Dix ans. Dix ans qu’on l’attendait, et la semaine dernière il a fait son entrée dans l’arène : le film “Warcraft, le commencement” est enfin arrivé dans les salles obscures. Près d’une semaine après sa sortie, on peut se demander quel verdict rendre sur l’un des objets cinématographiques les plus attendus des gamers. Une attente assez étrangère à notre époque, d’ailleurs, à l’heure de l’instantanéité. Patienter une décennie entière pour finalement voir défiler la pellicule aura créé une sorte de superstition chez nombre de fans, nombre d'entre eux / nous préférant rester très neutres et ne rien en attendre par peur d’une éventuelle mauvaise surprise. Entre les ces fidèles de la licence faisant preuve d’un self-control monacal, les inconditionnels de Warcraft faisant vibrer fort leurs cordes vocales et les gens étrangers à l’univers de Blizzard, le “Commencement” était attendu au tournant.
Une décennie d'attente, cela valait-il le coup ?
Inutile de revenir sur les péripéties qui ont jalonné l’histoire du film. Retenons tout de même que Blizzard est resté penché tout le long sur le berceau du bébé, et que plusieurs membres de l’équipe, dont le réalisateur lui-même sont des joueurs passionnés de World of Warcraft. Avec 160 millions de dollars de budget et de telles marraines, le fils de Blizzard, Legendary et Universal partait sur de bons rails, malgré les changements effectués en cours de route.
Pourtant aussi favorables que furent ces circonstances, le risque était bien réel. Risque financier bien-sûr, comme toute grosse production de cet ordre, risque critique à vouloir parler à la fois aux fans et aux profanes, et enfin risque de “genre” dirons-nous puisque les adaptations de jeux vidéo au grand écran ont plus souvent laissé un mauvais souvenir qu’un bon. Il y a d’ailleurs là comme un péché originel avec des chefs d’œuvres comme les films Super Mario Bros., Street Fighter ou Mortal Kombat. Même si les choses sont allées en s’améliorant dans les années qui ont suivi, le public attend encore l’œuvre majeure qui réconciliera cinéma et jeux vidéo en mettant tout le monde d’accord. Warcraft a eu comme beaucoup cette ambition, d’allier les qualités artistiques aux succès critique et populaire, ce faisant il a donc du relever les défis que doivent relever toutes les adaptations qu’elles concernent des œuvres littéraires (ou de tous ordres), voire même des faits réels : conjuguer exactitude et codes du cinéma. Mettre d’accord les puristes et les petits nouveaux. Le challenge était de taille surtout pour un univers riche comme celui de Warcraft.
Un univers riche a pris vie au cinéma
Le synopsis du film nous apprend que : “Le pacifique royaume d'Azeroth est au bord de la guerre alors que sa civilisation doit faire face à une redoutable race d’envahisseurs: des guerriers Orcs fuyant leur monde moribond pour en coloniser un autre. Alors qu’un portail s’ouvre pour connecter les deux mondes, une armée fait face à la destruction et l'autre à l'extinction. De côtés opposés, deux héros vont s’affronter et décider du sort de leur famille, de leur peuple et de leur patrie.” On sent déjà à travers ces quelques lignes, le goût hollywoodien pour les grands affrontements qui mettent en branle des mondes entiers et jouent l’avenir de civilisations au bord de précipice. Malgré cela, l’idée générale semble être là, et on semble bien parti pour rejouer la Première guerre pendant les deux heures que va durer le film.
Pour cela toute une galerie de personnage est à la disposition de Duncan Jones (le réalisateur de “Moon” ou “Source Code”), des “heroes of Warcraft” qui sont autant de cartes dont il dispose pour raconter cette histoire : Anduin Lothar, Durotan, le roi Llane, Medivh, Khadgar, Garona, Gul’dan, Main-Noire, Doomhammer, etc.
