Les développeurs de StarCraft II, emmenés par David Kim, s'interrogent sans cesse sur l'équilibrage du jeu. Mais, s'il est important de garder un œil sur le metagame pour éviter les injustices flagrantes, a contrario on est en droit de se demander si patcher le jeu à répétition est une bonne chose, surtout quand d'autres facteurs entrent en jeu.
David Kim dirige l'équipe de développement de StarCraft II.
Un jeu à évolution lente
StarCraft est un jeu de stratégie en temps réel (RTS), ce qui signifie que vous devez en permanence vous adapter à ce que votre adversaire fait, et tenter de prendre l'avantage économiquement, en valeur d'armée, ou technologiquement. Il existe toutefois un autre niveau de compréhension dans un RTS, qui concerne l'éventail des stratégies existant à un instant donné. C'est le metagame, et il évolue plutôt lentement. Au fur et à mesure des parties jouées aux quatre coins du monde au niveau professionnel, certaines stratégies vont devenir à la mode, soit parce qu'elles sont particulièrement « safe », c'est-à-dire qu'elles vous permettent de survivre dans les premières minutes de jeu sans y sacrifier trop d'économie ni de technologie, soit parce qu'au contraire elles permettent de gagner rapidement. Tout le jeu consiste à trouver un contre à certaines de ces stratégies. Par exemple, en Protoss contre Terran (PvT), l'une des stratégies à la mode est le Blink Build sur deux bases, qui vient sanctionner un Terran trop "greedy". Une partie des efforts de la communauté Terrane ces dernières semaines consiste à trouver un Build permettant de survivre à cette grosse pression sans trop y sacrifier leur économie ni trop retarder leur technologie.
Les Terrans réfléchissent activement à des solutions contre Protoss.
Le véritable travail de recherche qu'un joueur ou une communauté doit effectuer pour contrer certaines stratégies dans un match-up donné est ce qui fait la beauté d'un RTS. Sans metagame, le jeu est statique. C'est également l'intérêt des forums, qui rendent la communauté StarCraft si vivante : on s'affronte sur le ladder, mais en dehors de cela on parle, on s'épaule, et on essaie de comprendre ensemble un jeu dont la difficulté est sublime. C'est là qu'intervient le problème.
Les développeurs du jeu, lorsqu'ils lisent les posts et voient que de nombreux joueurs se plaignent d'un matchup ou d'une stratégie, en viennent à se demander si StarCraft II est équilibré. Si le problème persiste, ils commencent à réfléchir à des solutions, à des modifications à apporter au jeu pour endiguer le manque d'équilibre apparent. Le processus est excellent, mais gare à la dérive ! Car quand on dit "si le problème persiste", il faut bien prendre en compte le temps d'évolution du jeu. Le temps de trouver une solution se chiffre-t-il en jours, en semaines, en mois ? À partir de quel moment faut-il réellement envisager un nerf ou un buff ? La question peut sembler illusoire, et pourtant c'est primordial de savoir estimer ce qui est imba de ce qui ne l'est pas.
Imba, ou déséquilibré, signifie que le jeu n'offre aucune réponse à une stratégie donnée. L'exemple le plus communément cité de l'imba était la composition Broodlords-Corrupteurs-Infestateurs de Wings of Liberty. Il n'existait aucune réponse permettant de faire face à cette armée. À défaut vous partiez en Base trade, mais si le Zerg emportait quelques Sporuleurs sous ses Broodlords vous ne pouviez pas gagner. Une autre exemple d'imba fut le fameux Warhound, qui fut avorté avant la sortie de Heart of the Swarm. Enfin, le Drop Hellbat des débuts de HotS nécessita un nerf tant les Zergs n'avaient aucune réponse à portée de main lorsque l'agression arrivait.
La bête qui terrorise nombre de joueurs.
Ce qu'un patch doit apporter
Dans la plus récente intervention de David Kim sur l'équilibrage du jeu, de nombreuses modifications potentielles ont été présentées. Le fait que ces réflexions soient exposées à la communauté dans un souci de transparence est une excellente chose. Cela permet aux joueurs du monde entier d'apporter leur opinion avant que ladite modification soit effective, évitant ainsi aux développeurs du jeu de reproduire les erreurs passées. En ce sens, les modifications possibles du Noyau de Vaisseau mère peuvent effectivement apporter une réponse aux Terrans dont les difficultés dans le matchup sont notoires. Posons maintenant la question qui fâche : à quel problème concret un buff de l'énergie du Fantôme répond-il ? À quel problème rencontré en jeu une unification des améliorations du Méca répondait-elle ? Attention, je ne suis pas en train de dire que ce sont de mauvais choix...
