Prologue
« Il n'est rien de plus dangereux qu'un cœur vertueux rongé par le deuil, ravagé par l'injustice et noirci par la haine. Finalement tout était allé très vite et si nous avions davantage prêté attention aux sombres présages qui se diffusaient dans l'air, nous aurions su que Noxus arrivait.
Nous avons tant perdu ce jour-là, y compris le plus valeureux d'entre nous. »
« Nous avons appris autant que nous avons souffert. C'est une histoire tragique qui s'est produite, mais nous savons un peu plus aujourd'hui comment préserver la sagesse et la pureté de notre cité. Vous savez maintenant que même le plus vertueux d'Ionia peut être corrompu. Nous avons perdu notre gardien ce jour là, et avec lui un peu d'espoir et de lumière. Mais notre deuil touche à sa fin.
J'aurais cependant préféré qu'il meure, car maintenant, tout a changé. Il n'est plus un frère d'Ionia : Varus est devenu un monstre... »
Mémoires d'Ionia, livre V, chapitre 4, Karma
Les cris de terreur résonnaient encore dans son esprit lorsque Varus se réveilla. Il faisait ce cauchemar chaque nuit, et chaque fois, il revivait ce calvaire comme si c'était la première fois : Le tumulte incessant fait d'acier, de cris, et du crépitement des flammes, retentissait telle une symphonie macabre qui n'épargnait ni frère, ni femme, ni enfant. Aucun doute cependant sur la véracité du songe, Varus ne le savait que trop bien. À son réveil, il sentit sa chair se consumer petit à petit, pour ne laisser à certains endroits qu'une peau cristallisée aux reflets cendrés. Il se savait condamné depuis qu'il s'était plongé tout entier dans le puits de Pallas, mais la souffrance et la mort n'étaient plus pour lui que de funestes mais familières amies qui accompagnaient ses desseins vengeurs.
Varus s'était évanoui, dans un recoin perdu de la grande forteresse de Noxus. Le fléau le brûlait tant et si bien que de grandes vagues de fatigues venaient l'assaillir quotidiennement. Il arrivait souvent qu'il perde connaissance, exténué, affaibli et agonisant. Mais Varus retrouva peu à peu ses esprits. Il n'était plus qu'à quelques escaliers de la salle du Haut-commandement. En arrivant près de cette dernière, il se cacha dans une crevasse et observa les deux gardes postés devant l'immense porte. Celle-ci était très imposante, taillée dans les métaux les plus chers et les plus extravagants, et ornée ici et là d'ossements d'ennemis de la cité.
C'était la grandeur de Noxus : arrogance, honneur et décadence faisaient se déchaîner les enfers et s'écouler des méandres de sang.
Il pouvait sentir les vibrations qui émanaient de cette pièce. Il devinait la silhouette du général, digne et fier, trônant dans son sanctuaire. D'ici quelques heures, Noxus serait en ébullition, à la recherche de celui qui aura tué leur général tant respecté. Car Varus souhaitait marquer le début de sa quête vengeresse en faisant couler un noble sang, tentant ainsi d'apaiser quelque peu les litanies haineuses qui rongeaient son âme.
Quand les deux gardes eurent tourné le dos, Varus se saisit de son arc, et propulsa deux chaînes corruptrices qui figèrent les deux hommes. Ils étaient à présent inoffensifs : Varus s'avança près d'eux, déposa son arc, et se saisit d'une flèche qu'il fit danser le long de leur gorge dans une étreinte mortelle. Tandis que le sang ruisselait de leurs blessures, Varus regarda la vie s'éteindre dans leurs yeux et accompagna doucement leur chute le long de la paroi murale. Les deux exécutions avaient été silencieuses, et personne ne pouvait l'avoir repéré. En posant sa main contre la porte, Varus savoura cet instant où il n'était encore que vengeance, rancœur et corruption, sans savoir où cette quête allait le mener, mais sachant juste qu'elle lui était nécessaire. Il s'appuya de toutes ces forces sur la porte afin de l'ouvrir. La chaude lumière d'un coucher de soleil irradia dans sa direction, et une fois qu'il ne fut plus ébloui, Varus discerna peu à peu la silhouette imposante du général Boram Darkwill qui lui faisait face. Il ne semblait pas surpris, pire encore, il éclata de rire à la vue de l'archer.