La galerie de personnages disponibles laissait beaucoup de possibilités
Cinéma oblige, on se rend très vite compte dès les premiers instants du film que Duncan Jones a usé de sa liberté scénaristique pour raconter une histoire pour le cinéma. Aussi intéressante, riche et canonique que soit le lore de Warcraft, il est illusoire de penser qu’il aurait pu être adaptée tel quel. D’une part, car la période de la Première guerre étant une création ancienne (la toute première en fait, il s’agit de Warcraft I) et n’a pas reçu l’attention scénaristique qu’ont les productions plus récentes, et d’autre part, si la simple transposition d’une œuvre de son support de base vers le cinéma était possible, il y a longtemps que cela se saurait (ça n’est pas pour autant que c’est impossible). Bref, pour tous les puristes du lore, dont je fais partie, le film Warcraft aura été un moment assez dur de ce point de vue là, puisque tout du long des deux heures, on passe son temps à voir ce qui a été changé. Que ce soit un bon ou un mauvais changement est une question qui se posera plus tard, mais cela reste un changement, et donc il interpelle. Je ne rentrerai pas dans le détail des modifications, même si certaines ont des répercussions importantes sur la suite de l’histoire canonique. De fait, le film Warcraft crée sa propre trame scénaristique, a son propre univers, comme c’est le cas avec les films Marvel, ou plus proche encore avec le “lore” (mettons beaucoup de guillemets) de Hearthstone.
Les changements sont non canoniques, les compléments à l'histoire également ?
On arrive donc au scénario du film, qui remplit deux heures d’histoire, mais qui faisait deux heures quarante après le premier montage. On a ainsi perdu près de trois quarts d’heure de scènes qui reviendront plus tard et donneront sûrement au film un rythme moins rapide. Ceux qui connaissent peu la licence y trouveront peut-être dans la version longue plus d’explications sur le monde et l’univers de Warcraft. Cela ne serait sans doute pas un luxe pour eux, car des noms et des lieux il y en a pléthore, et si le fan de la série se délectera de ces clins d’œil, références et voyages dans un monde qu’il connaît plus ou moins bien, celui qui n’est pas habitué à Azeroth (et Draenor) risquera de se trouver un peu perdu.
Se pose alors la question qui fait débat : un film par des fans oui, mais pour les fans ou pour tout le monde ? Indubitablement ceux qui connaissent l’univers ont une grille d’appréciation supplémentaire pour profiter du film. Sans aller jusqu’à dire que le grand public (entendons ici ceux qui sont étrangers à l’univers) sera lésé, on pourra au moins dire qu’il sera désavantagé. Cela se ressent d’ailleurs chez certains critiques de la presse généraliste qui ont eu la dent dure avec le film et dont on sent que ce genre de cinéma et d’adaptations n’est pas celui auquel ils ont été habitués. Au passage on a au moins le sentiment que le film, s’il a essayé de ménager la chèvre et le chou, penche plus clairement du côté fans que grand public. Bien sûr comme pour toutes les concessions, il y a des insatisfaits des deux côtés. Et si la presse n’a parfois pas été tendre avec le film de Duncan Jones, les spectateurs semblent avoir été plus favorables que les critiques de cinéma.
Le cinéma justement, parlons-en un peu. Quels sont les atouts et les défauts de “Warcraft, le commencement” en tant qu’œuvre, en tant qu’objet cinématographique ? Visuellement déjà on en prend plein les mirettes. Les connaisseurs d’Azeorth apprécieront de voir transposé en version réelle (si tant est qu’on puisse parler de réalité pour des effets spéciaux) un monde qu’ils ont à ce point arpenté ; de voir en chair et en os un univers habituellement beaucoup plus cartoon. Tout n’est pas parfait certes, le côté heroic-fantasy à la Disney des humains jure avec le rendu saisissant des Orcs, qui sont une belle surprise du film.
Des armures parfois trop rutilantes. Pas très pratique pour fufu
Certains trouvaient également que les décors faisaient également trop carton-pâte par moment. On regrettera aussi qu’un monde si riche, modélisé et construit parfois en détail ne soit pas plus exploré (le sera-t-il peut-être dans la version longue), en étant juste survolé, au propre comme au figuré. Certains changements visuels réalisés sur Azeroth laissent également une drôle d’impression : pourquoi Karazhan est-elle devenue une longue tour élancée au style Renaissance ? Pourquoi Dalaran flotte-t-elle à cette époque ? Pour le connaisseur, cela interpelle fortement. Quant aux costumes, on trouve aux côtés des armures trop rutilantes et trop clinquantes des humains, et des tenues décevantes de Medivh, les atours tribaux des Orcs, tout de plumes, d’os, de peaux et de crocs que l’on préférera.
Les Orcs, justement, parlons-en. Incarnés par des acteurs de chairs et d’os, mais animé en images de synthèse, leur rendu est impressionnant, avec des gabarits à faire voler un cheval (sans doute avaient-ils pris le Maure mors aux dents), et des voix leur rendant plus justice en VO. Les mois de post-production d’ILM n’ont pas été gâchés en tout cas. Entre les Humains et les Orcs, les différences culturelles sont également bien rendues, avec quelques incompréhensions culturelles que l’on constate ou que les personnages s’expliquent au fur et à mesure de l’histoire.
