Depuis quelques années maintenant, le marché de l'eSport est présenté comme le nouveau messie de l'entertainment. Rachat des Elements.LoL par Schalke 04, création d'une verticale eSport sur le site de la chaîne de télévision sportive américaine ESPN, organisation d'une conférence par TF1 sur le thème des jeux vidéos en compétition... L'eSport apparaît aujourd'hui comme une véritable bulle spéculative. Autrement dit, les investisseurs misent massivement sur un secteur dont la croissance est censée être exponentielle. Mais l'est-elle vraiment ? Et surtout, dans quelle mesure les chiffres des audiences de l'eSport annoncés par les différents médias sont-ils fiables ? Un article paru hier sur la rubrique Pixels du Monde.fr a décortiqué ces chiffres ronflants.
Quelques chiffres utilisés par TF1 lors de la conférence mercredi dernier.
800.000 pratiquants sur les jeux vidéos en compétition en France, 27 millions de viewers au total pour la finale des Worlds sur LoL en 2015, 1,5 milliards de spectateurs pour les événements eSportifs pour 2019... le moins que l'on puisse dire, c'est que ces chiffres n'y vont pas avec le dos de la cuillère. Il faut frapper fort, impressionner. Cette tendance ne date pas non plus d'hier : dans un article publié en novembre 2013, l'Express annonçait déjà que les finales des Worlds sur League of Legends avaient généré plus d'audience qu'un match France-Ukraine lors de l'Euro 2012. Or, comme souvent, le journal comparait une audience moyenne à une audience cumulée. Dans le cas des Worlds, on ne parle donc pas de spectateurs uniques. De plus, on a d'un côté un chiffre qui représente la totalité de l'audience d'une compétition, et de l'autre, l'audience d'un seul match de groupe. Résultat : une donnée totalement erronée.
En ce qui concerne les 800.000 personnes pratiquant l'eSport (chiffre allègrement repris par Axelle Lemaire dans le cadre de son projet de loi sur le numérique), l'auteur de l'article du Monde n'a pas manqué d'afficher son scepticisme. En effet, ce chiffre placerait la discipline devant des sports tels que le basket-ball, le judo ou encore l'équitation. Or, l'absence d'une fédération régissant les jeux vidéos rend tout recensement très difficile, voire impossible. De surcroît, on ne dispose pas de réel critère pour différencier les consommateurs de jeux vidéos casual de leurs homologues amateurs de compétition. Un joueur en ligne sur Dofus est-il un aficionado de l'eSport ? Quels jeux faut-il réellement retenir ? Et surtout, quels outils sont-ils utilisés pour les identifier et les quantifier ?
En France, il est facile de mesurer une audience télévisuelle par le biais de l'agence Médiamétrie. Si ce procédé n'est pas exemplaire, il est évident que le monde du streaming ne dispose pas encore d'outils assez puissants pour obtenir des résultats sûrs. Les chiffres publiés par les développeurs de jeux font naturellement naître quelques doutes sur le plan de la neutralité. Cependant, pour alimenter l'engouement de l'eSport, certains médias s'appuient sur des instituts extérieurs tels que Newzoo ou Superdata, qui se sont spécialisés dans ce domaine. Or, les données fournies par ces entreprises ne semblent pas toujours fiables. La faute à une méthodologie souvent sommaire et peu convaincante. En fin de compte, ces sociétés surfent elle aussi sur la vague, et vendent à prix coûtant des données souvent exagérées.
Les données Newzoo, difficiles à vérifier ?
L'eSport est sans aucun doute un secteur qui a le vent en poupe. Chaque année, les grands événements attirent plus de spectateurs, et les WebTV gagnent en audience. En revanche, la valeur absolue de certains chiffres paraît effectivement aberrante, et ce n'est nullement un phénomène nouveau. Même s'il a recours à certaines comparaisons hasardeuses (nombre de vues sur une vidéo YouTube & nombre de spectateurs sur une chaîne de télévision américaine), l'article du Monde est dans le vrai : les annonceurs, les organisateurs d'événements et le monde des médias ont tous tendance à observer la bulle eSport à travers une loupe à fort grossissement. En fin de compte, il est légitime de se demander s'il est vraiment nécessaire de survendre un secteur déjà très en vogue.