Le crowdfunding est une pratique en expansion qui a été placée sous les feux de la rampe ces derniers temps dans le monde du gaming et du sport électronique. On a, par exemple, pu être les témoins de levées de fonds afin de développer des jeux, des web TV ou des projets eSport. Dans ce contexte effervescent, et dans le flou juridique actuel, un éclairage n'est pas de trop. Regardons ensemble ce qu’est exactement le crowdfunding et les problèmes juridiques qu’il peut poser.
Le crowdfunding, ou financement participatif est une pratique dont on entend chaque jour de plus en plus parler. Rapprochement des termes « crowd », qui signifie foule et « funding », qui signifie financement, il consiste à récolter de l’argent auprès du public afin de permettre la réalisation de projets. Au départ, les personnes en profitant étaient les artistes n’ayant pas réussi à séduire un producteur ou un éditeur, et certains d’entre eux ont vite compris que le crowdfunding pouvait se révéler être un moyen de financer la production d’un disque, d’un film ou d’un livre. Aujourd’hui, on constate que la pratique a largement dépassé ce cadre et s’est étendue au financement d’entreprises ou de WebTV.
Si l’Autorité des marchés financiers et l’Autorité de contrôle prudentiel ont publié un guide relatif au financement participatif à destination des plates-formes et des porteurs de projets, le législateur s’est pour le moment désintéressé de la pratique, sans doute en raison de l’enjeu financier qui y reste relativement faible. Vu le vide laissé, il semble intéressant de s’intéresser au sujet, mais, très vite, un constat s’impose : toutes les plates-formes de crowdfunding ne fonctionnent pas de la même manière.
En effet, si certaines proposent de financer les projets simplement via des donations, le financement participatif peut aussi passer par le prêt, l’achat d’actions, voire même la vente d’une chose ou la fourniture d’un service.
Le financement par la donation
Le mode de financement classique des projets est le suivant : le bénéficiaire, c’est-à-dire la personne qui va présenter son projet aux internautes, va choisir une somme plafond. Si les sommes versées ne permettent pas d’atteindre ce plafond dans le temps imparti, elles sont reversées aux contributeurs. Si les sommes versées permettent d’atteindre ou de dépasser le plafond, elles sont transmises au porteur du projet. La plate-forme va ici être chargée de recueillir les fonds sur un compte ad hoc ouvert à son nom auprès d’un teneur de compte.
On pourrait à ce titre citer le site Arizuka, qui s’est spécialisé dans le financement de projets humanitaires par le don.
Le premier problème, si l’on considère qu’il s’agit d’une donation entre le contributeur et le porteur du projet, et que celle-ci doit en principe être passée devant un notaire selon le Code civil. On conviendra que c’est rarement le cas. En conséquence, n’importe quel donateur pourrait annuler en justice sa donation pour vice de forme et récupérer l’argent versé.
Cette pratique constitue de plus, pour la plate-forme de crowdfunding, une acquisition d’ordre de paiement qui est soumise, selon le Code monétaire et financier, à la délivrance d’une habilitation. En l’absence d’une telle habilitation, la plate-forme de crowdfunding ainsi que son dirigeant encourraient trois ans d’emprisonnement et 375 000 euros d’amende.
Le financement donnant lieu à l’acquisition d’un bien ou d’un service
Il n’est pas rare que, pour signifier sa gratitude aux généreux contributeurs, le porteur du projet leur promette des produits ou services : il peut s’agir de goodies ou même d’un rôle de figurant si le projet concerné est une œuvre du septième art, ce qui fut le cas pour le financement du film Noob.
Si le contributeur attend recevoir un bien en échange de sa participation, on peut légitimement penser que nous sommes face à une vente. Le problème est que l’article 1131 du Code civil vient nous dire qu’un contrat (car la vente est toujours un contrat, même si elle fait rarement l’objet d’un écrit) doit avoir une cause. Cela signifie que les parties doivent contracter avec en tête un but. Si l’une des parties a signé le contrat, mais que sa contribution est disproportionnée par rapport au gain qu’elle est susceptible d’attendre (ce qui est souvent le cas en matière de financement participatif, le bien livré en échange de la contribution ayant généralement une valeur symbolique), elle peut tout simplement demander l’annulation du contrat en justice. Cette action aura pour effet d’obliger le porteur du projet à rendre la somme qu’il a perçue au contributeur.
