La finale du Championnat du monde, le 31 octobre dernier à Berlin, s'est conclue par un 2e sacre pour l'équipe coréenne des SK Telecom T1. Elle marque la fin de la 5e saison de League of Legends. Alors que les équipes chinoises ont réalisé leur plus mauvaise prestation en championnat du monde, l'intersaison est l'occasion de revenir plus en profondeur sur les problèmes inhérents à la scène chinoise de League of Legends, en dehors du tumulte des rumeurs concernant les transferts de joueurs.
Nous aborderons plusieurs points, certains déjà évoqués dans un précédent article lors de la compétition du mois d'octobre : l'entrainement des équipes et la langue.
La scène de la LPL.
L'entrainement des équipes
La préparation des équipes chinoises a été particulièrement montrée du doigt lors du dernier Championnat du monde. Ce problème comprend plusieurs aspects.
Les mauvaises habitudes ont la vie dure
Scrim ? What is scrim ?
Les Chinois n'ont pas de culture du scrim. Ils ont toujours eu tendance à prendre les matchs d'entrainement à la légère, en particulier en LPL. Ainsi, dans une interview réalisée le 30 juillet pour le site internet The Score, GODV le midlaner de LGD avouait que : « les résultats des scrims ne signifient rien ». D'autres exemples peuvent être pris, mais le plus frappant reste sans doute celui de EDG, qui depuis son arrivée en LPL en 2014, préfère s'entrainer contre des équipes de LSPL (la seconde ligue chinoise) plutôt que contre des équipes de LPL, celles-ci ne prenant pas suffisamment au sérieux les parties disputées. Il existe au contraire une culture du secret, les équipes veulent en dévoiler le moins possible tout en acquérant un maximum d'informations sur leurs adversaires.
Le format formate
Le second aspect est celui du format compétitif qui comprend deux problématiques : le calendrier et le nombre de matchs. Le calendrier de la compétition ne laisse pas de place à la préparation. Beaucoup de tournois en Chine sont condensés en une semaine et les matchs s'enchainent rapidement. À titre d'exemple, les premiers matchs de la Demacia Cup se déroulent tous les lundis, juste après les matchs hebdomadaires de la LPL qui ont lieu le week-end. Il faut attendre les 1/4 de finale pour voir la LPL s'arrêter et permettre ainsi aux équipes de mieux se préparer. De même, la phase des Playoffs de la LPL se concentre essentiellement sur une semaine de compétition et débute juste après la fin de la saison régulière : ainsi lors du dernier segment, la saison régulière s'est terminé le 9 août et les premiers matchs des Playoffs ont débuté le 11 août soit seulement 2 jours après. Même chose lors du segment printanier avec uniquement 2 jours d'écart entre les 2 phases de compétition.
Les Chinois jouent également beaucoup de matchs durant chaque segment (printanier et estival), en moyenne 10 de plus que leurs voisins coréens et beaucoup plus que les Occidentaux. Ils préfèrent, par habitude et par pragmatisme, s'entrainer directement en milieu compétitif et les compétitions secondaires comme la Demacia Cup servent souvent de « laboratoires de recherche ».
Stream versus Scrim
En Europe aussi, les plateformes de streaming sont des partenaires importants du monde de l'eSport. Ici Azubu, sur le maillot de Xpeke.
Le troisième aspect, peut-être le plus méconnu en Europe, est lié à l'expansion du streaming en Chine. Ce marché, à l'instar de celui des loisirs en Chine, est en plein boum depuis plus d'un an, à tel point que certains analystes parlent de bulle du streaming, comme nous avons connu la bulle financière. Beaucoup de joueurs sont sous contrat avec les plateformes de streaming et doivent assurer un minimum d'heures chaque mois. Certains contrats indiquent jusqu'à 80h par mois soit environ 2h30 de stream par jour. Le stream détourne les joueurs du cadre de la structure pour laquelle ils jouent et des joueurs comme Spirit (ex-jungle de World Elite) ou Gogoing (ex-toplaner de OMG) ont déjà été la cible de critiques les accusant de privilégier le stream par rapport aux matchs d'entrainement avec l'équipe. Lorsque ce n'est pas le cas, le stream allonge la journée déjà bien remplie des joueurs professionnels et leur temps de jeu, augmentant le risque de blessures. Elles sont d'ailleurs fréquentes en LPL et des joueurs comme GODV, imp, Uzi, PawN ou Koro1 ont été touchés durant la saison 2015.
