Prenez votre respiration avant de vous plonger dans cette interview-fleuve passionnante et passionnée de MoMaN qui nous fait découvrir d'autres facettes de sa personnalité et de son double métier de joueur/commentateur.
- Partie n°1 - Allo MoMaN : son caractère, sa famille, sa babou
- Partie n°2 - MoMaN et l’eSport : analyse, parcours, souvenirs et nation wars
- Partie n°3 - MoMaN d’anthologie : ElkY, ToD, Stephano et Millenium
- Partie n°4 - Inside MoMaN : Team LDLC.com, ASUS ROG, Pomf & Thud
- Partie n°5 - L’actu du MoMaN : StarCraft 2, ShootMania, France-Espagne
[M] BigCrook : Cela va faire bientôt quinze ans que tu roules ta bosse dans l’univers du sport électronique. D’ailleurs tu te décris toi-même comme un « papy de l’eSport ». Quel regard portes-tu sur le développement de l’eSport en France ?
[LDLC/ROG] MoMaN : On est sur une pente ascendante, ça monte crescendo. Il y a quinze ans, il n’y avait pas beaucoup d’équipes, il n’y avait pas trop de sponsors car ils n’étaient pas intéressés, les gens qui regardaient ça de l’extérieur considéraient les geeks comme des mecs boutonneux qui n’avaient pas de vie et qui mouraient sur les claviers, TF1 et M6 balançaient des reportages sur les stéréotypes des joueurs où ils leur crachaient dessus. A partir de là, c’était très dur d’être joueur, on avait limite honte d’être geek et de jouer aux jeux vidéo. Donc on jouait on gagnait notre souris, on était contents alors qu’il y avait un niveau extraordinaire. Puis les années ont passé et beaucoup de monde s’est mis à utiliser internet, à savoir utiliser les ordinateurs et autres.
Aujourd’hui, c’est presque devenu une mode d'être geek. Par exemple, quand une fille se balade dans la rue et qu’elle commente son statut Facebook sur son mobile pour dire qu’un mec lui a fait un clin d’œil, c’est « chui trop une geek ! ». Désormais, les sponsors comme ASUS Republic of Gamers, les marques d’ordinateurs ou de matériel informatique, les équipes comme Team LDLC.com investissent de plus en plus dans l’eSport car il y a un marché de plus en plus grand et qu’il y a des parts de marché à prendre avec des futurs clients potentiels. Je n’ai pas le chiffre exact en tête mais quelque chose comme plus de 50% de la population utilise internet.
Question argent, ça n’a plus rien à voir. Il y a quinze ans, il n’y avait quasiment rien, on gagnait une souris et on était contents et s’il y avait une console à gagner, c’était incroyable. Maintenant, on atteint des sommes qui peuvent atteindre 100 000 $ sur certaines compétitions. Depuis deux ou trois ans, on voit des grosses marques comme Red Bull, ASUS, Numericable et autres mettre de l’argent. Grâce d’abord à StarCraft II puis maintenant League of Legends – car il faut être honnête LoL est passé devant SC2 -, je dirais que les sommes ont été multipliées par 10. Par exemple, il y a 2-3 ans, il n’y avait pas joueurs professionnels français et maintenant, il y en a quelques-uns qui sont sponsorisés, qui peuvent avoir un salaire et vivre de l’eSport.
Durant ta carrière, tu as pas mal voyagé à travers le monde : Allemagne, Suède ou plus récemment en Chine pour la finale des WCS 2012. Tu as ainsi pu toucher du doigt l’écart entre la France et ces autres pays dans le domaine de l’eSport. Quels sont les principaux points sur lesquels on doit progresser pour arriver à se hisser à leur niveau ?
La Corée est devant, après il y a l’Amérique, mais je ne suis jamais allé dans ce pays. Quand je compare avec l’Allemagne et la Suède, je dirais qu’il y a d’abord le fait de gagner la confiance des sponsors. On ne peut pas arriver et dire à un sponsor : « Salut ! Je m’appelle Jean-Claude, je pense être le meilleur ! » car si derrière tu ne montres pas de performances ou que tu as un public qui te suit, tu ne peux avoir sa confiance. Donc, il ne faut pas non plus être flemmard, il faut aller chercher les sponsors et pour ça, il faut avoir du matos et des projets à leur proposer. Par exemple, Pomf & Thud avec Alt Tab Productions font vraiment du très bon boulot, pareil avec Millenium et Llewellys.
On est un peu en retard là-dessus par rapport aux autres pays comme la Suède et l’Allemagne et le problème c’est qu’en France, les sponsors ont commencé à ouvrir les yeux à l’image de Numericable, mais la crise est passée par là, elle est encore là et ça fait mal aux sponsors, ça fait mal au marché de l’informatique et des technologies en général. En Allemagne, c’est aussi la crise mais le gaming est déjà bien implanté et donc les sponsors savent que même dans cette période délicate, ils auront un retour sur investissement. Donc en France, ça continue d’avancer avec de plus en plus de marques qui commencent à s’y intéresser mais c’est ralenti et c’est encore pire en Espagne. Aux Etats-Unis, ils sont bien plus avancés car il y a masse monde qui travaille là-dessus et qu’ils sont en train de sortir la tête de la crise, donc il y a plus de sponsors, plus de gens qui s’intéressent à l’eSport et la grosse machine s’est lancée.
Quand tu regardes dans le rétroviseur, quelles sont les personnes qui ont joué un rôle déterminant dans ton parcours eSportif ?
