Test : Perception
Issu de la scène indépendante, Perception a été financé grâce à une campagne Kickstarter dont le succès (168 000 $ récupérés sur les 150 000 $ demandés) repose sur le concept original proposé : incarner une aveugle. Cette idée appliquée à un jeu vidéo peut paraître étrange, mais c'était là tout le défi qu'avait à relever The Deep End Games. Comment faire ressentir au joueur ce que peut éprouver un non-voyant en faisant transparaître cela de manière... visuelle, à travers un écran. Bien entendu, le principe repose aussi sur l'usage du son, l'ouïe étant un sens sur-développé chez toute personne privée de la vue.
Le titre qui devait sortir uniquement sur PC en 2016 est finalement sorti le 30 mai 2017 sur les principales machines du marché : PC, PS4, XBox One et Switch. Il est donc temps de "voir" si le pari a été relevé !
Genre :Aventure horrifique
Date de sortie : 30 mai 2017 |
Intrigues dans le Massachusetts
Le jeu nous propose d'endosser le rôle de Cassie, une jeune femme aveugle qui nous explique dès le départ que son handicap a induit chez elle depuis sa plus tendre enfance un problème de confiance. Il lui est difficile de savoir à qui elle peut se fier. Heureusement, en contrepartie cela lui permet de bénéficier d'une ouïe plus développée et, dans ce domaine, Cassie est plutôt douée. Elle arrive à reconnaître les objets qui l'entourent aux sons qu'ils émettent. Et lorsqu'ils n'en produisent aucun, elle peut recourir à sa canne pour créer une résonance et identifier ainsi ce qui constitue son environnement proche.
On appelle cela de l'écholocalisation, et c'est plutôt pratique à vrai dire, surtout pour nous, joueurs qui ne disposons pas des capacités auditives de Cassie. Ainsi, en donnant des coups de canne, cela fait apparaître les objets qui l'entourent dans une espèce d'aura bleutée et éphémère, le temps que le son s'estompe.
Cassie est hantée par des rêves impliquant un obscur manoir. Aussi, se met-elle à la recherche de celui-ci et finit-elle par le trouver. Il se trouve à Gloucester, dans le Massachusetts, à quelques kilomètres de Boston où vit Cassie avec son ami Serge. Elle décide donc de s'y rendre.
L'aventure commence lorsque Cassie arrive au manoir, à 23 h 37 très exactement, ce qui, entre nous, est une drôle d'idée pour aller explorer un manoir abandonné. Cela dit, lorsque l'on est aveugle, qu'il fasse jour ou nuit ne change pas grand chose. Quoi qu'il en soit, le vent souffle fort ce soir là et s'engouffre dans le chemin à grand bruit, ce qui nous permet de bien repérer la route à suivre et la demeure qui se dresse tout au bout de celle-ci. Serge la contacte, il est en route pour la rejoindre et lui demande de l'attendre. Mais rien à faire, Cassie ne veut plus différer davantage sa visite. Elle est bien trop empressée de comprendre ce que cache le manoir...
L'arrivée au manoir de Gloucester
Dans ses songes, Cassie voit systématiquement une corde, un ticket, une pomme et une hache. L'histoire sera donc découpée en quatre chapitres nous emmenant à la rencontre des anciens habitants ayant occupé les lieux à des époques de plus en plus reculées. Nous devrons en découvrir davantage sur eux à travers des objets leur ayant appartenu, mais aussi de cassettes enregistrées et de lettres disséminées un peu partout dans la maison.
Et très rapidement, Cassie va se rendre compte qu'elle est désormais prisonnière du manoir et qu'il s'avère être bien pire que dans ses cauchemars. Il est en effet non seulement peuplé des fantômes de ses anciens occupants, mais aussi d'une présence maléfique qui nous traque et que l'on doit chercher à éviter en étant discret et en se cachant lorsqu'elle se rapproche trop.
Nous commencerons par faire la connaissance du Dr Richard Briard et de Felicia, sa femme enceinte. Plus ou moins rejeté par ses pairs pour ses pratiques, le Dr Briard tente de soigner sa patiente (sa femme) qu'il diagnostique comme psychotique à l'aide de différents traitements. Il semble la garder prisonnière et être de plus en plus effrayé à la fois par la maison et par sa femme. Mais qui est le coupable de cette situation ? Richard, Felicia ou la maison ?
Par la suite, nous croiserons la vie d'autres habitants, tous plus ou moins paranoïaques. Nous traverserons ainsi différentes époques modifiant l'aspect du manoir. Nous y croiserons systématiquement des poupées ainsi qu'un pommier décharné trônant au nord-est du manoir. Et Cassie va devoir mener son enquête afin de découvrir ce que recèle la demeure abandonnée et peut-être aussi, par la même occasion, en apprendre plus sur elle-même...
