Si les jeux vidéo sont d'ordinaire plutôt calmes dans les médias, deux affaires ont toutefois retenu leur attention ces derniers temps. La première, dont nous vous avions parlé fin août, n'est autre que la micro-polémique qui avait eu lieu suite à une chronique diffusée dans Le Grand Journal de Canal +. La seconde en revanche vous n'en avez rien vu dans nos colonnes et pour cause, dans ce cas précis on ne servait pas le jeu vidéo et on s'éloignait même plus ou moins de son sujet. Une fois encore il s'agissait pourtant de sexisme, de réseaux sociaux et surtout l'affaire n'avait pas lieu directement sur le sol français. Pourtant elle aura fait les choux gras de la presse pendant de longues semaines et c'est alors qu'aujourd'hui plus personne n'en parle que nous avons choisi de revenir dessus. L'objectif n'est pas de relancer la polémique, mais plutôt d'analyser la situation avec un peu de recul.
#GamerGate, de quoi s'agissait-il ?
Comme c'est la mode depuis quelques mois, un nom de code lié à un hashtag Twitter a été trouvé afin de parler de cette polémique autour du sexisme et de la communauté des joueurs. #GamerGate, c'est comme cela que certains ont choisi de nommer tout ce qui entoure cette histoire. Tout a débuté le 16 août lorsqu'un petit ami énervé publie un blog où il accuse son ex-compagne d'adultères à répétition. La communauté s'empare rapidement de l'affaire car la demoiselle accusée n'est autre que Zoe Quinn, une créatrice de jeux vidéo indépendants qui ne passe pas inaperçue. Cette dernière est accusée de tous les maux, elle aurait notamment trompé son ancien compagnon avec un journaliste spécialisé dans l'univers vidéoludique. Un blog intitulé « The Zoe Post » détaille les griefs du petit ami trompé envers Zoe qui serait manipulatrice, infidèle, menteuse et tout un tas d'autres adjectifs sympathiques.
Mais ce qui n'aurait dû rester qu'une simple vengeance personnelle sans grand intérêt va prendre une ampleur importante car la personnalité de Zoe intrigue certains joueurs depuis longtemps. Ses créations dérangent tout comme sa personnalité. C'est alors que les canaux habituels, 4chan et Reddit, entrent en action. Un détail dans les accusations du petit ami sur son blog va mettre le feu aux poudres. Zoe aurait donc eu une liaison avec un journaliste du site Kotaku.com et elle aurait couché avec cet homme-là simplement pour s'attirer de bonnes critiques par son site, très influent concernant la scène indépendante. La créatrice est placée sur le banc des accusés et une déferlante incroyable se met en route.
Des vidéos sur YouTube l'accusent, ses coordonnées personnelles sont affichées publiquement, des photos d'elle nue débarquent et elle se retrouve enfermée dans une spirale infernale qui dure plusieurs semaines sans discontinuer. Au cœur du cyclone, Zoe n'a aucun contrôle sur la situation et elle n'a d'autre solution que de se rapprocher des autorités compétentes afin d'assurer sa propre sécurité car des menaces de mort très précises pleuvent. Suite à cela, coïncidence malheureuse, la blogueuse Anita Sarkeesian publie la sixième vidéo de sa série consacrée aux clichés sur les femmes dans les jeux vidéo. Elle subit à son tour les foudres d'une masse phénoménale de personnes vraisemblablement très remontées. Les menaces et autres joyeusetés pleuvent une fois encore et Anita déclare même avoir dû déménager un temps afin de se mettre en sécurité elle aussi. À ce moment-là les jeux vidéo n'ont plus grand chose à voir avec l'histoire, il s'agit plutôt d'un conflit opposant le féminisme au machisme, or c'est ce dernier qui est à l'offensive.
