WCS Global Finals : TaeJa

Voici le moment de faire le point sur ce qui nous attend pour les Global Finals de la BlizzCon. On le sait, la liste et la séquence est désormais définitive, nous connaissons toutes les affiches du Ro16 qui se joueront le 1er novembre (et par conséquent pas pendant la BlizzCon contrairement à l’année dernière). Millenium vous propose de passer en revue les joueurs qualifiés et d'analyser leurs chances de victoire. Aujourd'hui, parlons de TaeJa.

Entre famille et passion

En Corée du Sud, les PC Bang sont des endroits fréquentés par les joueurs de jeux vidéo. Ces lieux sont équivalents de nos cyber-cafés : chacun peut y venir, se rencontrer et surtout jouer sur des ordinateurs puissants à un tarif relativement abordable. C’est dans cet environnement de jeux, couplé à une culture de l’eSport omniprésente incomparable à ce qui se fait ailleurs, que Yun « TaeJa » Young Seo a baigné, la faute à des parents gérants d’un établissement de ce type pendant un temps.

Aux premières loges pour assister à l’émergence de futurs talents, c’est aussi d’ici que ceux-ci verront probablement les pendants négatifs de cette passion, qui parfois sera destructrice pour certains mordus, tant à cause de l’engorgement du nombre de joueurs qui try hard, qu’à une barre mise encore et toujours plus haut.

Tiraillé d’un côté par ses parents, de l’autre par sa passion, TaeJa franchira une première fois le pas, conseillé par son instituteur et aidé par son frère lors de la toute première GSL en septembre 2010. Il n’a alors que 15 ans. Son premier opposant ne sera autre que FruitDealer, le futur vainqueur de la compétition, qui l’éliminera - un schéma qui se répètera d’ailleurs plusieurs fois dans la carrière du Terran - tuant tout espoir dans l’œuf.

« Tu seras un homme, mon fils »

Membre de la team NEX (qui deviendra ZeNEX suite à sa fusion avec Zenith), TaeJa échouera à plusieurs reprises aux portes de la GSL : Saison 2, Saison 3, puis Code A en janvier et mai 2011. Le petit homme ne brille pas, et n’intéresse finalement pas grand monde. Sauf que quand une des seules personnes qui daignent se pencher sur son cas s’appelle BoxeR – reconnu comme un des meilleurs joueurs de BroodWar, fondateur de SK T1 et mentor d’iloveoov, pour les deux du fond qui n'ont rien suivi –, des interrogations commencent à émerger. Qui est ce jeune Terran que la légende intéresse ? Pourquoi lui et pas un autre ?

Le talent de Lim Yo Hwan à détecter les jeunes pousses prometteuses est déjà bel et bien reconnu, et même si le petit bleu sur lequel le public a un œil à cette époque chez SlayerS s’appelle plutôt MMA, on lui fera confiance, et TaeJa intègrera donc l'équipe créée par BoxeR, dans une indifférence quasi-générale.

Un élève et son maître

Il ne faudra pas attendre longtemps avant d'être témoin de premiers faits d’armes remarquables. Dans le même mois, en mai, il réalisera deux all-kill : un contre ses propres teammates lors du Clash of the Houses, puis en GSTL contre son ancienne équipe ZeNEX, comme un symbole, écrasant Puzzle, CoCa, ByuN et Kyrix.

Quasiment un an après ses débuts en tant que joueur professionnel, TaeJa parviendra en août à se qualifier pour le Code A, et à réaliser un troisième all-kill, son deuxième en GSTL, cette fois face à F. United. Il gagnera enfin un passage éclair en Code S mais sera vite évincé fin 2011.

TaeJa après son all-kill.

Le bilan de l’année sera plutôt positif pour lui : il est parvenu à se faire un nom de par ses diverses performances ici et là (all-kill, qualifications Code S, etc.) et a tapé dans l’œil d’une légende vivante. Pendant ce temps, dans l’ombre, un Cavalier Noir veille...

