Afin d'avoir un avis extérieur sur le sujet nous sommes partis à la rencontre d'une des joueuses les plus populaires du monde. Stéphanie « missharvey » Harvey est présente sur le devant de la scène eSportive depuis de nombreuses années. Championne du monde de Counter-Strike 1.6 et Global Offensive, cette dernière a vu évoluer la scène et fait partie de ces joueurs qui sont parvenus à vivre, travailler et poursuivre leur carrière malgré les années. Originaire du Canada et vivant là-bas, elle avait fait un séjour en France où elle avait à l'époque rejoint la formation tricolore emuLate avec laquelle elle avait représenté les couleurs de notre pays lors de la Coupe du Monde ESWC de 2008 qui se jouait à San José en Californie.
Stéphanie est un cas à part mais elle conjugue toutes les qualités que l'on peut attendre d'un joueur en quête de reconversion. Poursuivant sa carrière au plus haut niveau, elle a également pu allier son amour du jeu avec sa vie professionnelle. Désormais employée par Ubisoft à plein temps, elle est régulièrement sollicitée par son employeur afin de faire partager son expérience hors-norme dans le domaine de la compétition. Nous aurons l'occasion de revoir à l’œuvre la Canadienne très prochainement lors de l'ESWC 2014 où elle devrait, comme à son habitude, faire partie des grands favoris de l'événement.
Interview de Stéphanie « missharvey » Harvey par Millenium Mac Coy
[M] Mac Coy : En tant que joueuse évoluant dans le milieu du sport électronique depuis un grand nombre d'années, si ta carrière était à refaire qu'est-ce que tu changerais avant de te lancer ? Regrettes-tu d'avoir manqué un concours, tes études, un cursus ou quoi que ce soit d'autre à cause des compétitions ou de l'entrainement ?
Stéphanie « missharvey » Harvey : Je ne changerai rien. J'ai continué ma carrière professionnelle (études, travail) en même temps que ma carrière pro de joueuse. Il était important pour moi de ne laisser tomber aucune des mes passions et mes études en faisant partie d'une équipe professionnelle. Je n'ai pratiquement pas changé mon parcours pour le jeu vidéo : même lorsque je suis partie finir ma licence en France, j'ai continué Counter-Strike là-bas.
J'ai peut-être fait une croix sur quelques voyages durant mon séjour contre des compétitions, mais c'était ce que je voulais faire à ce moment-là et je le respecte encore. Si je n'avais pas continué mes études et le jeu en même temps, je n'aurais sûrement jamais quitté l'Architecture pour la Conception de jeux, un métier que j'adore aujourd'hui et qui me semble tellement naturel.
Tu as connu une carrière riche en victoires, à partir de quel niveau de jeu penses-tu que l'on puisse faire de l'eSport un métier et s'y consacrer à plein temps ?De nos jours, avec Twitch et YouTube, n'importe quel niveau de jeux peut permettre à un joueur de vivre comme s'il travaillait à temps plein. Il suffit d'y investir le temps suffisant, d'avoir une bonne idée ou d'être très bon : toutes les raisons sont valides. On le voit avec des joueurs comme Summit (entertainer), ou Hiko (bon joueur) : il y a de la place pour tout le monde.
Justement, l'évolution de la scène a permis l'avènement de plate-formes de streaming (Twitch) ou de vidéos (YouTube) qui rémunèrent les joueurs suivant leur audience. Comment vois-tu cette évolution et qu'en penses-tu ?Je pense que c'est incroyable et je regrette qu'il n'y avait pas ces options lorsque j'ai débuté ma carrière ! Il est beaucoup plus difficile pour moi de faire tout cela maintenant qu'il ne l'aurait été auparavant. Je suis très impressionnée du succès que certains joueurs ont et je m'y intéresse beaucoup. J’essaie de faire du contenu pour les deux plate-formes mais avec mon emploi du temps chargé, ma carrière et mes responsabilités, ce n'est pas toujours évident.