Mais ce n'est pas tout, cet événement qui enflamme la toile pendant plusieurs semaines entraînent d'autres réactions en chaîne. Tous ceux qui tentent de défendre l'une ou l'autre des femmes se retrouvent à leur tour noyés sous une tonne de messages d'insultes. On retrouve par exemple le créateur du célèbre Fez, Phil Fish, qui en vient à annoncer son départ de l'industrie des jeux vidéo après avoir été à son tour attaqué pour avoir défendu Zoe Quinn. Le phénomène prend une ampleur inconsidérée, cela fait un peu plus de deux semaines que le fameux blog du petit ami trompé a été publié et désormais nous sommes bien loin de l'élément déclencheur. Les dizaines de milliers de personnes qui attaquent via les réseaux sociaux se sentent menacées par un complot dirigé par les médias et les créateurs. À cela se mélangent toutes les haines les plus primaires, de la haine des femmes en passant par le racisme tout y passe sans la moindre barrière. Et puis comme il a débuté, le « GamerGate » s'essouffle après avoir duré plus d'un mois, mais il laissera quoi qu'il en soit des traces dans la vie de ceux qui ont subi toutes ces attaques.
Le jeu vidéo pointé du doigt un peu vite
Au final tout cela n'aura pas servi à grand chose et n'aura pas fait changé les mentalités des uns et des autres. On notera toutefois que la communauté des joueurs de jeux vidéo s'est une nouvelle fois illustrée dans le mauvais sens du terme, tandis qu'elle a été également manipulée par des groupuscules qui avaient tout intérêt à propager ces idées nauséabondes et à faire parler. Le webzine Merlan Frit a notamment pointé du doigt cette tendance réactionnaire n'hésitant pas à conclure que « Faute de se donner une ligne claire, et de se fixer des objectifs audibles, le #Gamergate risque fort de rester dans l’histoire comme un mouvement épidermique récupéré et manipulé par l’extrême droite. » De plus toute cette nébuleuse floue aura vu un grand nombre d'observateurs ou d'acteurs du secteur commenter personnellement les événements, parfois maladroitement certains déclarant que dorénavant plus rien ne serait comme avant, d'autres qu'un clivage entre les joueurs venait de se créer. Comme si tous les joueurs ne faisaient qu'un avant cela et qu'aujourd'hui ils étaient divisés. C'était déjà le cas depuis longtemps, si la communauté incroyable entourant le jeu vidéo sait se retrouver parfois comme lors de l'affaire du Grand Journal de Canal +, le reste du temps elle vit sa vie chacun de son côté. Les cloisons sont nombreuses, fans de jeux indépendants, de consoles, de PC, de jeux mobiles, de MMORPG, de MOBA, de FPS ... Les sources de conflits sont nombreuses et tout le déferlement qui a entouré l'histoire de Zoe Quinn n'est peut-être pas à relier aux jeux vidéo, mais plutôt à d'autres phénomènes bien plus inquiétants.
Les réseaux sociaux sans réel contrôle, on le sait depuis un moment, finiront vraisemblablement par poser problème un jour ou l'autre, un réel problème de diffusion d'idées franchement nauséabondes. Autre point mis en avant, la facilité avec laquelle on peut retrouver les informations personnelles d'un utilisateur, célèbre ou non d'ailleurs. Car lorsque dernièrement les photos des célébrités nues ont fuité, personne n'a fait de rapprochement avec les jeux vidéo alors que les canaux de diffusions étaient les mêmes que dans l'affaire Zoe Quinn. Clairement, il existe là aussi des failles de sécurité préoccupantes qui peuvent entraîner des situations totalement extravagantes. Jeux vidéo ou non, une telle affaire aurait pu éclater dans de nombreuses autres communautés pour peu que ces dernières maîtrisent aussi bien les outils de communication modernes. Notons malgré tout qu'après une telle affaire, aucune action n'a été entreprise par qui que ce soit afin d'éviter que cela se reproduise. Que ce soit dans la protection des personnes victimes ou dans la traque de ceux qui dépassent les limites, l'impunité semble demeurer la règle ... Il serait peut-être temps que ça change, non ?