DigLife, ce nom ne vous dit peut-être pas grand chose et pourtant cette société a énormément bougé dans le monde de l'eSport en 2014. En investissant tout d'abord dans le capital des Ninjas in Pyjamas au mois de mars, ils ont poursuivi leur positionnement en prenant également des parts chez les Danois de Copenhagen Wolves et, dernièrement, chez les Suédois de Let the Game Begin eSports (LGB eSports). Le montant des investissements consentis pour devenir l'un des actionnaires de ces structures n'a jamais été dévoilé, on peut toutefois légitimement penser qu'il s'agit de plusieurs dizaines de milliers d'euros, voir davantage dans le cas des NiP. Mais quelle stratégie pousse cette entreprise à prendre ces décisions et qu'est-ce qui peut bien se cacher derrière DigLife ? Ce sont les questions que nous nous sommes posées et auxquelles nous allons tenter d'apporter des réponses.
Une entreprise particulière dans l'eSport
Fondée en 2010, DigLife est une société assez classique de services qui a décidé de se charger d'aider d'autres entreprises à élargir leur marché. Ils participent notamment à la distribution des produits optiques Gunnar en Norvège, Suède et Finlande depuis que la compagnie américaine a décidé d'envahir le marché européen. Dans ses status, DigLife se présente comme une Société à responsabilité limitée (SRL), un format classique pour une entreprise qui possède un nombre très limité d'employés (inférieur à 50) et dont le siège se trouve à Oslo, en Norvège. Seule particularité que l'on peut trouver à DigLife, sa construction dans le secteur du capital-risque et des fonds LBO. En clair cela signifie que les Norvégiens se sont spécialisés dans l'investissement au sein d'entreprises qui cherchent à céder des parts de manière à augmenter leur capital. Dans le cas du sport électronique, DigLife recherche des acteurs qui souhaitent augmenter leur croissance externe, ce qui permet aux Norvégiens d'assurer leur expansion. Dans la majeure partie des cas, les fonds LBO utilisent de la dette pour réaliser leurs acquisitions, cela impliquant qu'ils souhaitent obtenir le contrôle exclusif de la société étant donné les risques qu'ils prennent financièrement.
DigLife a donc pour principal objectif de rentabiliser ses acquisitions et pour ce faire ils souhaitent en premier lieu gérer la marque et la distribution des produits de cette dernière. Si on connait les liens entre DigLife et Gunnar Optiks dans la distribution des produits en Scandinavie, on sait moins que la société norvégienne travaille également avec ses compatriotes d'Exentri Wallets (des vendeurs de portefeuilles innovants), Freehands (des fabricants de gants), XTRFY (des fabricants de tapis de souris) et les Français de chez Carl ZEISS (des spécialistes optiques). Ce qui lie DigLife a toutes ces entreprises c'est l'aide que fournit la société dans le développement et la distribution hors des pays d'origine de chaque produit. Plus spécialisés sur la zone nordique, DigLife se propose malgré tout de vendre également en Amérique et en Asie via différents procédés. Implantés dans des secteurs très variés, il semble en revanche que depuis un an la stratégie globale du groupe ait quelque peut évolué avec un virage en plein dans le sport électronique.
Ninjas in Pyjamas, Copenhagen Wolves et LGB eSports
La première structure eSport a avoir tapé dans l’œil de DigLife aura été les Ninjas in Pyjamas. C'est en mars dernier que les Norvégiens ont décidé d'investir chez les Suédois dans le but « de financer et développer NiP afin de leur permettre de devenir les leaders mondiaux. Tous les talents intellectuels et les ressources financières injectés rendront possible l'accomplissement de nos espoirs et nous permettrons d'atteindre notre but ». En clair DigLife fait bel et bien ce pourquoi il a été créé, en tant qu'acteur du secteur capital-risque et des fonds LBO, la société investit d'importantes sommes d'argent, prend le contrôle d'une autre qui a besoin de cet argent pour se développer et ensuite ce sont les dirigeants norvégiens qui fixent les grands lignes et les objectifs de manière à assurer un développement et, surtout, rembourser sa dette. Cela n'est pas une mauvaise chose, principalement pour NiP qui est une structure jeune et en devenir qui avait très certainement besoin d'une aide extérieur pour poursuivre son développement grandissant. Leader dans bien des domaines, cette organisation est l'un des modèles les plus ambitieux et talentueux de ces dernières années.
