Salutations, invocateurs ! Bienvenue dans le septième numéro des Chroniques de Runeterra. Chaque semaine, vous trouverez ici une fanfiction qui vous permettra d'en apprendre plus sur les aventures des champions de la League of Legends. Cette semaine, place au premier chapitre d'une nouvelle saga, centrée sur la cité de Piltover.
La petite fille regarda longuement le cadeau qui se trouvait devant elle. Elle prit le temps d'admirer chaque détail, observant avec soin les différents motifs du papier ou encore l'aspect soyeux des rubans. Elle semblait savourer pleinement cet instant d'inconnu. Après avoir encore un peu profité du plaisir que lui procurait l'attente, l'enfant ouvrit soigneusement l'emballage. Enveloppée dans un beau papier de soie se trouvait une robe aux couleurs claires. La fillette ouvrit de grands yeux émerveillés, s'empara du vêtement et l'enfila précipitamment. Après être allée admirer son reflet dans un miroir, la petite fille se mit à danser, tourner et virevolter de plus en plus vite. Des éclats de rire vinrent tournoyer dans la pièce. Ce fut un de ces instants de bonheur, rare et précieux auquel son père assista, le regard attendri.
Corin Reveck se réveilla en sursaut, brusquement. Il revivait souvent ce souvenir dans ses songes, et chaque fois, la réalité lui paraissait un peu plus atroce encore. Il régnait dans la pièce une odeur âcre d'alcool et de sueur, et les cheveux de Corin se dressaient en bataille sur sa tête. Sa barbe était devenue épaisse, informe, sale, et il constata malgré lui qu'il ne pouvait même pas se souvenir de son dernier bain. Il gisait là, dans la crasse et le désordre, désespéré, hagard, et ivre de tout ce qui pouvait quelque peu alléger sa peine.
Corvin avait plongé dans cette spirale destructrice il y a bien longtemps et avait même pensé à en finir, il y a quelques mois de cela. Mais Il était encore vivant aujourd'hui, ignorant si c'était la lâcheté ou le déni qui avaient eu raison d'un éventuel suicide. Corin était désormais cet homme seul, aigri, bercé par ses propres peurs et tourmenté par la valse incessante de ses regrets. Cette triste métamorphose s'était opérée le jour où sa petite fille, Orianna, était morte dans de tragiques circonstances. La gamine était enjouée et intrépide, coquette et malicieuse. Elle passait le plus clair de son temps à courir et danser, ou encore à tenter d'en savoir plus sur des techniques de combat, ce qui n'était pas toujours au goût de son père. Mais malgré cela, Corin n'avait jamais rien su refuser à sa fille et il la trouva un jour, baignant dans son sang, avec à la main une petite dague qu'elle avait dû lui voler. Une mauvaise chute, sans doute, qui précipita la vie tranquille de Corin dans des abysses de désespoir.
Pendant des années, le père pleura la perte tragique de son unique enfant. Il fut surpris de constater à quel point la souffrance morale pouvait être violente et insoutenable. Lorsque le vieil homme fut véritablement à bout de force, il s'en alla dans son atelier où il s'enferma.
Absorbé dans un délire morbide, s'aidant de toutes ses connaissances, Corin assembla sans relâche rouages, câbles et autres mécanismes.
Après plusieurs semaines, il avait achevé son œuvre : une marionnette à l'effigie de sa fille perdue. Il façonna avec amour une petite sphère d'acier, symbole de la protection qui lui avait tant fait défaut de son vivant. Bientôt, il s'habitua à la douceur de sa présence. Corin connaissait enfin de petits instants de répit, venant de temps à autres soulager son chagrin.
Un soir, alors qu'il avait sombré, affalé dans un coin de son atelier, le vieil homme fut doucement réveillé par des balbutiements métalliques. Lorsqu'il ouvrit les yeux, il vit avec stupeur la statue de métal se mettre en mouvement, tandis que le vie prenait forme dans ses membres désarticulés. Après quelques instants, la fillette d'acier se dirigea maladroitement vers Corin. Elle le dévisagea un moment avant de lui murmurer doucement.
« La sphère est impatiente... »
À l'écoute de ces paroles incohérentes et de ce semblant de lien filial retrouvé, Corin s'écroula aux pieds de sa création et pleura pendant de longues heures.