D'un bleu à l'autre

Nous sommes en 2012, et le jeune Terran fait sa première apparition en Foreignie lors de l'ASUS ROG en tant que qualifié par le biais de l’ESVTV Grand Prix qu’il avait remporté plus tôt. Malgré une bonne impression en groupes, il échouera dans l’arbre face à Polt.

Alors qu’il retrouve le Code S, TaeJa fera un choix qui lui ouvrira les portes du succès (et les robinets des e$ports dollarz) en quittant SlayerS avec pour projet de rejoindre une équipe étrangère. Quelques jours plus tard, la nouvelle tombe : la petite perle de Corée rejoint Team Liquid, et c’est son CEO en personne, Nazgul, qui l’annonce en mars 2012, qualifiant ce transfert de « plus grosse acquisition de l’histoire de Team Liquid ». Les fans de la structure au blason-canasson sont aux anges et on ne peut plus enthousiastes à l'idée de compter dans leurs rangs un joueur de cette envergure.

Sous ses nouvelles couleurs

Globalement, les performances de TaeJa continuent d’aller crescendo et en saison 2 de Code S, il arrivera pour la première fois dans l’arbre final après avoir, en poule, éliminé le précédent vainqueur, DongRaeGu, puis MarineKing et PartinG en deuxième phase, avant que Squirtle n’ait finalement raison de lui.

Un all-kill de Prime ici (dont Creator, Maru et MarineKing) en IPL Team Arena 3 et un autre quart de finale de Code S là perdu face à MC sur le fil, TaeJa semble dans une forme olympique depuis son recrutement par Team Liquid et l’été 2012 approche...

L'été de tous les dangers

À New-York se tient en juillet la MLG Summer Arena, et là-bas commencera le début d’une longue aventure. Considéré comme un des favoris, il y remportera son premier grand titre et gros chèque face à un joueur de chez SlayerS, son ancienne équipe, Alicia. Il est alors encore loin de se douter qu'il ne s'agit ici que de la première ligne d'une très grande liste à venir.

Quelques jours plus tard en IPL Team Arena 3, il parvient à remettre Liquid dans le droit chemin alors qu’ils étaient menés face à StarTale 4 à 1, réalisant un 4-kill en battant Life, Squirtle, Curious et Bomber, avant un nouveau 4-kill face à SlayerS.

Début août une nouvelle compétition va lui permettre de briller, encore, sous le soleil de l’été : l’ASUS ROG Summer 2012. Grand favori de par son statut récent de champion de la MLG, il s’imposera à nouveau sans grande difficulté face au dauphin de la dernière GSL, MC. Rien ne semble plus pouvoir arrêter TaeJa qui parvient à remporter son deuxième titre majeur en deux semaines, lui qui n’avait finalement jamais rien gagné en deux ans.

L’herbe serait-elle donc plus verte ailleurs ? Ces deux victoires coup sur coup auront sûrement fait réfléchir le joueur Terran quant à son avenir, alors qu’il s’apprête à jouer la grande finale des IPL Team Arena 3 face à Incredible Miracle. Sur le premier set de ce choc, TaeJa, déjà auteur d’un 4-kill la semaine passée, franchira une étape supplémentaire et infligera un all-kill. Bien que dans le second set il ne réitèrera pas l’exploit et laissera filer la victoire finale à IM, il terminera la compétition sur un score impressionnant de 23 victoires pour 3 défaites, avec deux all-kills et deux 4-kills, loin devant Revival, deuxième avec 12 victoires pour 3 défaites.

Crédit : Nicolas Chaussois.

Redoutable et redouté, et malgré une élimination prématurée en MLG Summer Championship, il remportera lors de la DreamHack Valence un titre qui rappellera bien des cauchemars aux fans de Millenium puisqu’il s’y était imposé 3 à 2 en finale face à un ForGG qui dominait pourtant son sujet jusqu’alors 2 à 0.