En revanche les autres choix de DigLife peuvent s'avérer moins logiques. Si Copenhagen Wolves est une société qui possède plus d'années d'existence que les Ninjas in Pyjamas, ils n'ont pas le quart de leur palmarès et ont rencontré de nombreuses difficultés au cours de leur développement. Si dès le départ le club s'est fondé autour d'un staff professionnel composé de gérants de cybercafés, il a depuis dû évoluer suite notamment à la crise que connait ce secteur avec le développement des connexions à haut débit. De plus malgré des moyens financiers suffisamment importants pour posséder une gaming house, salarier ses joueurs et leur permettre de se déplacer aux quatre coins du globe, Copenhagen Wolves reste fortement implanté au Danemark manquant d'une vision plus planétaire. Cela ajouté à leur impossibilité à recruter les joueurs qu'il faut au bon moment, et surtout à les conserver, n'ont jamais permis à l'organisation d'exploser aux yeux du grand public. La mission pour DigLife, qui a pris des parts importantes de la structure danoise en décembre, sera donc d'internationaliser l'organisation mais également de lui permettre d'être mieux structurée en interne ce qui devrait aider dans la conservation des joueurs. Quoi qu'il en soit la mission est déjà plus compliquée que chez NiP, même si le montant des fonds avancés est forcément bien moindre.
Dernière acquisition de DigLife, les Suédois de LGB eSports. Encore une fois une organisation assez jeune puisque fondée en 2013 et où il y aura beaucoup de travail à accomplir pour leur permettre de se construire une histoire et une réputation. Notons toutefois que cette fois encore les Norvégiens ont privilégié la région géographique qu'ils maitrisent le mieux, la Scandinavie. Cela n'est pas non plus un hasard car il s'agit d'une stratégie d'expansion régionale localisée autour de leur zone d'influence. Cette fois encore la mission sera bien plus complexe que chez NiP, il faudra en effet dans un premier temps développer un site internet navigable et viable, mais également accroitre la présence du club au sein des réseaux sociaux et, pour ce faire, il faudra recruter des jeunes talentueux. Pourquoi d'ailleurs ne pas prendre la place d'un Begrip Gaming par le passé ? C'est à dire en se focalisant sur les jeunes talents nationaux, laissant les plus gros morceaux pour NiP ce qui permettrait de limiter les frais.
D'éventuels conflits d'intérêts
Vous le comprenez certainement, laisser une seule et même entreprise prendre le contrôle de tout ou partie de structures concurrentes peut entrainer des conflits d'intérêts. Pour contrer ces accusations, tous les communiqués des rachats parus jusqu'à maintenant laissent entendre que DigLife n'aura qu'un rôle passif, or nous avons vu précédemment que ce n'est pas vraiment comme cela que ce genre d'investissement se passe en règle générale. Les Norvégiens se sont endettés pour investir dans des structures, difficile de croire qu'ils ne vont pas souhaiter intervenir de quelque manière que ce soit pour assurer leurs arrières. La stratégie globale des structures devrait en toute logique être dictée par DigLife si ces derniers possèdent suffisamment de voix dans le conseil d'administration, ce qui ne semble d'ores et déjà pas être le cas chez NiP mais l'est totalement chez LGB eSports où les Norvégiens sont seuls décisionnaires désormais.
Quoi qu'il en soit on dès aujourd'hui constater que plusieurs sponsors sont également des sociétés pour lesquelles travaillent DigLife. Si ce n'est pas le cas avec Copenhagen Wolves, LGB eSports et NiP ont en commun XTRFY et Gunnar Optiks. Sachant que ce sont les Norvégiens qui participent à la distribution de ces produits, inutile de préciser qu'ils possèdent un levier de pression de ce côté-là. Alors si l'arrivée d'un investisseur de ce type dans le monde du sport électronique n'est pas une mauvaise chose en elle-même, on ne peut malgré tout être tenté de s'inquiéter sur le long terme. Qu'adviendra-t-il pendant les matchs entre les équipes ? Et si un intérêt extérieur pouvait d'une quelconque manière intervenir pour favoriser tel ou tel résultat ? Il sera très compliqué de savoir si une rencontre, somme toute anodine, était totalement exempte de tout reproche.
L'eSport est loin d'être un pays de Bisounours, les joueurs nous ont déjà prouvé par le passé qu'ils étaient capable de tricher à n'importe quel niveau. Les structures ont déjà montré qu'elles pouvaient avoir des comportements détestables et illégaux, tout comme certains organisateurs d'événements. Alors l'arrivée d'investisseurs ne doit pas nous empêcher de nous inquiéter concernant leur véritable but et les moyens qu'ils souhaitent déployer pour l'atteindre. Il devient urgent d'encadrer les statuts des joueurs, équipes et du milieu en règle générale afin d'éviter tout éventuel scandale ... Vraisemblablement cela n'inquiète pas grand monde à l'heure actuelle et nous filons droit vers un bon séisme qui fera enfin, espérons le en tout cas, bouger les choses tout en assurant les gros titres de nos sites d'actualité.