L'intérieur du manoir sur plusieurs étages
Je vois la vie en bleu
Lorsqu'on lance le jeu, la page d'accueil peut effrayer de par son côté un peu cheap. De plus, le libellé des menus en français se trouve curieusement tronqué, ce qui ne met pas vraiment en confiance comme premier contact. Mais ce serait dommage de se limiter à cela et de ne pas donner sa chance au jeu. En effet, celui-ci s'avère être plutôt de bonne facture par la suite. Pas de surenchère de polygones, bien entendu, n'oublions pas qu'une grande partie de notre vision est remplie de noir, mais un rendu fort honorable. Il faut dire qu'il a tout de même à son générique Bill Gardner, créateur de The Deep End Games et ancien d'Irrational Games, ainsi que d'autres noms du jeu vidéo ayant œuvré avec lui sur Bioshock, Bioshock Infinite et Dead Space. Et l'histoire serait inspirée d'évènements réels liés à Susannah Martin, une ancêtre de Bill Gardner.
Au lancement de la partie, on nous demande de choisir entre une Cassie silencieuse qui n'interviendra qu'aux moments critiques, ou une Cassie bavarde, ce qui est recommandé pour bien faire sa connaissance, surtout que par la suite elle ne s'abusera pas non plus de la parole. Les voix sont proposées uniquement en anglais mais un sous-titrage français est disponible. On notera ici quelques oublis dans le troisième chapitre lorsque l'on utilise l'application Delphi. Et c'est bien le seul problème technique rencontré tout au long de la partie, avec celui des menus.
Nous avions évoqué précédemment la présence d'enregistrements, d'objets et de lettres nous permettant de découvrir l'histoire des anciens habitants. Si pour les enregistrements cela ne pose aucun souci à une aveugle, comment faire avec les objets et les lettres ? Et bien pour les objets, ils déclenchent un souvenir de la personne concernée qu'elle exprime elle-même oralement, et pour lire les lettres, Cassie dispose d'une application sur son smartphone lui permettant de les lire et intituléé Delphi. Autre bonne idée mise en place à l'aide du smartphone : l'application Regard Amical. Elle consiste à prendre une photo que l'on envoie à un membre doté de la vue et qui nous décrit ce qu'il voit. Cela permet d'expliquer à Cassie certains éléments qu'elle rencontre et qu'elle ne parvient pas à interpréter seule, comme une photo justement.
Une poupée intrigante
Au titre des idées astucieuses, on peut bien entendu rajouter aussi celle de l'écholocalisation et de la bonne direction artistique faite de celle-ci. Ce côté tout en noir et bleu a du cachet. Seules variantes, les portes, les objets souvenirs et les cachettes qui apparaissent en vert. Le prochain objectif, lui, apparaît en blanc. Et enfin, en rouge, nous trouverons la présence maléfique. Lorsque le halo de nos pas, habituellement bleuté, se teinte de rouge, il est temps de trouver une cachette.
Pour ce qui est de la bande son, rien à redire. L'ambiance est là avec des effets sonores variés en fonction du type d'objet touché avec la canne, le bruit des pas, mais aussi les incessants murmures qui semblent nous poursuivre et les grognements de la présence maléfique lorsqu'elle commence à nous ressentir et à nous traquer de plus près. Et les musiques, dont la présence reste très modérée, sont bien appropriées aux époques traversées.
Sur le plan pratique, pour finir, on reprochera l'absence d'un système de sauvegarde nous obligeant à nous contenter des sauvegardes automatiques dont le fonctionnement nous a paru obscur puisqu'il a fallu parfois repasser par certaines étapes pourtant déjà effectuées. Et cela peut s'avérer un peu rébarbatif, voire décourageant, il faut bien faire attention au moment où l'on quitte le jeu. Déjà qu'il n'est pas toujours facile de s'orienter dans cette foutue bâtisse sans l'usage de la vue !
Quelques incursions nécessaires à l'extérieur
Je me sens comme oppressé
L'expérience proposée par Perception est une aventure à la première personne reposant sur le principe de l'enquête et de l'exploration. Cela reste du pur story telling, sans réel challenge à relever si ce n'est échapper à quelques dangers émanant essentiellement de la présence maléfique. Il faudra donc fouiller tous les recoins pour découvrir tous les détails du scénario. Cela n'est toutefois pas indispensable et, hormis certaines étapes qui débloquent la suite, la plupart sont dispensables. On pourra donc passer à côté d'un certain nombre d'entre eux sans vraiment s'en rendre compte. Cela s'avère regrettable mais cela l'eût sans doute été encore plus de nous obliger à tous les trouver pour pouvoir avancer, nous obligeant ainsi à tourner longuement dans le manoir.