L’été se termine, un été passé sous la domination d’un seul joueur, apposant sur une période que l’on appellera pour la première fois le Summer of TaeJa, et sur toute la scène StarCraft II, une ombre glaciale, écrasante. Toute la scène ? Pas si sûr. Malgré ces trois titres glanés en trois mois, il reste encore un endroit où TaeJa n’est pas encore parvenu à s’imposer, et s’il est bien un tournoi qu’il faille gagner pour être le Roi du monde, c’est bien la GSL.

Qualifié pour la troisième fois d’affilée pour l’arbre final, TaeJa se débarrassera de Leenock en quarts de finale, avant de devoir s’incliner très nettement face à un Life qui accomplira une année dantesque, et remportera cette GSL. Question de niveau général ou de préparation ?

Difficile de répondre alors, avec une DreamHack Winter et une NASL où il échouera à chaque fois face à son mate HerO, et une dernière place de Ro32 en Code S, l’année ne se finit de toute façon pas de la meilleure des manières. D’autant que ses problèmes de poignets, qui le pénaliseront jusqu’à la fin de sa carrière, commencent réellement à faire parler d'eux à cette période.

L’hiver se poursuit et la GSL reprend ses droits pour sa première saison en 2013. À nouveau TaeJa parvient à rejoindre les derniers survivants dans le carré final, après sa victoire face au monstre Zerg Soulkey. Mais il échoue encore une fois face au futur vainqueur, RorO.

Ce sera la dernière GSL sous Wings of Liberty, et la dernière fois que le Terran ira si loin dans la compétition phare coréenne. Avec la mise en place du nouveau système des WCS, et le Code S qui s’y pliera, le prize-pool en Corée du Sud se verra amputer, et le niveau global du Code A par rapport aux Challenger Leagues d’Europe et d’Amérique poussera nombre de Coréens à l’exode. TaeJa ne fera pas exception à la règle après un échec cinglant en Ro16 de la première saison des WCS Corée, il se ralliera définitivement au Nouveau Continent à partir de la saison 2, en quête d’argent et de gloire facile.

Été 2013 : un air de TaeJa-vu

De là, TaeJa commencera à rafler à peu près tout ce qui passe devant lui et un nouveau Summer of TaeJa se dessine : HomeStory Cup pour sa première participation, ASUS ROG Summer 2013, DreamHack Bucharest, après une finale d’une qualité remarquable face à INnoVation.

À peu près tout, sauf les WCS Amérique, pour lesquels il devra s’incliner contre le futur vainqueur, Polt, en demi-finale. Ce résultat sera son meilleur parcours en compétition officielle WCS, avec sa défaite dans le dernier carré en Finale de Saison 2 par Bomber (oui, le futur vainqueur, encore) après être sorti de son groupe en tête, puis avoir écrasé Rain 3 à 0 en quarts de finale.

Rien de vraiment alarmant pour le moment, mais en Saison 3, TaeJa tombera de haut et sortira dès la deuxième phase de poules. L’on commence alors à se demander si le Terran est bien le tueur que l’on veut nous faire croire, d’autant qu’aux Global Finals, il ne brillera guère plus puisqu’il sera sorti par l’homme en forme du moment, le Protoss Dear, vainqueur coup sur coup de la GSL puis des finales WCS Saison 3.

En guise de consolation, TaeJa s’offrira une nouvelle HomeStory Cup, et remportera la phase finale annuelle de la DreamHack : la Winter, où il battra Life par deux fois.

Il serait malvenu et bien évidemment faux de penser que la qualité de jeu de TaeJa a quoique ce soit à voir avec ses déboires en compétition WCS tant le niveau d’une DreamHack est au moins égal voir bien supérieur à des phases finales de WCS Amérique.

