vous permettra de vous remémorer vos réactions à certains moments cruciaux ainsi que de comparer avec celles des joueurs du monde entier. Les graphismes proches du cel-shadding, familier de Telltale Games, collent à merveille dans ce jeu issu de comics et lui fait gagner en profondeur et en magnétisme. C’est un quasi sans faute pour TWD, mais on ne peut nier quelques faiblesses du moteur graphique, des animations trop robotiques ou des finitions imparfaites.