« Alors, tout cela était vrai...le gardien se jetant dans le puits de corruption, la vengeance, et tout ce qui s'en suit. Crois-tu sérieusement que je craigne pour ma vie à cet instant ? Tu ne me fais absolument pas peur... »
« Ne pariez pas trop là dessus... Vous pourriez peut-être le regretter. » rétorqua Varus.
« Mon pauvre ami, j'ai déjà misé ma vie pour moins que ça ! Mais pour ce soir, sache que le sang ne coulera pas. Tu vois, il est évident que ne pourras pas me tuer : tu es faible et mourant, et pour ma part, je ne souhaite pas te tuer non plus. Que cela soit bien clair, il n'est en aucun cas question de pitié ; c'est une question d'honneur. Regarde-toi, tu agonises, et tu es manifestement condamné. Jamais je ne m'abaisserai à tuer un homme dans ton état tout comme je refuse de te faire le plaisir d'abréger tes souffrances. Cela ne me ressemble pas... Ce n'est pas moi, ce n'est pas Noxus. »
« Je ne suis faible qu'en apparence et c'est ton orgueil qui t'aveugle. Tu ne ressens donc pas la rage qui me nourrit autant qu'elle corrompt ma chair ? »
« Je tremblerai le moment venu » ricana le général « Mais en attendant, je doute que tu saches à quel point tu perds ton temps, ici, avec moi... À l'heure où nous parlons, une de mes armées est à nouveau en marche pour Ionia. Je doute qu'il ne leur reste beaucoup d'espoir et nous allons asseoir notre suprématie une fois pour toutes. Si seulement tu étais là pour eux, mais au lieu de cela, te voilà, si désemparé et si faible que je me demande même si tu ne vas pas finir par mourir ici, à mes pieds. »
Sur ces mots, il asséna à Varus un puissant coup au bassin, là où la nécrose commençait inéluctablement à gagner du terrain sur le reste de son corps. Varus s'écroula en étouffant un râle de douleur. Il tenta de se relever mais sentit ses jambes se dérober sous son poids. Il vit cependant le général lui tourner le dos avec nonchalance et s'éloigner doucement vers la porte en murmurant :
« Je m'en vais briser ce qu'il te reste de ton peuple et je reviendrai te voir bientôt, avec comme trophées de guerre les têtes de ceux qui te sont chers et qui ont résisté à notre premier assaut. Je te prendrai tout ce qu'il te reste, et la seule chose que tu garderas pour toi sera ce fléau qui flagellera ta chair jusqu'à ta mort. »
« Si tel est le cas, méfie-toi de qui n'a rien à perdre... »
Dans un dernier effort, Varus brandit son arc et concentra dans son tir les dernières forces qu'il lui restaient. Le dernier bruit qu'entendit Boram Darkwill fut celui de la flèche qui perfora sa poitrine de part en part.
La nuit tomba sur le corps inerte du général. Varus puisa dans le dernier souffle de son ennemi une infime essence de vie et trouva ainsi la force de se relever. Il passa négligemment devant son cadavre et quitta la salle du Haut-commandement Il n'était peut-être plus un frère d'Ionia, mais il ne pouvait laisser l'histoire se répéter ainsi : Il n'était peut-être pas trop tard...
Quelques heures plus tard, tandis qu'il quittait les terres de Noxus, Varus pensa à celles qu'il allait retrouver. Cette perspective le laissa aussi meurtri que nostalgique car il se souvenait de tout : le calme et la douce lumière de la ville, les chemins de pierre et les colonnes de marbre blanc, les lacs couleur émeraude et les temples...
Les temples où résonnent les hymnes antiques des moines, et le chant de Karma, à la louange d'Ionia.
À suivre...
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