À mesure que la saison 2014 de Proleague avance, le répertoire de stratégies proposées par les équipes en lice n'en finit plus de s'étoffer et de nous surprendre. Il est souvent mis en avant dans les commentaires que l'on peut lire ou entendre çà et là que la plus grande force des Coréens est avant tout leur immense capacité de travail. On oublie cependant trop souvent de mentionner que cet acharnement à s'entraîner s'accompagne aussi la majeure partie du temps d'une vraie recherche dans la construction de leurs Build Orders et des timings qui les accompagnent.
La saison de Proleague qui a débuté juste après Noël est de ce point de vue assez exemplaire. Là où dans la plupart des autres compétitions, les stratégies proposées dans les différents matchup se limitent au cadre bien défini d'un metagame évoluant finalement plutôt lentement, semaine après semaine la Proleague n'a de cesse de nous rafraîchir en nous proposant régulièrement des BO et une manière de jouer très souvent innovants.
Parting vient de sniper Flash et il n'a pas peur de le montrer !
Même la GSL, qui a longtemps été considérée - et l'est encore aujourd'hui - comme la vitrine coréenne de StarCraft II dans le reste du monde et l'un des plus grands viviers de talents, apparaît cette année nettement plus terne, tirée très certainement vers le bas (il faut l'avouer), par le très faible nombre de Terrans ayant réussi à se qualifier pour le code S. Même si le PvP, le ZvZ ou le PvZ peuvent être chacun à leur manière assez passionnant, il n'y a aucune honte à finir par s’en lasser...
Le TvZ qui opposa au début du round 2 de la Proleague FanTaSy à Life restera sûrement une des games les plus emblématiques de cette tendance des joueurs de Proleague à jouer les avant-gardistes en matière de stratégies. Là où aujourd'hui l'immense majorité des Terrans choisissent en début de partie entre un jeu orienté bio et un jeu orienté méca, avec bien sûr différentes variantes et quelques subtilités, FanTaSy a proposé une composition mixte entre méca et bio qui n'avait jamais été proposée auparavant.
Ce style de jeu a complètement surpris le pauvre Life qui faisait ses débuts en Proleague et qui n'a pas eu, in game, le temps de trouver un contre viable à cette stratégie hybride. Même les commentateurs anglophones du match se sont retrouvés sans voix à observer FanTaSy développer ce jeu déroutant. Ils reconnurent malgré tout la difficulté d'exécution que représente la mise en place d'une telle armée. On pourrait ajouter que le développement de ce type de stratégie a dû coûter des heures de travail et d'entraînement à FanTaSy au sein de la Gaming House SK Telecom T1.
Marines, Maraudeurs, Hellbats, Thors, Tanks, +2/+2 d'upgrades bio ? Mais que fait FanTaSy ?
En ce qui concerne le retour de l'utilisation du jeu méca en TvZ, qui est aujourd'hui utilisé de plus en plus régulièrement à travers le monde, il faut reconnaître que Flash n'y est certainement pas pour rien. Il a montré à plusieurs reprises en Proleague combien ce style était puissant quand il est bien exécuté.
De semaine en semaine, on voit donc les Zergs contraints de s'adapter à ces nouvelles stratégies et modifier leur style de jeu par petites touches. Soulkey a ainsi contré il n'y a pas si longtemps le style méca de Reality par une utilisation aggressive d'un mix d'Essaimeurs, d'Ultralisks, de Vipères et de Mutalisks dans une game de plus de deux heures. Celle-ci a finalement dû être arrêtée par les organisateurs de la compétition avant d'être rejouée. Et de voir les deux joueurs proposer les mêmes stratégies ! La seconde fois, pourtant, Soulkey trouva la brèche chez son adversaire et parvint, grâce à d'excellentes mécaniques, à en venir à bout... après quarante-cinq minutes de jeu tout de même !
Il faudra finalement 2h45 de jeu pour que Soulkey trouve enfin une faille dans le jeu de Reality
Le TvP est un autre matchup représentant l'innovation proposée en Proleague ces jours-ci. Là où les Terrans se font « Protossed » dans une majorité de compétitions, la Proleague représente une oasis en terme de statistiques : à l’issue de la première journée du round 2, les Terrans comptabilisent 55,56% de victoire contre Protoss (source Aligulac).
