Face à vos suggestions constructives sur mes précédents articles, j’ai décidé de reporter mon prochain dossier sur le streaming dans l’eSport. Fort heureusement, le chômage ne passera pas par moi (du moins pas cette semaine) et l’actualité éco-vidéoludique a été quelque peu secouée par une nouvelle : le désengagement de Vivendi de sa filiale jeux vidéo à savoir Activision-Blizzard.
Cela me permet donc de vous proposer un mini dossier sur le sujet pour faire le point sur l’aspect financier et les conséquences pour l’avenir de l’entreprise. Récupérez les cendres des bouquins de SES que vous avez cramé une fois le bac en poche, vos lunettes, votre skin Mundo de la Bourse, on va parler gros sous, pèze, blé, oseille, investissement, et parce qu’on est aussi des geeks, on va quand même parler jeux vidéo !
L’actionnariat pour les nuls
Alors, avant de me pencher en détail sur le sujet d’aujourd’hui, je me permets de faire un petit point de rappel sur l’actionnariat pour les deux ignares du fond collés au radiateur. L’actionnariat qu’est-ce que c’est ? C’est un mode particulier de financement d’entreprises où plusieurs personnes sont propriétaires de « petits bouts de l’entreprise » nommés actions qui permettent de toucher une partie des bénéfices et d’avoir un pouvoir de décision.
Petit exemple rapide et grossier pour vous montrer comment ça fonctionne. Jean-Paul a une grande idée : vendre des souris gaming roses bonbons, avec des pois verts et des leds jaune anti lags. Jean-Paul veut créer une entreprise spécialisée là-dedans. Il a pour ce faire besoin d’argent. Il ne peut pas tout financer tout seul. Admettons qu’il ait besoin de 100 € pour simplifier l’explication. Il va donc ouvrir le capital de l’entreprise à l’actionnariat. À ce moment la toute personne morale (= personne ou entreprise) peut acheter ses actions. Jean-Paul peut investir 33 € dans son entreprise, il achète donc 33 € d’action, l’entreprise Razire 25 €, IronSeries 20 €, le papa de Jean-Paul croit au projet de son fils et donne 10 € et plusieurs petits employés se rassemblent et donnent les 2 € qui manquent. Jean-Paul sera donc l’actionnaire majoritaire de l’entreprise (l’actionnaire majoritaire n’est pas celui qui a plus de 50 %, mais un pourcentage plus élevé que les autres). Au conseil d’administration qui décidera si oui ou non il faut investir pour envahir le marché de souris gaming au Zimbabwe, il y aura 100 mandats de vote. Jean Paul en aura 33, Razire 25, IronSeries 20, le papa de Jean-Paul 10 et un représentant des salariés 2. Quelques mois plus tard, le marché du Zimbabwe rapporte gros et l’entreprise de Jean-Paul fait un bénéfice de 1000€. Jean-Paul touchera 330 €, Razire 250 €, IronSeries 200 € et ainsi de suite. Si jamais un des actionnaires veut racheter les actions d’un autre il peut, pour cela il faut qu’il paye le prix fixé par l’actionnaire (ce qu’on appelle le cours en bourse de l’action).
Quid d’Activision-Blizzard
Laissons de côté Jean-Paul et concentrons-nous sur le sujet du jour : Activision-Blizzard. Comme l’entreprise de Jean-Paul, Activision-Blizzard à ses propres actionnaires. Je vais faire un petit bilan de la situation des actionnaires avant le désengagement de Vivendi. Vivendi, conglomérat français (cocorico !) qui gère entre autres Canal + ou SFR, était propriétaire de 62% environ des actions d’Activision-Blizzard et le reste est complété par certains cadres, des fonds d’investissement et des fonds de pension (non, je ne vous expliquerais pas la nuance aujourd’hui) parmi lesquels on trouve le très connu et controversé groupe Goldman Sachs.
