Pas un mot. Riven et Varus marchaient depuis des semaines sur le continent. Le jeune homme s'était laissé séduire par le discours de rédemption qu'elle avait déclamé au milieu des ruines de Navori. Il l'avait suivie sans hésitation et sans savoir où sa décision le mènerait. La guerrière avait pris soin de laisser passer Varus devant elle, marchant ainsi quelques mètres derrière lui. Ils n'étaient pas vraiment ensemble, mais n'étaient jamais séparés non plus. C'est ainsi que commença leur longue marche.
Ils formaient un tandem improbable d'exilés, d'apatrides jadis ennemis aujourd'hui réunis par les aléas de la fortune. Riven suivait aveuglément le gardien qui était à ses yeux un gage de sécurité. En effet, il connaissait chaque route, chaque pierre sur leur chemin, leur évitant ainsi les dangers. Grâce à lui, ils gagnaient un temps précieux, si bien sûr cette notion était encore de mise. Malgré la routine silencieuse de leur voyage, il n'y avait ni but, ni destination.
« The Kinkou Order » by Luyen-Darkness
Riven entendait parfois gémir Varus tandis qu'il émettait de longs râles de souffrance. Le fléau le rongeait toujours et la gangrène se propageait inéluctablement. Le gardien s'arrêtait souvent et parfois pendant quelques heures tant le repos lui était nécessaire. Riven cessait alors de marcher également, et établissait un camp provisoire : elle allait puiser de l'eau, chasser quelques petits animaux avant d'allumer un feu lorsque le jour déclinait. L'un en face de l'autre, ils mangeaient lentement sans jamais se parler. Mais ce silence omniprésent n'était pas une gêne, bien au contraire, leurs escales n'en étaient que plus reposantes. Aux premières heures du jour, les deux marginaux reprenaient la route, apaisés et revigorés. La seule question qui subsistait était celle de leur destination, jamais évoquée, si ce n'étaient les longs regards qu'ils échangeaient à la nuit tombée, au coin du feu.
Mais un soir, le vœu de silence fut rompu. Riven et Varus s'étaient assoupis tous deux auprès des braises encore chaudes, quand tout à coup, des bruissements se firent entendre, les arrachant à leur sommeil. Réveillés en sursaut, ils s'étaient précipités sur leurs armes, attendant de faire face à ce qui rôdait dans l'ombre. Dos à dos, ils se protégeaient mutuellement, calquant chaque respiration sur le souffle de l'autre : cette harmonie fut de courte durée. Soudainement, un rayon lumineux déchira le ciel et en une seconde, Riven fut mise à terre, succombant à la vigueur et à la force de son agresseur.
« Il était temps Varus, déclara celui-ci.
- Shen... J'aurais dû m'en douter. »
Après quelques instants, les visages des deux hommes s'illuminèrent d'un sourire fraternel.
« Je suis heureux de te revoir, dit Shen. Nous t'avons cru mort, tu sais... À cause de ce qu'il s'est passé au puits de Pallas.
- J'ai connu des jours meilleurs, c'est certain, plaisanta Varus. Allez, lâche donc cette jeune femme. Elle ne t'a rien fait !
- Quoi ? ! Je pensais que c'était ta prisonnière ! Sais-tu de qui il s'agit ?
- Bien sûr, et sans doute mieux que toi. Grâce à elle, j'ai beaucoup appris de mon ennemi. Je veux que tu la libères, maintenant.
Shen s'exécuta et posa sur Riven un regard plein d'incompréhension.
- J'ai renié Noxus, expliqua-t-elle, et je suis en exil maintenant. Varus a quitté Navori avec moi, après l'invasion... Mais toi, qui es-tu ?
- Je suis Shen, ninja de l'ordre Kinkou. Je suis l'un des trois guerriers de l'ombre, dévoués au maintien de l'équilibre fragile de Runeterra.
- Jamais je n'avais entendu parler de cet ordre, s'étonna Riven. Nous étions décidément moins informés que nous le pensions, et je constate aussi que nous avions sous-estimé Ionia, vraiment... »
Tandis qu'elle s'exprimait, la jeune femme sentit peser sur elle les regards des deux hommes. Devinant qu'elle n'avait pas sa place en ce moment de retrouvailles, Riven trouva comme prétexte d'aller chercher du bois pour raviver le feu, et s'éclipsa. Lorsqu'elle fut un peu plus loin, Shen tressaillit :
« Varus, penses-tu vraiment que l'on puisse lui faire confiance ? Je veux dire... C'est une noxienne.