Ce constat est également applicable lorsque le porteur du projet s’engage à rendre un service au contributeur, comme le citer au générique du film en échange du versement d’une somme élevée.
Le financement par le crédit
Certains financements de projet se font par le prêt d’argent. Il convient de se demander si ce prêt peut constituer ou non un crédit afin de déterminer la règle applicable aux plates-formes de crowdfunding qui le pratiquent.
Le Code monétaire et financier définit le crédit comme une activité à titre onéreux, ce qui implique un taux d’intérêt et donc un gain pour la personne qui avance l’argent. Pour pratiquer les opérations de crédit, il faut obtenir l’agrément d’établissement de crédit délivré par l’Autorité de contrôle prudentiel. Toute personne qui contreviendrait à cette règle serait susceptible d’être condamnée à une peine d’emprisonnement de trois ans et à une amende de 375 000 euros.
Si le financement se fait par un prêt d’argent n’impliquant pas le versement d’intérêts, aucun agrément ou autorisation n’est nécessaire. Cette alternative est donc plus envisageable pour les plates-formes de financement participatif. La question se pose si, pour remercier le contributeur de son prêt d’argent, le porteur du projet souhaite les faire profiter d’un avantage, comme un DVD ou une invitation au lancement d’un produit. Selon le communiqué de l’AMF et de l’ACP, cette pratique peut être assimilée à un prêt à titre gratuit et dispense en conséquence les plates-formes de l’agrément.
C’est sans doute un des modèles les plus compliqués à mettre en place pour les plates-formes de crowdfunding. La fermeture récente du site FriendsClear nous montre à quel point la législation relative au crédit est inadaptée à ce type d’activité.
Le financement l’achat de parts sociales
Certaines plates-formes de crowdfunding, telles que Wiseed (qui a notamment aidé à créer Antabio, une entreprise pharmaceutique), permettent la création de sociétés par l’acquisition de parts sociales ou d’actions dans une société, auquel cas le contributeur doit obligatoirement partager les gains et contribuer aux pertes de ladite société, ainsi que participer aux prises de décisions en fonction de l’importance de sa part dans le capital social.
Là encore, cette activité est soumise, pour la plate-forme de financement participatif, à la délivrance d’un agrément.
La question de l’usage des fonds
Avouons-le, l’utilisation des fonds par le porteur du projet est souvent opaque. Typiquement, celui-ci va exposer son projet au public et leur demander une somme, souvent estimée à la louche et sans détailler la répartition des coûts. L’usage qu’il en fera une fois le projet financé ne fera pas l’objet d’un contrôle. Ainsi pourrait-on le croire libre de dépenser l’argent récolté avec, en tête, une finalité tout autre que celle du projet initial.
Pas en droit. En effet, l’article 314-1 du Code pénal incrimine le fait de détourner, au préjudice d’autrui, des fonds qui lui ont été remis à charge d’en faire un usage déterminé. C’est ce qu’on appelle l’abus de confiance, puni de trois ans d’emprisonnement et de 375 000 euros d’amende.
Et là on peut se poser la question suivante : qu’arrive-t-il si les sommes versées via le financement participatif dépassent largement celle nécessaire à la réalisation du projet ? A priori le porteur du projet devrait soit trouver un moyen de les reverser aux contributeurs (mais alors, selon quelles modalités de partage ?), soit se rendre coupable d’abus de confiance. On s’accordera sur le fait que ce sont deux alternatives peu satisfaisantes.
Le gouvernement, dans un communiqué de presse du 15 mai 2013, a promis de faire dès septembre des propositions précises afin de construire un cadre législatif favorisant l’essor de ce nouveau mode de financement de projets. Espérons qu’il tienne parole, car en l’état, une plate-forme de crowdfunding souhaitant proposer tous les modes possibles de financement de projet doit obtenir un nombre d’agréments et d’autorisation hallucinant. La transparence de l’usage des fonds est aussi un sujet qui mérite l’attention du législateur et il en est de même pour la question de la validité des donations et des ventes au bénéfice des porteurs de projet. En somme, il reste beaucoup de travail.
Lamestar