Maru, le jeune prodige de Jin Air est certainement l'un des artisans de cette tendance, mais il est loin d’être le seul. TY, et dans une moindre mesure Cure ou Flash, ne sont en effet pas en reste dans le domaine. Chacun de ces joueurs sait parfaitement adapter le choix de sa stratégie à la map jouée et réussit souvent à surprendre ses adversaires Protoss, que ce soit par un déluge de micro de Maraudeurs comme sait si bien l'exécuter Maru ou bien des Timing attacks hallucinants pour ce qui est de TY. Le récent match de TY contre Hurricane est d'ailleurs exemplaire de ce point de vue : après avoir forcé son adversaire à se contenter d'une économie très limitée en retardant très longtemps la pose de B2, TY est venu étouffer Hurricane à l’instant où ce dernier commençait à peine à sortir la tête de l'eau grâce à la prise de la gold sur Habitation Station.
Les SCV sont là pour filer un coup de main : TY va rouler sur Hurricane
Il faut malgré tout noter que les Protoss ont plutôt réussi ces derniers temps à relever la tête après un début de Proleague catastrophique. Maru a en effet de plus en plus de mal à trouver la faille chez ses adversaires Protoss et la macro légendaire de Flash ne lui suffit plus, à elle seule, pour gagner ses TvP.
Ce constant aller-retour entre nouvelles stratégies et recherche de contres viables est certainement un des puissants moteurs de la Proleague et lui confère une dynamique rarement égalée dans les autres tournois. Lors des IEM ou des DreamHack par exemple, l'enchaînement des parties est si rapide que l'on a vite fait le tour des stratégies des joueurs qui n'ont alors ni le temps ni les moyens de se réinventer d'une game à l'autre. En GSL, le résultat est relativement similaire dans la mesure où les joueurs, sous pression, ont plutôt tendance à privilégier les stratégies les plus sûres et donc de fait les plus courantes.
Le format propre à la Proleague est certainement à placer au coeur des raisons de son impressionnant succès cette année. Contrairement aux autres tournois purement individuels - on pourrait même dire individualistes - la Proleague a tout d’abord l'originalité d’être une compétition par équipe. La pression qui s'exerce sur un joueur quand il rentre dans son booth est donc nécessairement moindre que lors d'une compétition individuelle. Les joueurs savent qu'ils ont le droit à l'erreur puisque leurs coéquipiers ne sont jamais trop loin pour tenter de rattraper une défaite. Certains peuvent même se permettre de prendre des risques importants et proposer certaines stratégies qu'ils n'auraient peut-être jamais tentées lors d'une compétition individuelle où jouer safe comme mentionné un peu plus haut est souvent synonyme de réussite.
La Proleague est d'autre part une compétition qui s'inscrit dans la durée. Chaque joueur sait qu'il ne va jamais affronter plus qu'une poignée d'adversaires chaque semaine. il connaît même généralement un ou deux jours à l'avance leurs noms ainsi que les maps sur lesquelles il va jouer. Il a donc un peu de temps pour se préparer spécifiquement à ses matchs et peut concentrer ses efforts à tester quelle stratégie sera la plus adaptée pour contrer un adversaire dont il aura étudié le style de jeu et même essayé de deviner les tactiques potentielles. Le coach de l'équipe est un des artisans essentiels de cette préparation. Une fois qu'il a choisi les joueurs qu'il voulait aligner, il peut très bien utiliser les autres pour entraîner les premiers et leur permettre ainsi d'optimiser au maximum leurs BO ou d'essayer d'en relever les défauts pour pouvoir les corriger ensuite. Le rôle de conseil du coach est sûrement décisif ici.
