Chaque semaine, vous trouverez ici une fanfiction qui vous permettra d'en apprendre plus sur les aventures des champions de la League of Legends. Cette semaine, place au cinquième et avant-dernier chapitre de notre saga.
Jarvan IV par Nekrocow
L'apparition s'était évanouie subitement, sous les yeux stupéfaits de Jarvan, Shyvana, et leurs comparses. Il ne subsistait dans les airs que de vagues filets de fumée scintillante et vaporeuse. Zillah était quant à lui resté en arrière, encore sous l'emprise de la monstruosité qui s'était offerte à ses seuls yeux. Il l'avait vue le regarder avec insistance, et avant même de disparaître, il avait aperçu ses lèvres s'entrouvrir alors qu'un souffle long et éthéré s'en échappait.
« Ramène-les... ramène-les dans la grotte... » disait-elle.
Les alentours du lac étaient toujours baignés de cette même clarté douce et paisible, et en apercevant les lueurs dorées et ambrées flotter dans les airs, les demaciens s'avancèrent alors, tout en tendant les mains vers elles. Zillah les observait en retrait, et lorsqu'ils s'évanouirent un par un au contact des lucioles, un sourire vint se dessiner sur son visage. Il s'allongea alors à quelques mètres d'eux, imitant avec précision le rythme lent des respirations qui gonflaient leurs ventres, à l'unisson, comme s'il vivaient tous d'un même souffle, vital et fragile à la fois.
Zillah releva les bras, et les fit tourner doucement, afin d'examiner l'aspect nacré et cendré de sa peau. Le mal dont il était atteint s'était peu à peu transformé en un élixir de vie. Il sentait au fil des heures sa force se décupler et c'est comme si la vie lui apparaissait différemment maintenant.
Il pouvait sentir l'air chargé de mille particules évanescentes, toutes plus belles les unes que les autres dans la lumière gorgée de ténèbres. Cette île le réclamait comme une évidence, et cette obscurité latente, ces frissons innommables qui parcouraient son corps lui étaient devenus familiers et délicieux. Le sol répondait au poids de son corps et vibrait doucement sous lui. Le parfum végétal et capiteux lui rappelait les douces senteurs des autels de Demacia, et ces mêmes odeurs inondaient désormais chacune des bouffées d'air qu'il inspirait. Zillah se mit à frissonner, alors que la rosée de l'herbe pénétrait lascivement dans son dos. Le long de ses mains se formaient de légères entailles, laissant apparaître un duvet dru et sombre, comme de petites épines qui irradient le long de ses membres. À cette vision particulière, Zillah laissa échapper un léger soupir, fasciné et extatique devant son propre état.
En regardant ses compagnons profondément endormis, Zillah aperçut néanmoins quelques spasmes qui violentaient parfois leurs corps. À quoi rêvaient-ils maintenant ?
Jarvan avait senti ses yeux s'alourdir alors que sa main touchait la petite sphère de lumière, et il avait cédé sans opposer de résistance au sommeil qui l'avait rapidement gagné. Il était maintenant dans un état second, comme une présence omnisciente, maître de son propre rêve, et capable d'interagir avec tout ce qui l'entourait. Il distingua Shyvana à ses côtés, à la fois consciente et ensommeillée, tout comme lui. La créature enchanteresse était réapparue devant eux et elle les invitait à la suivre, ce qu'ils firent sans sourciller. Alors qu'ils s'éloignaient des abords du lac, le paysage se transforma peu à peu. Il n'y avait plus ni eau, ni forêt, et une terre aride en proie à la désolation se dessina sous leurs yeux. Des centaines de cadavres étaient entremêlés au sol, et parmi eux se dressaient le spectre terrifiant de l'Ombre de la guerre, Hecarim, faisant trembler le sol par les assauts répétés de ses sabots. Jarvan assistait avec impuissance à ce tableau macabre, pleurant le funeste sort de ses frères demaciens. La créature continuait d'avancer, se retournant de temps à autre afin de les inviter à poursuivre leur chemin avec elle, ce qu'ils firent. En marchant le long du champ de bataille, les corps disparaissaient au fur et à mesure qu'ils s'avançaient et en passant aux côtés d'Hecarim, Jarvan trembla comme s'il faisait face à la mort elle-même. Le spectre ne semblait toutefois pas en mesure de ressentir sa présence, aussi Jarvan pressa le pas afin de s'échapper le plus vite possible de cet endroit sordide.