Il y a eu cinq changements d'équilibrage en huit mois (Source). La question est simplement de savoir ce à quoi un patch doit correspondre. To patch signifie réparer, rapiécer, poser une rustine sur. Cela sous-entend donc qu'il y a, au départ, un problème concret entraînant un déséquilibre dans le jeu, et que le patch vient rétablir la balance. En l’occurrence, le Méca Terran ne souffre d'aucun problème particulier si ce n'est qu'il n'est pas employé aussi souvent que ce que les développeurs du jeu voudraient. Les unités mécaniques existent depuis StarCraft I, et la norme sur Brood War était de jouer Méca. En dehors de cela, à priori, un Terran jouant Méca ne souffre pas de mort atroce due à des stratégies complètement imba - et quand bien même ce serait le cas, il pourrait opter de jouer Bio. Plutôt, les développeurs du jeu souhaitent voir les Terrans jouer Méca, et tentent de modifier le jeu dans cette direction. Cela correspond à une envie et non à un besoin.
Avant Kerrigan jouait Terran ...
Un terrain de jeu instable
StarCraft : Brood War n'était pas patché. De ce fait, l'évolution du metagame ne reposait que sur le génie des joueurs inventifs ... ainsi que sur les cartes. Sur un jeu qui ne change pas, en effet, l'intégralité des stratégies possibles est découverte au bout d'un certain temps. C'est alors que la map devient déterminante. Selon sa géographie, le joueur va préférer opter pour une stratégie plutôt qu'une autre. Si la carte interdit littéralement au joueur de prendre une troisième base, il va probablement choisir d'exécuter un all-in sur deux bases. Les cartes sont une composante fondamentale de l'évolution du metagame, et le moins qu'on puisse dire c'est que les maps de cette saison du ladder ne font pas l'unanimité. Plus particulièrement Point de Dédale et Bastion d'Alterzim ont provoqué la colère de beaucoup de joueurs.
Les cartes du ladder sont alignées depuis quelques temps sur celles utilisées aux World Championship Series organisées par Blizzard. L'éditeur du jeu est donc devenu l'entité décidant de la direction que doit suivre le metagame. Là où le bât blesse, c'est que ces cartes changent désormais au bout de deux voire trois saisons. Le retrait ou l'ajout de cartes dès que le classement 1c1 redémarre provoque une effervescence dans la communauté, et pour cause ! À peine a-t-on le temps de prendre ses marques sur une carte qu'elle se voit supprimée à la saison suivante. C'est un processus qui redémarre sans cesse : nouvelle carte, découverte, réflexion sur la stratégie la plus adaptée à la géographie, peaufinage/optimisation d'un Build, disparition de la carte.
... maintenant, elle fait masse Lings sur Point de Dédale.
L'idée derrière le renouvellement du map pool est simple : éviter de tomber dans la lassitude. Même si cela a été une déchirure pour beaucoup, en éliminant Daybreak au bout de presque deux ans les développeurs ont fait le bon choix. Le map pool doit offrir une diversité suffisante pour les joueurs : certaines grandes cartes pour les longues parties, des cartes « rushs » pour les amateurs de all-in, des cartes intermédiaires, pourquoi pas des cartes « îles » comme on pouvait en voir sur Brood War. Mais pourquoi se limiter à sept cartes ?* Pourquoi ne pas proposer un map pool à dix, douze, quinze cartes ? Cela permettrait d'avoir une diversité suffisante, pour tous, et de ne pas renouveler les cartes aussi souvent.
Y a-t-il trop de modifications dans StarCraft II ?
Le contexte actuel rend les choses difficiles à juger, car le jeu n'est en rien le même selon que l'on est Gold ou Grand-Master. Pour un joueur « casual » qui ne dispute que quelques parties par semaines, les modifications peuvent poser un réel problème et le pousser à abandonner. Pour un joueur Grand-Master qui s'entraîne plusieurs heures par jour l'adaptation se fera bien plus rapidement.
Alors comment satisfaire à la fois les joueurs occasionnels, les joueurs professionnels, et les viewers de compétitions ? Comment rendre le jeu dynamique et attractif, offrir aux viewers suffisamment de diversité en modifiant les cartes régulièrement ou en rendant le Méca viable (par exemple), sans pour autant perdre les joueurs du dimanche ? C'est le problème majeur auquel les développeurs du jeu doivent faire face. Modifier le jeu aussi souvent qu'à l'heure actuelle n'est pas nécessairement une bonne solution car tenter de satisfaire tout le monde en permanence peut virer à la démagogie. C'est le fossé entre d'un côté la fréquence des modifications et de l'autre le temps d'évolution du metagame qui pose problème. Le jeu fluctue naturellement et il est important que les changements d'équilibrage ainsi que le renouvellement des cartes viennent répondre à de vraies difficultés et/ou à la lassitude des joueurs. Et comme le montre ce graphique (Source), le jeu est globalement très équilibré :
L'écart à l'idéal des 50% est-il dû aux cartes, à l'équilibre pur et dur entre les trois races du jeu ? Bien avisé celui qui peut répondre à cette question...
* Merci à Cartman d'avoir soulevé ce point.