Le coach KT Rolster et son équipe
Même la GSL dont le calendrier reste finalement plus léger ne permet pas aux joueurs d'optimiser autant leurs stratégies. Ils ont certes plus de temps pour se préparer, mais ils ne savent jamais à l'avance sur quelles maps exactement ils joueront - la première est tirée au sort et les suivantes choisies par le perdant du match précédent -, ni qui sera leur second adversaire. Ces incertitudes les obligent à se préparer à contrer un panel important d'éventualités qui ne les autorisent pas vraiment à concentrer leurs efforts sur un ou même quelques BO en particulier. En Proleague, ce côté incertain est présent malgré tout lors de l'ace match ou de certains rounds joués au format all-kill. Mais même si ces changements de format limitent mécaniquement la variété des builds proposés par les joueurs, ils ont malgré tout l'avantage d'apporter encore un peu plus de diversité à cette compétition.
Une des autres raisons de la multiplicité des styles de jeu rencontrés en Proleague tient au fait que les joueurs alignés par les équipes sont rarement les mêmes d'une journée à l'autre. On découvre donc de nouveaux talents ou même parfois des spécialistes de certains matchup que l'on n'a pas l'occasion de voir en GSL ou dans d'autres tournois. Voir de nouveaux visages et de nouveaux styles de jeu est certainement aussi l'une des clés du côté rafraîchissant de cette compétition : Action, Turn ou Trend qui ne s'en sortent finalement pas si mal pour l'instant finiront peut-être ainsi par être alignés plus régulièrement par leurs équipes et acquérir l'expérience dont ils ont besoin pour faire de meilleures performances dans d'autres tournois.
Action défend le push de Creator et ouvre ainsi son compteur de victoires en Proleague
Enfin, une part importante des stratégies pratiquées lors des matchs de Proleague sont viables aussi en raison du choix des maps qui a été fait par les organisateurs de la compétition : Outboxer et The King Sejong Station apportent ainsi une touche d'originalité aux côtés de quelques cartes du ladder plutôt équilibrées. Le map pool est de plus légèrement réajusté à chaque nouveau round. FanTaSy aurait-il pu mettre en place la stratégie mixte qu'il a proposée contre Life s'il n'avait pas joué sur Outboxer ? On peut fortement en douter. La partie entre Soulkey et Reality aurait-elle duré plus de deux heures s'ils n'avaient pas joué sur Star Station ? Peu probable. Il en est peut-être de même en ce qui concerne la domination des Terrans sur les Protoss en Proleague. Comme le défendait récemment MC dans un article, le map pool des WCS contient de nombreuses cartes où les all-in Protoss contre Terran sont relativement faciles à exécuter, ce qui explique pour lui leurs bons résultats dans le match up en GSL et aux WCS. En Proleague, le choix des cartes semble plus équilibré de ce point de vue - absence de Heavy Rain et Daedalus Point - ce qui permet aux Terrans de finalement mieux s'en sortir.
Il n'y a qu'à lire l'avalanche de commentaires sur Twitter ou Reddit qui accompagne chacune des journées de Proleague pour se rendre compte à quel point cette compétition est unique et réussit à marquer les esprits tout en captivant ses spectateurs qui comptent en leur sein d'ailleurs de nombreux joueurs professionnels du reste du monde.
En Europe, l'Acer TeamStory Cup est la seule compétition actuellement dont le format se rapproche quelque peu de celui de la Proleague. Malheureusement, l'importance accordée par les équipes à cette compétition laisse encore à désirer et l'eau risque de couler sous les ponts avant que certaines n'investissent véritablement dans la mise en place d'un entraînement spécifique de leurs joueurs pour s'y préparer. Un premier pas pour les y amener doucement serait peut être de sortir du format all-kill et de proposer certains rounds du tournoi dans un format où les maps et les joueurs seraient connus à l'avance. TotalBiscuit avec son SHOUTcraft Clan War propose exactement ce type de format, les maps et les modes de jeu étant malheureusement peut-être un peu trop originaux pour que les joueurs aient vraiment très envie de s'entraîner spécifiquement pour cela sérieusement et de jouer pour autre chose que le fun... Même si le cash-prize est finalement non-négligeable.
Dear écrase INnoVation sur Keru en SHOUTcraft Clan Wars
En attendant, nous avons heureusement tout le loisir de nous délecter des matchs de Proleague soit en direct pour les heureux qui sont disponibles à ce moment-là, soit en VOD qui sont généralement très rapidement disponibles après chaque journée sur la chaîne Youtube eSportsTV.