Alors aujourd’hui la question à 8,2 milliards de dollars (autour de 6,2 milliards d’euros) est : « Pourquoi Vivendi se désengage alors que ce groupe est très rentable ? ». Premièrement parce qu’un adage chez les boursicoteurs est de dire que « les arbres ne montent jamais jusqu’au ciel », en d’autres termes, le groupe se développe, mais arrivera un jour à un point de limite. Ensuite et c’est le point principal du choix du groupe français, la question dont tout le monde parle en ce moment pour les États : la dette. Si vous avez suivi le lien Wikipédia, vous avez pu voir que Vivendi est endettée à hauteur de 13 milliards d’euros. Puisque tu es un bon matheux, cher lecteur Millenium, tu as remarqué que la seule participation de Vivendi dans Activision-Blizzard équivaut à quasiment 50 % de la dette totale du groupe. Les créanciers du groupe seront plus conciliants pour accorder un délai à Vivendi si ce dernier leur fait un chèque de 6,2 milliards (même si dans les faits ça ne se passera pas comme ça, mais l’idée est là).
Alors maintenant que Vivendi, dont certains fans du studio disaient qu’il était responsable de la baisse de la qualité des jeux, a cédé l’essentiel de ses actions, qui les a reprises ? Deux entités en fait. La première est le groupe Activision-Blizzard lui-même qui reprend, en s’endettant, 5,83 milliards d’actions (soit environ 30 % du groupe). La seconde est un groupe formé par les fonds personnels du PDG et de son bras droit ainsi que Tencent (propriétaire de Riot par ailleurs), qui prend environ 20 % du groupe. Vivendi ne garde une participation « que » de 12 % dans le groupe.
Je simplifie pour les ignares du fond qui ont eu la flemme de lire tout le détail : Activision-Blizzard est maintenant un groupe indépendant, mais endetté d’environ 5,8 milliards de dollars (les bénéfices d’environs 4 ans), ses patrons en deviennent des actionnaires importants tout comme Tencent, groupe de télécommunication chinois propriétaire de Riot.
Quelles conséquences pour les jeux Blizzard et Activision ?
Si Tencent investit dans ce groupe, pourquoi dire qu’il est indépendant ? Parce que son poids dans l’entreprise est inférieur à 20 %. Pourquoi ce chiffre précis ? Souvent dans le monde de la bourse on fait le distinguo entre ceux qui ont le pouvoir dans l’entreprise et ceux qui sont là pour ramasser de l’argent. Un actionnaire qui possède moins de 20 % peut avoir un poids non négligeable, mais il n’est pas important. Un tel actionnaire n’a pas les 33 % nécessaire pour bloquer éventuellement les grands changements (réorientation, changement de capital, etc.) et un poids minime sur les points standards (dividendes, objectifs, etc.).
Je vais mettre fin à l’éventuelle inquiétude de ceux qui ont peur que le capital d’Activision-Blizzard ne soit sous la coupe des grands méchants banquiers de Wall Street qui ne pensent qu’à la rentabilité. Les banques ne se mêleront de ce que fait le studio que si ce dernier ne rembourse pas selon les modalités prévues par le prêt. En plus de cela, il faut avoir en tête que la dette est contractée auprès de plusieurs établissements, ce qui limite de fait le poids de chacun sur l’entreprise. En somme tant qu’Activision-Blizzard paye correctement, aucune inquiétude à avoir. Et les montants qu’ils ont à rembourser sont en général calculés de sorte qu’ils soient facilement réalisables.
Je vous vois venir « Youpi ! Les vilains de chez Vivendi sont partis Activision et Blizzard feront ce qu’ils veulent, plus de contraintes des actionnaires ! ». Là on rentre dans un débat qui dépasse le cadre de Vivendi en soit. J’ai toujours trouvé personnellement que tout mettre sur le dos du méchant actionnaire quand les studios prennent des orientations casual était un peu simpliste. Il est clair que le changement va libérer un peu l’attitude des studios. Je vous laisse sur l’analyse d’un économiste reconnu parlant de cette indépendance. Vous pouvez suivre la source pour avoir l’essentiel des infos que j’ai utilisées, un article de Bloomberg l’un des sites les plus reconnus en matière financière. J’ai également puisé sur les pages Wikipédia des différents groupes cités et sur la page Yahoo Finance d’Activision-Blizzard.
Colin Sebastian sur Indépendance d’Activision-Blizzard (Traduction - Source)
C’est gagnant, gagnant, gagnant pour Activision, ses actionnaires et Vivendi. Cela procure un meilleur revenu que les dividendes pour Vivendi et j’espère qu’Activision fonctionnera encore mieux en tant que groupe indépendant que sous la pression d’une maison mère