À partir de ce jour, la poupée mécanique vint rompre la monotonie et la solitude dans lesquelles Corin s'était enfermé. Il réapprenait à vivre, chaque jour un peu plus, et baptisa le robot du même nom que sa défunte fille. À ses yeux, sa création était parfaite et il ne pouvait rêver meilleure compagnie pour ses vieux jours. Mais après quelques temps, Corin constata que son bonheur retrouvé était le seul qui perdurait réellement. Orianna était malheureuse, et sa voix métallique se teintait trop souvent de tristesse et d'appréhension. Ses handicaps étaient nombreux et bien réels, Corin ne le savait que trop bien. Orianna ne savait pas mesurer sa force et se déplaçait d'une démarche saccadée et incertaine. Ses articulations rouillaient souvent, et ses mouvements la faisaient parfois paraître comme désarticulée. Tout cela la plongeait dans une profonde nostalgie et la fillette réagissait souvent violemment lorsqu'on la rejetait. Cependant, beaucoup de gens continuaient de fuir à sa vue et lorsque certains se laissaient approcher, ils finissaient toujours par détaler après quelques mots échangés avec elle. Le discours d'Orianna était souvent brouillé, chaotique, incohérent, et cette accumulation de bizarreries, de folie et de violence provoquait chez le commun des mortels un profond malaise, emprunt de peur si ce n'est de pitié.
Corin était navré d'être le seul à la comprendre et bientôt, lorsqu'il mesura l'ampleur des conséquences répondant à son acte créateur, la déprime le gagna à nouveau. Parfois, Orianna disparaissait pendant des jours, errant au gré de ses envies et de ses caprices. C'était le cas ce soir et Corin, comme toujours dans ces cas-là, craignait pour la sécurité de la poupée, tremblant à l'idée de perdre à nouveau ce qui lui était le plus cher. Serait-il un jour capable de ressentir à nouveau l'insouciance et le bonheur bercer sa vie ?
Rien n'était moins sûr que cela...
Cette nuit-là, quelque part dans un recoin perdu de Piltover, Orianna reprit conscience au milieu d'un chaos sans égal et se releva péniblement. Les dernières heures lui semblaient floues et sa mémoire lui faisait vraiment défaut. C'était comme si une panne l'avait mise hors service pendant un temps. Elle ne se souvenait que d'une lumière, vive et aveuglante. Autour d'elle s'amoncelaient des déchets, des débris de verre et de béton. De nombreux corps gisaient à proximité, inertes. Prise de panique, Orianna se demanda un instant si elle n'était pas responsable de ce carnage.
« Pourquoi meurent-ils sans cesse ? » se lamenta-t-elle.
Afin de ne pas être vue, Orianna se mit en route, dans une démarche affolée et désordonnée. Les habitations crachaient encore des cendres, et de nombreux endroits étaient en proie aux flammes. Le ciel, d'ordinaire si lumineux à Piltover, était d'un gris lourd et sale, chargé de poudre et de sang. Il devait y avoir eu une bombe par ici. Orianna se dirigea vers une allée sombre et crasseuse. Au fur et à mesure qu'elle avança, elle discerna une silhouette qui se tenait au bout de la ruelle, dans une impasse. L'étrangère portait une tenue singulière et arborait sur son corps de nombreux tatouages pastel. Ses cheveux, d'une nuance magnifique de bleu, étaient incroyablement longs, coiffés négligemment en deux immenses tresses qui ondulaient jusqu'au bas de sa taille. L'inconnue la scrutait avec un regard plein de démence, mais Orianna n'en fut pas effrayée, bien au contraire. Elle distingua chez la jeune femme une forme de folie similaire à la sienne et tout cela la rassura. Peu importe qui elle était, Orianna sentit naître au fond d'elle une forme toute particulière de sympathie pour cette jeune fille, dressée au milieu du carnage. L'idée même qu'elle en soit à l'origine ne traversa pas les pensées de la marionnette et elle continua de s'avancer en toute insouciance.
Une fois arrivée à proximité, Orianna lui demanda calmement :
« Qui es-tu ? »
- Je suis... folle ! ricana l'inconnue, mais... j'ai un mot d'excuse du toubib ! Et toi, p'tite chose, qui es-tu ? »
Orianna fut bouleversée par cette simple demande. C'était finalement très rare qu'on lui adresse la parole.
« Je suis... une arme, lui répondit-elle. »
L'étrangère aux cheveux bleus écarquilla les yeux, surprise, avant d'éclater de rire. Orianna était émue, car pour la toute première fois, elle avait inspiré le rire et non l'effroi chez son interlocuteur. La jeune femme continuait de rire avec force, et même si Orianna ignorait pourquoi, elle se mit à rire doucement, elle aussi, afin d'accompagner ces sons qui lui étaient si agréables. Peut-être ne serait-elle plus seule à présent ?
À suivre ...
« Jinx » by Vacaliga