En calquant ses pas sur ceux de la créature, Jarvan vit à nouveau se transformer l'espace autour d'eux. Le théâtre du massacre se transforma en une chambre aux couleurs chatoyantes. Les corps de deux femmes étaient en lévitation, autour de ce qui semblait être un autre spectre, tout aussi imposant et terrifiant que le précédent. Les deux jeunes victimes semblaient être endormies, et lorsque le fantôme leva les mains au dessus de leurs corps assoupis, il leur arracha à toutes deux un puissant cri de douleur. Elles convulsèrent alors et se recroquevillèrent avec force face à la souffrance qui les terrassait. Tout comme sur le champ de bataille, Jarvan se remit à suivre la marche lente de la créature devant lui, frissonnant en traversant la pièce, impuissant. En passant à côté du spectre, Jarvan entendit résonner la voix du bourreau dans son esprit, comme s'il se présentait à lui :
« Mordekaiser... »
En quittant la chambre, ses miroirs ternis et ses fleurs décomposées, Jarvan arriva sur les lieux d'un autre tableau sinistre. Il ne pouvait s'empêcher d'avancer, mais au plus profond de lui, il redoutait viscéralement ce qui allait se passer. Il se sentait happé dans ce piège onirique, et il ignorait s'il pourrait un jour en sortir. Cette éventualité lui glaça le sang, et lorsqu'il vit la créature l'inviter à le suivre encore d'un geste délicat de la main, il s'exécuta à nouveau. Il fut alors à nouveau plongé dans la douce quiétude de la forêt, près du lac, là où son rêve avait commencé. Jarvan soupira alors bruyamment, soulagé et apaisé. Malgré tout, la créature continuait de le regarder avec persistance, et lorsqu'il s'en rendit compte, il la vit tendre le bras vers une alcôve reculée du lac, comme si elle souhaitait lui montrer quelque chose. Jarvan s'avança alors malgré lui vers cet endroit, l'esprit brumeux, enfiévré par la peur.
Un nouveau tableau terrifiant se dressa alors devant lui : un homme courbé se tenait là, une pelle à la main. Comme tous les autres, le spectre ne semblait pas avoir conscience de leur présence. Il creusait la terre avec force, par des gestes assurés et mécaniques. L'ensemble formait une chorégraphie fluide et monotone, comme si un ennui perpétuel guidait le moindre de ses gestes. À la vue de cet individu, Jarvan fut prit d'une tristesse irrépressible, comme si un profond désespoir venait ronger sournoisement son âme. Il s'avança vers le spectre dans un élan d'empathie, et c'est avec terreur qu'il découvrit les projets macabres du fantôme. Des tombes avaient été creusées avec soin, presque avec douceur pour accueillir leurs résidents en vue d'un sommeil éternel. Jarvan vit alors une masse sombre et informe appuyée le long d'un arbre à quelques mètres des tombeaux. Il se dirigea alors vers cela, guidé par un magnétisme inéluctable. Plusieurs corps étaient entassés, et c'est sans peine que Jarvan reconnut les couleurs ambrées des armures des soldats de Demacia, ainsi que la sienne. Le jeune homme tressaillit alors à la vue de son propre cadavre, entremêlé avec ceux de ses hommes, sans oublier celui de Shyvana, dont les écailles avaient tout perdu de leur éclat d'antan.
Jarvan se réveilla alors en sursaut, haletant et paniqué, tout comme Shyvana et les reste de ses hommes. Sans plus attendre, il se mit à décrire le sombre cauchemar qui avait hanté son esprit. Il raconta la fureur de la guerre, la chambre de l'agonie ainsi que les tombes creusées à leur intention et au fur et à mesure de ses descriptions, Jarvan vit le regard de Shyvana habité par une peur sans pareille.
« J'ai fait... exactement le même rêve... » murmura-t-elle.
Le silence terrifiant des soldats confirma ce qu'ils redoutaient tous, et l'étrange cauchemar de Jarvan prit soudain des allures de prophétie macabre. Alors que la panique gagnait peu à peu leurs cœurs, ils se retournèrent tous d'un même mouvement vers Zillah qui s'était rassis non loin d'eux. Le jeune homme arborait un étrange sourire, tandis que ses yeux fixes et vides s'étaient teintés d'un jaune incandescent, presque reptilien. Ils virent alors avec horreur le duvet sombre qui recouvrait ses bras, ainsi que les griffes acérées qui poussaient au bout de ses doigts. Jarvan se précipita vers lui, à la fois terrifié et inquiet, et en approchant du jeune homme, il sentit la puanteur de la chair décomposée et corrompue.
Zillah releva doucement la tête vers Jarvan, et d'une voix rauque et monocorde, il s'adressa à eux, tout en se relevant.
« Il faut partir d'ici. Suivez-moi, je connais le chemin... »
En prononçant ces mots, Zillah pensa avec délice aux paroles de la créature, et il savourait par avance le fait de se plier à ses ordres. Il souhaitait cela plus que tout désormais : il le fallait absolument, afin qu'il puisse renaître. L'écho mélodieux de cette voix se perdit alors dans l'esprit transcendé de Zillah :
« Ramène-les... ramène-les dans la grotte... »