Quand concurrence rime avec impuissance
Avec tous les noms cités, c'est devenu un incontournable dans le secteur : à chaque nouveau jeu en ligne digne de rester dans les annales, la question ressort : Guild Wars 2 va t-il tuer WoW ? The Elder Scrolls va t-il attirer tout le noyau dur de Blizzard ? Au bout du compte, aucun de ces grands noms n'a réussi. Quelques chiffres :
MMO |
Nombres d'abonnés (date) |
Guild Wars 2 | 5 millions (janvier 2014) de joueurs actifs |
Final Fantasy XIV | 2 millions (avril 2014) |
The Elder Scrolls : Online | 1 200 000 (octobre 2014) |
Star Wars : The Old Republic | Moins d'un million (Fin 2014) |
ArcheAge | 2 millions (Octobre 2014) |
Sources : Statista et sites d'information |
Il est certainement vrai que nombre de joueurs mentionnés ci-dessus sont des personnes ayant quitté World of Warcraft. Toutefois, il faut apporter deux nuances à ceux qui ont été décrits par certains comme des "tueurs de WoW" (un exemple parmi d'autres : en 2012, 01.Net vous donnait 10 bonnes raisons de quitter World of Warcraft pour Guild Wars 2).
Résultat sans appel : nombre de ces challengers ont pour la plupart décollé sans jamais parvenir à égaler Blizzard. Star Wars : The Old Republic lutte pour dépasser (et conserver) un million de joueurs actifs. Final Fantasy XIV a réuni en 3 ans et demi autant de personnes que WoW en 4 mois. Et ainsi de suite.
En fait, il semble que plus que l'attrait pour ces nouveaux venus, ce soit plutôt le rejet d'un World of Warcraft vieillissant qui a provoqué le déclin du jeu. Autrement dit, avec ou sans les MMO de nouvelle génération, le jeu en ligne de Blizzard serait sur le déclin quoiqu'il arrive.
Pour affirmer cela, on remarquera deux choses. D'une part, qu'aucun MMO n'a pu empêcher la montée en puissance de World of Warcraft dans la deuxième partie des années 2000. Et d'autre part, que les succès des grands challengers récents s'expliquent davantage par le développement du jeu en ligne en général (d'après une étude de 2012, il aurait pesé pour 13 milliards de dollars cette année-là).
Final Fantasy XIV, l'un des challengers de World of Warcraft
Certificat de qualité
Quelques éléments de réponse viennent donc de ces dernières années. Qu'en est-il de la qualité du titre ? World of Warcraft aurait en effet concentré ce que l'on faisait de meilleur dans les MMORPG. C'est un argument que l'on peut croiser : inspiré d'EverQuest et d'autres jeux en ligne, Blizzard aurait repris des éléments de gameplay qui fonctionnaient à l'époque.
Comment résumer ce gameplay ? Les créateurs du jeu, ce sont d'abord des créateurs de jeu de rôle. Considérons le premier élément important d'un RPG, à savoir la personnalisation de l'avatar, et par là, les classes. Un an avant lui, EverQuest II proposait un choix parmi 24 classes. WoW, de son côté, n'en proposait que 9, et contrairement à son aîné, il n'était pas possible de combiner chaque race avec chaque classe.
Cela peut sembler être un détail, mais il est assez révélateur du puritanisme dont a fait preuve World of Warcraft durant ses premières extensions. Cette exigence de la première heure, qui a été rattrapée dans les années suivantes, n'a t-elle pas participé à attirer les fans du jeu de rôle ? Il est d'ailleurs possible que son déclin traduise son incapacité à changer son modèle : alors que partout ailleurs, des exploitants se tournent vers le free-to-play (Guild Wars 2, Path of Exile, Rift, etc.), World of Warcraft s'entête dans l'abonnement.
Le documentaire Looking for Group confirme d'ailleurs cette thèse. Rien que ces dernières années, des jeux en ligne comme Guild Wars 2 ont montré que reprendre un gameplay et lui ajouter quelques innovations ne suffisaient pas à produire un succès interplanétaire, y compris si celui-ci adoptait la formule gratuite. L'histoire, ça compte également.
Il faut le reconnaître : les extensions ont participé à la bonne (ou moins bonne)
réputation du jeu
Le monde de l'artisanat de la guerre
Alors, quelles sont les forces du célèbre jeu en ligne ? Allons plus loin dans ce qu'est World of Warcraft.
Dans le documentaire Looking for Group, les développeurs disaient ne pas s'attendre à un tel succès au lancement du jeu. Pourtant, que ce soit volontaire ou non, l'arrivée de World of Warcraft a été anticipée.
