Jeux indés et Art
Il existait une époque où les jeux indépendants commençaient seulement à se faire connaître du grand public, un temps où la seule image que l'on avait d'eux était celle de titres exceptionnels, reflétant un autre monde, difficile à trouver parmi les triples A : un univers de poésie, un univers artistique. Mais que sont ces softs qui ont tant fait parler d'eux au fond ?
La forme
Ce sont des jeux qui, de par leur habillage, arrivaient à émoustiller le joueur, à faire vibrer son âme. Il s'agit d'un habile mélange de bande-son et de graphisme qui, ensemble, arrivent à créer une véritable ambiance. Ainsi, juste avec quelques images et du son, certains softs arrivent à rendre leur monde plus réel qu'ils ne le seront jamais et dans leur apothéose, des jeux n'ont même pas besoin des deux, il suffit juste d’entendre un morceau de l'OST ou de voir quelques secondes de leurs images pour se laisser transposer. Quant un titre arrive à faire ressentir de tels sentiments à celui qui y joue, il devient alors difficile de lui refuser le statut d’œuvre d'art. Parce qu'après tout, combien sont-ils à avoir pu nous faire vivre dans un conte de fée, pleurer une histoire triste, appréhender un monde ?
World of Goo, le niveau "Red Carpet Extend-o-matic"
On pourrait considérer que World of Goo fait partie de cette catégorie, vous emmenant dans son univers, sa charte graphique peut réussir à vous enivrer, mais il suffit d'écouter quelques pistes de la soundtrack du soft, même hors-contexte, pour s'en aller loin. Et tous ceux qui ont entendu des musiques comme « Red Carpet Extend-o-matic » ou encore « Best of time » de Kyle Gabler auront du mal à dire le contraire.
Le fond
Pourtant, il ne s'agit pas là de l'unique moyen que possèdent les jeux vidéo pour s'exprimer artistiquement. Au delà de ce que l'on voit, il y a ce qu'on nous dit. Et il arrive que certains titres essayent d'exprimer quelque chose au joueur. Ce n'est pas d'une morale que nous parlons, il ne s'agit pas ici d'illustrer une parabole ou une fable. Non, le point central est que l'histoire du soft est un puzzle et que les éléments utilisés pour le reconstituer ne sont pas des mots ou des cinématiques qu'il nous faut mettre bout à bout. Ce qui permet de réunir ses bribes en un seul fragment, c'est de comprendre le code du message qu'on nous envoie, à travers le décors, les personnages que l'on rencontre, les bruits que l'on entend.
Limbo, face à face avec l'araignée
Limbo est sans aucun doute le parfait exemple de cette poésie, on ne nous dit rien, on avance simplement, résolvant des énigmes tout au long de notre aventure. À partir de tous les éléments qui croiseront son chemin, ce sera au joueur de reconstituer l'histoire, de la faire vivre, d'émettre des hypothèses et d'en débattre. Pour certains, c'est une voie de frustration tandis que pour d'autres, c'est un chemin passionnant. L'important restant que le soft utilise son fond, qu'il nous oblige à utiliser sa forme pour créer ce qui se trouve derrière, pour en faire une sorte d’œuvre d'art vidéoludique.
L'interactivité
La dernière façon dont un titre peut, à notre sens, s’élever dans une sphère poétique et artistique reste son noyau central, ce qui fait de lui ce qu'il est : son gameplay. A travers l'interaction du joueur avec le jeu, celui-ci fait un acte significatif, il n'en a pas forcement conscience, mais le simple fait de jouer est en lui-même un fragment de l'histoire, ça un sens. Mourir à un sens, réussir à un sens ou recommencer à un sens. Cela peut paraître complexe, alors autant prendre un exemple pour l'expliquer. Et qui mieux que Braid pourrait représenter cette forme d'art dans un jeu ? Dans ce soft, vous êtes aux commandes de Tim et avez une capacité unique, celle de remonter dans le temps. Ainsi, une fois à la fin du soft, vous avez un mur et on vous demande une chose : d'appuyer sur une touche, celle qui vous fera revenir en arrière ! Et c'est avec cette action que toute l'histoire prend son sens.
Braid, rencontre avec la princesse
Dans cet exemple, ce n'est pas l'enrobage du jeu ou le message du scénario seul qui importe, c'est le fait de jouer, le fait de revenir dans le temps. Cette interactivité, propre au jeu vidéo, permet de lui donner une dimension unique. Elle ne se rapporte pas forcement à ce qu'on à l'habitude de voir, mais, cet acte simple de jouer est le fondement de cette « poésie ». Aucun autre média ne le peut et c'est peut-être ce qu'il y a de plus magique.
Conclusion
Bien sûr, un titre peut combiner plusieurs de ces caractéristiques. Et si une seule d'entre elle ne suffira pas forcement à le faire entrer dans un domaine de poésie et d'art, la combinaison de toutes peut permettre d'obtenir un produit unique, une œuvre singulière dans le domaine vidéo-ludique, une œuvre artistique qui, parfois, est le fruit de soft indépendants auxquels on laisse exprimer toute leur créativité.
Kaillens