J'envie les gens qui ne font que cela, mais en même temps je ne quitterai jamais mon emploi pour le faire. J'ai encore aujourd'hui besoin d'apprendre et d'être stimulée intellectuellement dans mon quotidien, ce que mon travail chez Ubisoft me permet de faire énormément.
On constate ces derniers temps que ceux qui gagnent le plus ne sont pas forcément les meilleurs mais plutôt ceux qui savent assurer l'entertainment. Est-ce que tu trouves cela normal ou tout simplement juste ?Je trouve cela juste. C'est comme ça dans tous les domaines. Est-ce que ce sont toujours les meilleurs sportifs qui ont les meilleurs contrats de publicité ? Je pense que le charisme y est pour beaucoup plus et je suis contente que cela s'applique aussi dans le sport électronique.
Quels conseils donnerais-tu à un joueur ou une joueuse qui souhaiterait se lancer dans le sport électronique ? Y a-t-il un âge, un niveau d'étude, un encadrement nécessaire ?Aucun prérequis outre la persévérance. Je crois qu'il faut travailler très dur car rares sont les cas de talents purs. Même les meilleurs joueurs doivent pratiquer des heures et des heures et doivent faire beaucoup de sacrifices. J'ai dû refuser énormément d'activités avec des amis, familles ou autres afin de m'entrainer. Ce sont des choix à faire, et qui pour moi avaient un lien direct avec mon plan de carrière et mes passions.
Aujourd'hui ton parcours t'a permis d'évoluer ailleurs que strictement au sein de la scène compétitive. Penses-tu que ta carrière t'a aidé ou t'aide dans la vie de tous les jours et si oui, en quoi est-ce le cas ?Bien sûr. Ma carrière m'a énormément aidé dans tous les aspects de ma vie et cela pour des tonnes de raisons. J'ai des connaissances très riches sur un jeu, sa communauté et un style de vie, et cela depuis tellement longtemps que je suis une ressource très prisée. Avec mes études en design de jeux, je suis très bien placée pour pouvoir bien faire le pont entre l'industrie et l'eSport. Mon passé m'a aussi aidé à surmonter des défis, travailler en équipe, être autodidacte, etc. Je ne vois que du positif sur mon parcours.
Est-ce que tu t'es fixée un âge limite avant d'arrêter définitivement la compétition ? Qu'est-ce qui pourrait entrainer un départ précipité à la retraite pour toi ? Un heureux événement, un nouveau travail, une nouvelle vie ?Depuis la sortie de Counter-Strike:Global Offensive, j'ai décidé de ne plus me fixer une date d'arrêt. J'ai bien essayé mais j'aime trop la compétition. Ça m'aide dans mon travail et dans ma carrière personnelle, j'ai terminé mes études et je n'ai pas de famille encore, donc aussi longtemps que je pourrai continuer je le ferai.
Je ne comprends pas pourquoi, même après 11 ans, je suis toujours en amour avec ce jeu. Je crois aussi que je n'ai jamais été aussi bonne à Counter-Strike et je me vois difficilement arrêter quand je vois mon potentiel encore grandir.
Tu as pu assister à pas mal de changements dans l'eSport, comment vois-tu la vie des joueurs professionnels dans la prochaines années et quelle sera l'évolution selon toi ?
J'espère qu'on se dirige pour continuer vers le succès de Riot et ses équipes. J'espère qu'il va être de plus en plus facile d'avoir du soutient financier pour organiser des compétitions locales. J'espère que le « mainstream » va débarquer partout à travers le monde, comme cela s'est fait en Corée il y a quelques années. Et j'espère surtout continuer de faire partie de cette évolution avec vous pendant encore longtemps.
À toi le dernier mot !
Merci d'avoir pensé à moi pour ces questions et merci à mes parents, famille, amis, Ubinited (Ubisoft & SteelSeries), fans et submarines. Et puisque c'est d'actualité, un grand bravo à Louffy pour sa victoire lors de l'EVO 2014. Je ne suis pas particulièrement fan de Rose mais il me l'a faite kiffer. C'était tellement beau que j'en ai perdu la voix. Victoire impressionnante et méritée.