Bien plus qu’un fait anecdotique, la sortie d’un blockbuster dans le calendrier des gamers est un rendez-vous immanquable pour tout passionné qui se respecte. Combien sont-ils à partir en raid, la souris brûlante, sur la nouvelle extension d’un MMO les premiers jours ? Combien encore attendent la découverte de nouvelles maps sur la récente itération de leur FPS fétiche ? Les tracés de leur nouveau jeu de course ou les compositions d'équipes et fonctionnalités de leurs nouvelles simulations sportives ? À chaque sortie, c’est une communauté qui s’organise, réagit sur les forums, échange son expertise sur le jeu, toise, trolle ou exulte dans un concert d’avis divers et variés.
Et dans ce maelstrom continu, quels rôles jouent exactement les sites de jeu vidéo ? Bien sûr la régulation des informations essentielles sur l’actualité est une activité pragmatique des sites spécialisés. Informer le joueur, et surtout bien l’informer est une priorité pour l’ensemble de la presse dite « gamer ». Trailers, previews, tests, walkthroughs, let’s play, guides, sont autant de dispositifs entendus par les professionnels du milieu afin d’intégrer dans leur compte rendu quotidien les renseignements que les lecteurs et joueurs recherchent.
Ventes de Call of Duty Ghosts selon VGchartz (cliquez pour agrandir l'image)
La sortie d’un Call of Duty n’est pas anodine. D’abord parce que le jeu est un des softs les plus populaires et les plus joués de la planète. Secondement et plus singulièrement pour Call of Duty Ghosts, sa sortie intervient au même moment que le lancement des nouvelles machines de Microsoft avec sa Xbox One et Sony avec sa PS4, peu avant les fêtes. Après quelques semaines déjà, le nouvel épisode de la franchise fétiche d’Activision fidélise ses adeptes sur ces nouveaux supports.
Avec près de 740 000 unités écoulées uniquement sur le territoire nord-américain pour la version PS4 et 760 000 jeux vendus dans le monde pour la version Xbox One, le nouveau Call of Duty réalise le meilleur départ sur les plateformes next-gen en termes de ventes, et ce, tous genres confondus. À ce titre, beaucoup de joueurs étaient en droit d’attendre les premiers comparatifs pour établir leur choix quant à la version ou la machine à acheter pour faire tourner le nouveau FPS.
Mark Rubin Producteur exécutif du jeu
Si aujourd’hui le pretail est à la mode, c’est en partie grâce au comportement des consommateurs, une modulation dans la psychologie de l’acheteur que l’industrie a bien comprise. Les early adopters, cette catégorie d’acheteurs compulsifs qui se passionnent pour des produits particuliers en les acquérant dès leurs mises en vente, sont devenus des acteurs potentiels de l’émergence ou la réussite d’une nouvelle marque, d’une nouvelle machine ou parfois même d’une mode.
Nombreux étaient les joueurs à avoir précommandés leur nouvelle console. Attachés à une marque, à leurs gamertags ou aux récompenses collectées et liées à leur profil (succès pour Xbox, et trophées pour Playstation), ces derniers ont déterminé à priori leur achat sans qu’aucune autre donnée ne vienne les perturber. L’environnement du joueur est ainsi régulé selon la valeur d’un dispositif mis à son service. C'est un écosystème, une communauté, ou des préférences personnelles qui caractérisent le plus ce choix. Il existe aussi les technophiles, qui eux ne jurent que par la puissance du matériel acquis. Et dans ce domaine, plus rationnel, les sites de jeu vidéo peuvent avoir leur importance puisque ce ne sont plus des motifs émotionnels qui peuvent encourager un achat, mais bel et bien des données factuelles.
Pendant des mois, les développeurs ont été très discrets sur le potentiel des PS4 et Xbox One. Préférant botter en touche lorsqu’il était question de comparer la puissance des deux nouvelles consoles, beaucoup ont parlé d'expériences comparables avec le ton sobre du communiquant. C’est une loi courante dans l’industrie, surtout quand une société développe des produits sur différents supports. Les liens qui unissent les éditeurs, développeurs aux constructeurs sont entérinés par des stratégies marketing, commerciales, des deals d’exclusivités, qui obligent une certaine prudence sur ce qui est dit et fait, sur le plan de la communication.
Fin octobre, à quelques jours de la sortie de Call of Duty Ghosts, Mark Rubin (le producteur exécutif du jeu) s’était cependant laissé aller à une confidence de poids. Ghosts tournerait en 1080p sur PS4 tandis que son homologue, sur Xbox One, serait locké en 720p comme sur Xbox 360. IGN, le plus gros site de jeu vidéo américain, s’empare de l’affaire et met en route une campagne de teasing préparant avec moult effets d’annonce le comparatif qui serait réalisé par ses journalistes. Infinity Ward annonce dans le même temps qu’un patch devra être téléchargé pour garantir à la version PS4 le support de sa nouvelle résolution.
Les utilisateurs du site dans l'incompréhension la plus totale
L'affaire aurait pu être simple : quelques branchements, une capture vidéo et un rendu plus loin IGN pouvait faire son comparatif. Mais l'histoire prend une autre tournure lorsque le 13 novembre, des joueurs remarquent que les vidéos capturées par IGN montrent deux versions identiques du jeu en termes de résolutions. Deux versions identiques présentées alors que la nouvelle console de Microsoft n'est pas encore sortie sur le territoire américain, une étrange occurrence. En quelques jours, les vidéos sont vues plus d'un million de fois sur youtube et le site officiel du webzine (version youtube d'une des vidéos comparatives d'IGN). Sous la pression des joueurs sur les réseaux sociaux, IGN réaffirme sa bonne foi : « La version présentée est certifiée être en résolution native » affirme Scott Lowe, le rédacteur en chef du site. Pendant plusieurs jours, le site continuera de diffuser des vidéos sur la prétendue résolution de la version PS4. Les forums s'embrasent.
Incompréhension, manque de discernement d'IGN, stratégie éditoriale ? Il aura fallu attendre la sortie de la Xbox One pour que le webzine fasse amende honorable et revienne sur son comparatif dans un article publié sur le site le 3 décembre dernier. Entre la sortie de la PS4 et la Xbox One, 7 jours se sont écoulés. Entre la publication des premières vidéos comparatives et l'article d'excuses d'IGN, ce sont près de trois semaines qui se sont écoulées. Simple fait divers noyé dans la masse anecdotique des actualités légères du jeu vidéo, cette histoire nous rappelle à quel point l « information » quand elle peut servir ou desservir un acteur majeur de l'industrie, justifie ou discrédite la pertinence de la presse spécialisée dans son envie de rendre compte de l'actualité. Si l'objectivité est difficilement possible, les outils mis à disposition des journalistes pour légitimer un tel point de vue peuvent tendre à plus de transparence pour prévenir les joueurs. Circulez; il n'y a plus rien à voir.