Elle a été anticipée depuis Warcraft, premier du nom. Cela a été mentionné plus haut : World of Warcraft, c'est l'histoire d'un monde forgé par la guerre : la guerre propre à Azeroth, entre ses différentes factions, avec ses différentes menaces, ou bien contre des ennemis extérieurs comme les Orcs ou la Légion ardente. Depuis Warcraft premier du nom, l'intrigue dans son ensemble a été orientée vers ce point central qu'est la survie du monde. Et WoW poursuivait cette histoire en la transposant dans un jeu en ligne. Illidan, la chute des Elfes, la transformation d’Arthas… Le jeu en ligne promettait de revivre nombre de ces évènements, et de les prolonger dans de nouveaux évènements.
En un mot, les joueurs s’apprêtaient à faire partie d'une intrigue créée au cours des années. Autrement dit, c'était une adaptation vidéoludique "d'un livre dont vous êtes le héros".
Mais depuis Cataclysm, cette trame s'est éloignée. En fait, on a bien senti une certaine volonté chez Blizzard de passer à autre chose. Entre l'influence asiatique de Mists of Pandaria et Sargeras, dont on a plus entendu parler depuis trois extensions, on ne sait plus très bien où l'on souhaite nous emmener. Des joueurs ont ainsi simplement refusé en bloc (à tort ou à raison, chacun est juge) de voir des pandas débarquer sur WoW. Ces personnes voulaient conserver "leur" monde intact.
L'histoire de la Légion ardente, l'un des antagonistes majeurs de WoW
Casualisation
Pour autant, cette modification n'est pas responsable de tout, loin de là. Elle s'est accordée avec un changement de politique plus ou moins prononcé.
En fait, Blizzard a eu le mérite de tenter quelque chose. Avec des extensions dont certains ont pensé que cette fois, ce serait la "der des der", le studio avait certainement compris qu’il tirait sur une corde de plus en plus usée. Il fallait donc trouver quelque chose pour tenter de conserver son public.
C’est ainsi que le jeu s’est casualisé. En 2012, avec Mists of Pandaria, Millenium avait publié un article au sujet des changements de politique qui ont déstabilisé. Celui-ci reprenait les propos (toujours disponibles, mais en anglais) qu’un CM avait tenus avec divers joueurs. Cette discussion parle pour l’essentiel de ce que l’on a nommé « casualisation ».
Car entendons-nous bien : par « casualisation », on entendra le terme littéral, c’est-à-dire « dont l’ergonomie convient aux joueurs occasionnels » et non « les instances peuvent être bouclées en trente minutes ».
Non, les donjons et raids ont toujours posé du challenge. Ce qui a été reproché, c'est de ne plus avoir affaire à une communauté pour pouvoir trouver un groupe. C'est de ne plus avoir à passer par un maître pour apprendre des techniques. Ce sont autant de petites touches signées "roleplay" qui ont successivement disparu.
Je me suis écarté du sujet pour souligner que la force de WoW, et ce qui a participé à provoquer son déclin, c'était la disparition de ce qui faisait qu'un jeu de rôle nous fait incarner un personnage. Or, un jeu sans éléments dits "roleplay', ça pose de menus problèmes quand un soft dit être un "jeu de rôle".
Ne confondez pas noob et casu
J'y suis, j'y reste ?
La force de WoW a toujours été (et reste encore) l'inspiration de l'heroic fantasy. Pour rappel, le jeu est à l'origine issu d’une culture propre, celle des Donjons & Dragons et du RP en général. Que cela passe par des boss plus classes les uns que les autres, par la personnalisation d’un avatar pour le rendre unique ou par le simple fait de devoir marcher pour aller acheter ses compétences, rester fidèle à sa culture est la condition sine qua non de la préservation d'une licence.
Certes, WoW vieillit, ce qui n'est pas pour l'aider. Certes, le jeu reste sur le modèle de l'abonnement, alors que l'on vit à l'ère du free-to-play. Et certes, ce n'est qu'après 5 extensions que les joueurs auront eu finalement droit à une amélioration très visible des graphismes, notamment les modèles des anciennes races qui commençaient à réellement jurer.
Mike Morhaine a d’ailleurs réaffirmé récemment que non, le jeu ne deviendrait pas free-to-play. Une manière de dire qu'en fin de compte, Blizzard est prêt à laisser son MMO reposer en paix ? Même si le studio prévoit encore d'autres extensions pour le jeu, celui-ci, trop vieux, continuera de décliner lentement.
Soyons clairs : même avec cette baisse, WoW reste l'un des jeux les plus joués à ce jour. Rien qu’avec Warlords of Draenor, il a de nouveau signé pour les deux prochaines années au moins. Et ensuite ? Même sans nouveau contenu, il faudra un temps certain pour que les fans lâchent, un par un, le MMO le plus marquant de l’histoire. C'est un évènement déjà rare que d'assister à la mort d'un jeu en ligne. Mais à celle de World of Warcraft, c'est tout juste unique.