Ce n'est en effet pas toujours facile de se repérer avec une vision très limitée et on se retrouvera parfois à tourner un peu en rond. Heureusement, certains objets nous aide en produisant du bruit à l'image des radiateurs qui éclairent un peu les ténèbres qui nous entourent. On rencontrera aussi des radios, des télévisions ou encore un carillon que l'on pourra mettre en route afin qu'ils émettent du son. Nous avons aussi à notre disposition les ondes sonores de nos pas, mais cela reste très limité en terme de distance et nous oblige à ne regarder que le sol. Enfin, il reste l'utilisation de la canne que l'on pourra utiliser à répétition afin que notre univers ne "s'éteigne" pas.
Mais attention, car à trop faire de bruit on finit par attirer la présence maléfique. Ce n'est pas le cas partout, mais régulièrement on entendra son râle de plus en plus fort et régulier au fur et à mesure que l'on continuera à être bruyant. Il faudra alors cesser rapidement, tout en repérant une cachette pas trop loin, surtout lorsque notre monde bleu commence à se teinter de rouge et que le grognement devient trop pressant. Cela fonctionne très bien pour faire monter la tension mais la présence maléfique reste du coup assez facile à éviter, sauf lorsqu'elle se rue sur nous dans un sprint endiablé. Il n'empêche que l'on hésitera souvent à trop user de l'écholocalisation de la canne et que l'on se fiera aux objets sonores et à nos pas.
Parfois il vaut mieux se cacher
Heureusement, Carrie dispose également d'un sixième sens que l'on peut activer et qui nous montre (en blanc) où se trouve le prochain objectif (souvent un porte, mais cela peut aussi être un objet). On évitera peut-être ainsi de rester perdu trop longtemps. L'orientation est grandement facilitée, mais ce n'est tout de même pas un chemin guidé, c'est à nous de trouver comment atteindre l'objectif car entre lui et nous, il peut y avoir de nombreux murs que l'on devra parvenir à contourner. Il peut aussi se trouver à un autre étage qu'il faudra parvenir à rejoindre. Et cette fonctionnalité est bien pratique compte tenu de notre cécité car on dispose alors d'un indice sur la direction à suivre sans pour autant nous priver de l'exploration qui demeure la base du jeu.
Le chemin à parcourir reste toutefois relativement encadré. Nous sommes souvent limité à une zone, quelques portes demeurant fermées jusqu'à ce que l'on ait franchi une étape précise. Une fois débloquées, elles nous donnent accès à un nouveau secteur. Certains trouveront donc sans doute l'aventure trop balisée et facile, mais elle se laisse suivre avec plaisir pour qui veut bien se plier aux contraintes imposées.
D'autres reprocheront aussi une durée un peu courte. En effet, suivant que soyez du genre à rusher les objectifs ou à fouiller partout pour découvrir le moindre indice, vous devrez compter entre 3 et 5 h de jeu pour en faire le tour. Cela dépendra aussi de votre aptitude à éviter la présence maléfique car si elle vous empoigne, vous vous retrouverez propulsé en arrière, et parfois un peu désorienté si vous n'avez pas bien retenu le chemin suivi pour rejoindre le lieu où vous vous êtes fait attraper.
Pour ma part, je préfère que le jeu reste dans la lignée qui est la sienne plutôt que de partir dans tous les sens avec une surenchère de quêtes inutiles ou à rallonges à seule fin de prolonger sa durée de vie. Nous avons tous en tête des exemples de ce genre qui, finalement, ne parviennent qu'à nuire à la narration dont on perd le fil, nous désintéressant ainsi petit à petit de la trame principale. Au moins ce n'est pas le cas ici. Et puis, compte tenu du tribut demandé, nous sommes face à un rapport qualité-prix plutôt honorable.
Même dans les ténèbres, on est jamais seul
En tout état de cause, on ne peut pas reprocher à The Deep End Games de ne pas avoir rempli sa mission qui était de parvenir à nous faire entrer dans la peau d'une aveugle et à nous faire ressentir l'angoisse que cela peut générer. Un concept original qui vaut le détour.
Par contre, ceux qui cherchent un jeu d'horreur seront très probablement déçus car si le climat est indéniablement bien mis en place, il s'agit davantage d'un contexte oppressant qu'horrifique. Tout au plus, si vous êtes, comme moi, un peu sensible à ce genre d'ambiance aurez-vous le poil qui se dresse quelques fois. Mais l'atmosphère recherché est bien là. Et c'est bien la moindre des choses puisque, rappelons-le, entre Gloucester et Boston, se trouve tout de même la célèbre ville de Salem !
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Les plus et les moins |
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Concept original et réussi | Peu de liberté d'action | ||||
Écholocalisation | Peu de challenge | ||||
Bonne direction artistique | Pas vraiment effrayant | ||||
Histoire bien menée | Peut-être un peu court |