- Je crois que nous pouvons, oui. Tu n'étais pas là à Navori, tu n'as pas vu ce que j'y ai vu. Cette femme a brisé son épée et tourné le dos à son peuple. Elle a ouvert les yeux sur Noxus et veut se repentir en lavant son honneur par l'exil. Je crois qu'elle y arrivera. C'est déjà le cas, un peu plus chaque jour... »
Il ajouta, en regardant la silhouette de Riven se dissiper dans l'ombre :
« Et si je me trompe, alors tant pis, je m'en moque. Je n'ai plus grand-chose à perdre...
- Je sais que tu te leurres en disant cela Varus. Sinon pourquoi aurais-tu tenté de sauver ton village ?
- Il faut croire que les habitudes ont la vie dure...
- Eh bien, il est temps de prouver ta dévotion pour notre peuple, une fois encore.
- Je t'explique... Il y a deux jours, en observant les étoiles, j'ai cru discerner d'étranges présages. J'ai alors appelé Akali, pour lui faire part de mes trouvailles. Pour elle, ces symboles cosmiques n'étaient que le résultat du carnage chez toi, à Navori. Malgré son avis, je suis resté persuadé du contraire et je me suis demandé ce que Noxus nous réservait encore. J'ai donc envoyé Kennen à la recherche d'informations. Tu connais sa rapidité légendaire, sa loyauté pour notre cité ! Il est revenu quelques heures plus tard, avec de tristes nouvelles, ajouta Shen mystérieusement.
- Alors parle ! Que se passe-t-il... s'impatienta Varus.
- Pendant que les lignes noxiennes étaient en route pour Navori, d'autres soldats dirigés par Darius se sont mis en marche vers Demacia. Notre alliance avec eux est connue de tous, et surtout de notre ennemi. En attaquant les deux territoires de front, ils se sont assurés qu'aucune entraide ne serait possible.
- Ce qui explique que les renforts ne soient pas arrivés à temps, comprit Varus.
- Exactement. Zelos n'a d'ailleurs pas pu vous communiquer cette information, car il a été fait prisonnier lui-même.
- Et Demacia... Demacia a-t-elle résisté ? s'inquiéta le jeune homme.
- Ils n'ont pas lancé d'offensive, affirma Shen. Ils ont fait pire que cela. Leurs gardes ont capturé le chef du Détachement hardi, un des hommes les plus valeureux de la cité. La guerre n'est pas finie mon frère, car si Demacia tombe, nous tomberons avec elle...
- Que comptes-tu faire ?
- Akali va me rejoindre demain, à la rivière située à quelques kilomètres d'ici. Kennen est déjà près de leur campement ; il observe. Tu vas venir avec moi. Nous ne pouvons pas laisser Darius triompher, encore une fois.
- Mon arc est à ton service, Shen. Mais... Riven. Va-t-on partir sans elle ?
- Nous ne lui dirons la vérité qu'une fois sur place, pour plus de sécurité. Elle vient avec nous. Tu imagines ? La valeur de sa vie aux yeux de Noxus ? Nous aurons peut-être besoin d'elle.
- Riven ne sera pas mon otage.
- Appelle cela comme tu veux... Je crois que nos ennemis ne sont pas encore tous informés de sa désertion. Elle est un symbole pour eux : elle est précieuse. Nous partirons, tous ensemble, demain à l'aube. »
Épilogue
Pendant ce temps, au campement noxien.
Garen se sentait affaibli, désorienté, et sa bouche était asséchée depuis longtemps. Il était difficile pour lui de se situer dans le temps, car un épais bandeau voilait ses yeux. Il ne savait pas où il était, et était à l'affût du moindre indice sensoriel. Quelques bribes de conversations venaient parfois jusqu'à ses oreilles, mais sans qu'il puisse distinguer nettement la nature du dialogue. Le vent s'infiltrait par rafales jusqu'à lui, dans un sourd claquement de tissus. Cela lui laissa présager qu'il se trouvait sûrement dans une tente. Il gisait là, pieds et poings liés, terrassé par la faim et le froid.
Il entendit soudain un bruit proche de lui. Quelqu'un venait d'entrer, car Garen pouvait sentir l'air glacial du dehors. Il sentit qu'on venait vers lui. Une main heurta son visage, et son bandeau lui fut retiré. Garen mit quelques instants à recouvrer la vue et distingua peu à peu la silhouette qui lui faisait face. Une longue chevelure flamboyante ondulait, jouant avec les reflets de la lumière. Il reconnut bien vite ce visage familier, cette lueur de défi dans le regard, assombri d'une cicatrice.
« Katarina... »
À suivre...