Au final, une version plus sérieuse du monde de Warcraft prend vie devant nous. Est-elle fidèle ? Oui assurément. Est-elle crédible ? Seuls les nouveaux venus pourront y répondre avec une meilleure appréciation.
Le rendu des Orcs est l'excellente surprise du film
En parlant de crédibilité, qu’en est-il du casting ? L’interprétation a été assez inégale, souvent pas aidée par certains dialogues, et paradoxalement, ce sont ceux qui sont modélisés en 3D qui ont finalement été plus convaincants. La faute sans doute à un film qui veut poser les bases d’un univers, et qui doit, dans un autre genre, ménager lui aussi la chèvre et le chou. Il fallait éviter pour le cinéma les longues mises en place qui auraient considérablement allongé le rythme (et la durée du film), qui aura versé dans un des travers qu’ont les romans historiques par exemple, ou parfois un dialogue anodin donne lieu à une situation peu naturelle qui ne sert qu’à introduire un monde / un contexte / un univers.
Au final les personnages manquent d’une certaine épaisseur : Gul’dan est méchant et manie l’énergie gangrenée (le fel) sans que l’on sache comment et pourquoi, Garona dont l’histoire est considérablement modifiée est devenue une simple sang-mêlée asservie, Medivh dont le rôle de Gardien est très simplifié semble juste corrompu par le fel, etc. Cela n’a d’ailleurs pas aidé le personnage qui aura déçu beaucoup de gens : effacé, terne, presque passif, il en est réduit à un rôle en retrait et peu convainquant alors qu’il est l’instigateur de tout ce qui se passe avec Gul’dan. Khadgar en sidekick comique et maladroit terni l’aura canonique du personnage. Lothar de chef de guerre vénérable issu d’une lignée dirigeante, passe à un simili-Aragorn qui flirte avec une Arwen mi-orque. Inutile de faire un inventaire à la Prévert. Nous ne sommes pas non plus dans le catastrophique, tant s’en faut, mais l’histoire changée et tronquée des différents protagonistes pèse inévitablement sur le rendu général, qui reste donc superficiel, voulant poser, semble-t-il, les bases d’un univers pour des suites.
Ces changements à l’histoire sont-ils mauvais d’ailleurs ? Je serai trop subjectif pour en juger, mais ils apportent au moins une certaine cohérence avec le reste des choix faits pour les besoins de l’adaptation. La “romance” Garona-Lothar (qui prend ici la place de Medivh - Garona hein, pas Lothar-), aura une utilité pour les opus suivants de la licence au cinéma ; le sang de Mannoroth est éjecté pour ne pas ajouter une strate de complexification au film ; d’autres sont plus étonnants, comme la mort de Medivh (avec la malédiction de Khadgar) dont la version originale n’avait rien à envier à celle du grand écran ; certains ajouts ont même été faits, comme la présence de la mystérieuse vieille femme (Aegwyn ? Alomen ? ) dans un cube à Dalaran, que le Perceval de Kaamelott trouverait mystérieuse à souhait.
Garona délaisse Medivh pour faire les yeux doux à Lothar
Les jalons sont déjà posés pour la suite, qui elle aussi sera différente, comme ce “commencement” de l’histoire originelle et originale. Il est fort probable que ce premier opus soit assez rentable pour que d’autres suivent, et si certains navets à grand budget arrivent à financier des suites, le film Warcraft n’a pas de crainte à avoir, car il n’est pas un navet.
Alors, quel verdict rendre ? Bon ou mauvais film ? “Warcraft le commencement n’est pas une œuvre magistrale comme le Seigneur des Anneaux de Peter Jackson. Il n’est pas non plus l’œuvre médiocre que certains dépeignent (on est ici loin d’un “GI Joe” ou d’un “Quatre fantastiques”). Il a souffert de certains défauts, liés à sa nature propre : celui de l’adaptation d’un univers riche trop survolé, trop superficiel. Il aurait pu être améliorable artistiquement, encore que cela dépende des goûts de chacun. Il est un bon divertissement, que les fans de la licence pourront apprécier plus que les profanes; et ça c’est encore ce qu’on demande à un film : être divertissant.
Avant-première mondiale du film au Rex