Quelles explications donner à l’existence de cette nostalgie ? On peut regretter que les gens viennent troller sur les réseaux sociaux, les forums ou les commentaires, mais ils ont nécessairement des raisons d’être nostalgiques. Même derrière le joueur qui a arrêté le jeu depuis un moment et qui crache dessus sans le connaître, il y a des raisons certes subjectives, mais aussi objectives à cette rancœur. Et l’on pourra les résumer très simplement : le jeu a changé et n’est plus le même.
Quand je dis que le jeu a changé, je parle de ses mécanismes profonds et pas du fait que la boite aux lettres de la banque d’Ironforge soit déplacée. Prenons un exemple, qui peut paraitre anecdotique en apparence. Une des controverses de l’époque de Vanilla était la traduction des noms propres. À une époque où le jeu était joué par beaucoup de fans de Warcraft III le changement des noms en a énervé plus d’un, même sans qu’il modifie le jeu en profondeur. Blizzard touchait à quelque chose auquel les gens étaient habitués depuis un moment (Warcraft III est sorti en 2002), et le remplaçait par quelque chose de nouveau qui ne correspondait pas aux attentes. Quelle idée de traduire le nom de famille d’Illidan, de Tyrande ou de Jaïna, le nom des capitales ou des régions, alors que les joueurs les connaissaient et les appréciaient en tant que tels ? Si aujourd’hui l’intégralité du contenu est localisé dans chacune des langues du jeu, au commencement ce n’était pas le cas, et cela a fait un certain nombre de vagues, au point que certaines traductions sensibles, comme le nom des capitales, ont été remises à plus tard.
Les capitales ont évolué depuis Vanilla : nom comme apparence
Imaginez alors que l’on touche à des mécanismes plus complexes et plus profonds : le gameplay des classes, la façon de jouer, le format des raids, le gameplay en PvE, les récompenses en PvP, les arbres de talent, le niveau de difficulté général, la vitesse de pexing etc. les réactions ne se feront pas attendre, et elles seront loin d’être toutes positives, même lorsqu’il s’agit d’une amélioration. L’Homme a horreur du changement. Prenons l’exemple de la montée en niveau des personnages. Du temps de Vanilla, c’était quelque chose qui pouvait être passablement infect : la chose était longue, compliquée, pas optimisée, obtenir une monture était en soit un évènement vu leur prix, et d’ailleurs posséder ne serait-ce que 10 PO vous assimilait à un émir du Golfe. Bref, le contraire de tout ce qui se passe aujourd’hui, du MMO à l’ancienne comme on n’en trouve plus qu’au Pays du matin calme. Pourtant bien que la majorité des joueurs soit contente d’avoir laissé cela derrière soit, il y en aura quand même beaucoup parmi eux qui vous parleront avec fierté et des trémolos dans la voix du fait d’être arrivé au niveau 60 à Vanilla. Ils se souviendront même, pour certains, de l’endroit où cela est arrivé. Ils soupirent avec regret et nostalgie de cette époque, même si aucun d’entre eux ne voudrait ou ne pourrait sûrement revivre l’expérience.
Cet exemple-là (parmi tant d’autres) est très représentatif d’un des autres aspects du changement apporté à WoW : la perte de ce côté épique. « Avant » quand vous obteniez un loot épique, le butin en question portait bien son nom, avant quand vous vouliez tuer un boss, il fallait organiser et coordonner 40 personnes, avant, atteindre le niveau 60 était une épreuve de moine shaolin, avant de manière générale, tout s’obtenait à la sueur de son front et se méritait (un peu comme quand vos anciens vous parlaient de leur Noël d’après-guerre). Les choses étaient peu gratifiantes, vous farmiez des heures pour presque rien, mais vous aviez la fierté d’y être arrivé. Aujourd’hui, les mécanismes de micro-plaisir implémentés en jeu pour la moindre action, produisent l’effet inverse : c’est facile, c’est gratifiant, mais cette saveur d’antan n’y est plus. Comme si dans le subconscient collectif, en chier pour rien était plus valorisant que de ne pas se fatiguer pour avoir beaucoup.
Cette valeur de l’effort est sublimée dans les souvenirs des joueurs par un autre élément, qui a son importance : WoW a pour beaucoup été le premier MMO. Si les recettes que l’on trouve dans le monde de Warcraft paraissent aujourd’hui évidentes, rien de tout cela ne l’était en 2004 à la sortie du jeu. Comme à son habitude, Blizzard a repris et amélioré des mécaniques existantes et les a raffinées et poussée jusqu’à obtenir ce qui se fait de mieux. Beaucoup ont « grandi » dans les MMO avec WoW, ils se sont forgé des amitiés, connus leurs premiers exploits (et les ont ressentis avec d’autant plus de fierté que c’était dur), ils gardent des souvenirs émerveillés de leur toute première fois, tou-toute première fois, tant en jeu que dans la vraie vie. Le souvenir des premières IRL est aussi en général le meilleur, on se découvre enfin, on apprend à se connaître. Comme tous les débuts, on en garde beaucoup de bons souvenirs, et on en nourrit également de la nostalgie.
Les noobs : on a tous été jeunes et innocents face à Azeroth