La langue
You talking to me ?
Avec l'arrivée massive de joueurs coréens depuis 1 an, le problème de la différence de langue a fait son apparition en Chine. La barrière de la langue est un problème sous-estimé. Elle pose un problème limité dans les parties, les joueurs communiquant par pings ou par de brefs échanges dans l'une ou l'autre langue, le plus souvent en anglais. Elle pose davantage de problèmes en dehors du jeu, au sein des équipes et dans l'environnement des joueurs. À l'intérieur des équipes, elle freine la capacité d'adaptation aux nouveaux patchs ou aux nouvelles façons de jouer (métagame) alors que les équipes chinoises montrent depuis longtemps des difficultés à suivre l'évolution de jeu. Elle nuit par définition à la communication ce qui peut conduire à des mésententes entre des joueurs qui passent la majorité de leur temps ensemble. Cette barrière empêche donc la cohésion aussi bien au niveau humain qu'au niveau stratégique. Enfin, elle constitue un obstacle dans l'intégration des joueurs coréens sur le sol chinois : pour l'anecdote, on rapporte que certains joueurs ont été perturbés par les manifestations des supporters chinois, ne sachant s'ils étaient encouragés ou insultés.
Preuve de l'importance de ce problème, l'apprentissage du mandarin, la langue officielle chinoise, est devenu un objectif à part entière pour les joueurs. On peut citer comme exemple KaKAO et RoOkIe chez Invictus Gaming qui ont tous les deux décidé d'apprendre cette langue. On peut également citer l'ancien jungler de World Elite, Spirit. Une autre preuve réside dans la volonté des équipes de s'entourer d'entraineur coréen. C'est le cas de Qiao Gu, dont le manager Link0 expliquait le 14 août dernier dans une interview pour le site TheScore son choix pour l'entraineur coréen Hiro : « Si les joueurs se disputent, l'entraineur doit être capable de résoudre les problèmes. Je peux communiquer facilement avec mes joueurs chinois, mais je voulais un entraineur coréen pour mieux communiquer avec les joueurs coréens ».
Conclusion
La modeste porte d'entrée de la Gaming House de Qiao Gu (à gauche) et le bâtiment EDG (à droite), à Shanghai : un sacré contraste.
Nous terminerons cet article sur une note positive. L'échec des équipes chinoises au Championnat du monde est une opportunité pour la scène chinoise de régler des problèmes présents depuis longtemps. Certaines d'entre elles ont déjà choisi de changer de comportement. C'est le cas de EDward Gaming, qui depuis sa création est réputé pour le sérieux de son entrainement en dehors des compétitions. Certains disent même que c'est le sérieux de cette équipe lors des « scrims » qui lui permet de dominer la LPL depuis maintenant deux ans. On peut citer également l'exemple de l'équipe OMG, qui malgré des difficultés à revenir dans le haut du classement, poursuit sa politique d'équipe 100% Chinoise, préférant progresser ensemble, pas à pas (sic) plutôt que de brûler les étapes. Enfin, il faut parler de l'équipe Qiao Gu, récemment récompensé aux « LPL End Of Year Awards » comme la révélation de l'année et qui a fini 2e du Summer split à l'issue des Playoffs. Cette équipe s'est construite autour de joueurs capables d'évoluer ensemble et non autour de « stars ». Swift, le jungler de l'équipe est peut-être son joueur le plus connu. La line-up est le résultat d'un savant mélange de joueurs d'expérience (TnT, TcT et Swift) et de jeunes talents (V et Doinb). Elle est la preuve que ce sont avant tout les choix de la structure et de son encadrement qui font une équipe, que ce sont eux les principaux responsables dans les victoires ou les défaites même si ce sont les joueurs qui ont le clavier en main. Preuve également que l'argent ne fait pas tout, Qiao Gu étant moins bien lotie que des équipes comme EDG, Snake ou encore Invictus Gaming.