Il serait également déplacé de parler de malédiction (je vous présenterai un type qui s’appelle soO, il aura sûrement deux ou trois mots à vous dire). Non, la principale raison à cela est le format sur une courte période de ce genre d’événements : que ce soit la DreamHack, la HomeStory Cup ou les ASUS ROG, toutes ont en commun de ne se jouer que sur deux à trois jours. Pas de préparation, pas d’étude de l’adversaire, on s’adapte au fur et à mesure, sans filet.

À cet exercice, TaeJa est pas loin d’être imprenable, fort de build orders exécutés au poil de fesse, et d’un mental d’acier, il s’avère très compliqué, pour n’importe quel joueur, de l’avoir sur son propre terrain. À l’inverse, lorsqu’il s’agit de faire ses devoirs et de préparer son match qui aura lieu dans un mois, TaeJa est un cancre. Ses résultats en 2013, et encore plus en 2014 en sont la preuve : d’abord contre HyuN en Saison 1 (qui gagnera la compétition) puis Pigbaby en Saison 2 (qui gagnera la compétition...), il se fera à nouveau sortir en deuxième phase de groupes en Saison 3.

Fort heureusement, l’été a toujours souri au Terran de chez TeamLiquid, et 2014 ne dérogera pas à la règle : d’abord la HomeStory Cup IX, puis la DreamHack Summer (où il réalisera l’exploit de ne pas perdre une seule map durant toute la compétition), et enfin les IEM Shenzhen, il viendra à nouveau montrer à la face du monde ce qu’il vaut et fera taire les mauvaises langues, pour un temps.

Une domination écrasante, pourtant remise en cause

TaeJa n’a plus grand-chose à prouver. À ceux qui l’ont critiqué pour son manque de titres, il leur a répondu en remportant onze Premier Tournaments, ce qui en fait à ce jour tout simplement le joueur le plus titré sur StarCraft II devant Mvp et ses neuf titres. À ceux qui pensaient qu’il ne battrait jamais un joueur de Code S, il leur a répondu en écrasant Zest 3-0 aux IEM Shenzhen (puis 2-1 à Toronto), en éliminant Solar en finale de cette même compétition ou en battant Life à plusieurs reprises en tournoi.

Au-delà de ses poignets, des bouteilles de champagne, et de sa préparation non adaptée pour les événements WCS, TaeJa souffre d’un autre défaut, dont beaucoup de Coréens souffrent également : son manque de charisme. D’aucun intérêt pour certains, l’image que renvoie les joueurs est pourtant la première chose que le public va capter, et l’un des principaux éléments qui déclenchera la fameuse hype. Bien que souriant, et parvenant désormais à aligner quelques mots d’anglais, TaeJa est loin des excentricités d’un HyuN ou d’un MC, et n’a pas la même aura que pourrait avoir un Flash ou un Jaedong.

On pourrait finalement dire la même chose d’un joueur comme INnoVation, seulement celui-ci, en plus d’avoir remporté un WCS Season Final, vient de gagner la dernière GSL, éclipsant tout ou partie de ses éventuels échecs passés.

L’on se rend compte alors de l’importance que prend le tournoi créé par Blizzard, malgré les différentes critiques des systèmes mis en place, d’une part pour les joueurs, mais aussi aux yeux du public. Avec deux demi-finales de Code S, et une demi-finale de Code A, TaeJa aura finalement eu un meilleur parcours WCS en Corée du Sud qu’en Amérique si l’on exclue les Season Finals/Global Finals.

Le TaeJa-clap de fin ?

Sept all-kills, onze Premier Tournaments, il ne reste finalement qu’un titre WCS, et les Global Finals seront vraisemblablement sa dernière chance, si l’on en croit ses différentes annonces de départ à la retraite avant la fin de cette année.

TaeJa, qui signifie littéralement « héritier présomptif », c'est-à-dire celui qui, naturellement, est le plus à même d’hériter de la couronne, est sans aucun doute déjà entré dans l’histoire de StarCraft II. Il n’y a désormais qu’un pas à franchir pour rentrer dans la légende ... mais quel pas !