Si je regarde tout de suite dans le rétro et puis que je remonte le temps, il y a d’abord Stephan et Anthony de Team LDLC.com. Avant ça, mais ça a été une mauvaise rencontre, c’est Skyboot le manager de Virus : une très mauvaise rencontre et un mauvais choix de ma part. Il y a eu l’aventure Cyber Nation avec Nathan, Pierre et le troisième dont je ne citerais pas le prénom car il aime rester dans l’ombre. Avec CN, ça s’est bien passé au début et mal passé sur la fin mais ça a quand même été une très bonne expérience professionnelle et j’ai appris beaucoup de choses là-bas. Encore avant, il y a eu Llewellys et Cédrix avec Millenium, ça a aussi été une super expérience et ça s’est super bien passé. On est toujours en bons termes et ce sont toujours des gens intéressants à écouter. Il y a aussi Samy Ouerfelli qui était chez aAa, qui est chez Turtle maintenant et que j’ai connu à l’époque de CS ; même si on n’a jamais vraiment travaillé ensemble professionnellement, on s’entend bien et c’est un mec intéressant qui a un poids important dans l’eSport. Sur CS, j’ai connu beaucoup de monde, car j’ai connu beaucoup d’équipes, j’étais LE clan hopper, la « sauterelle » ! Il y a eu bien sûr Désiré de la Gamers Assembly qui organise également le GeeX, qui est parti de rien et qui est devenu une figure emblématique de l’eSport en France. Il y aussi Mathieu Dallon des ESWC qui est une personne importante.
Je peux citer tellement de personnes et que c'est dur de ne pas en oublier. Après toutes mes années de carrière et toutes les LAN à mon actif, j’ai connu tellement de personnes intéressantes que j’ai peur et que je sais que j’en ai oubliées. Du fait de mon caractère, je parle avec tout le monde et là je vais oublier des gens alors que le lendemain, je vais me rappeler qu’il y a telle ou telle autre personne qui a été importante pour mon parcours personnel mais pas que pour moi, pour l’eSport tout court. Car ce que j’aime avant tout, c’est que l’eSport français avance donc si je peux aider à pousser en ce sens, j’y vais à fond. Je dirais donc merci à tous ceux qui font bouger les choses !
Quels sont les souvenirs les plus marquants ? Les périodes plus difficiles…
La période la plus difficile que j’ai eu à gérer n’est pas si éloignée que ça. C’était il y a quelques mois, au moment des WCS France notamment, où je prenais vraiment cher. Alors il y avait des haters mais même personnellement, je suis mec qui joue pour la compétition et le fait d’avoir perdu ce niveau que j’avais au début de SC2, je me suis senti blessé dans mon amour propre. Entendre des mecs dire limite que j’étais un Bronze, ça m’a vraiment fait mal. C’est vrai que j’ai des projets en parallèle, que je travaille que ce soit pour O’Gaming, ASUS ou LDLC mais ce n’est pas une excuse.
Aujourd’hui ça va mieux et les gens, en particulier les jeunes joueurs, me respectent davantage même s’il y toujours de critiques, mais je continue de me mettre chair à moi-même et limite je me vomis dessus quand je vois comment je joue par rapport à mon niveau d’avant. En tant que compétiteur, je vise la première place et c’est très dur. S’il y a vraiment quelqu’un dont je suis admiratif du boulot qu’il fait, c’est Grubby. Il fait ce que j’ai toujours voulu faire : c’est joueur professionnel de niveau international et c’est un excellent communiquant très apprécié de la communauté.
Pour moi, ça s’est très bien passé durant la bêta et la première année de SC2 où je faisais presque partie des meilleurs joueurs du monde. Après j’ai commencé à baisser petit à petit et j’avais d’autres projets à côté. Ca m’a fait mal car je n’aime pas venir en LAN et ne pas passer les poules ; si je viens en LAN, c’est pour gagner.. Comme je suis très ouvert, j’écoute beaucoup les critiques même celles des haters et ça me blesse, mais c’est mon boulot et il faut apprendre à gérer ça. Donc je me mets beaucoup la pression car quand je me dis que j’ai fait partie des tous meilleurs et qu’aujourd’hui j’ai du mal à rester dans le top FR, ça fait mal.
… et les meilleurs moments ?
Un moment fort, ça a été quand ma candidature a été retenue pour la première saison de la NASL. On avait fait une vidéo avec Cyber Nation et je les remercie car c’est grâce à eux. C’était une vidéo qui était marrante, un trip à la MoMaN, genre c’est un truc qui colle à ma peau. Ca a été un moment fort car j’étais fier de cette vidéo, j’étais fier d’être Cyber Nation, j’étais fier d’avoir fait ça avec Pierre, Nathan et toute l’équipe de Cyber Nation et j’étais fier de voir tous les gens qui kiffaient cette vidéo. Ca m’a donné des ailes et ça me faisait vraiment plaisir ! Grâce à ça, j’ai été à la NASL, j’ai fait la saison 1, la saison 2 même si ça s’est plutôt mal passé, ça m’a permis de me faire connaître au niveau international, surtout aux Etats-Unis car jusque-là, j’étais connu en Europe mais pas en Amérique.
Il y a eu aussi Iron Squid 3… euh… 2, pardon ! Le travail qu’on a fait ensemble, surtout le travail qu’ils ont fait car c’est surtout eux qui ont bossé, c’est juste ouf. Le moment où j’étais derrière la scène pendant que l’orchestre jouait, ça m’a donné les larmes aux yeux. A ce moment-là, quand j’étais senti que ça montait, je me suis demandé si j’allais y arriver. La musique était ouf et quand je voyais le public en face, j’étais complètement submergé par l’émotion et j’avais SarenS à côté de moi qui me disait : « Mais qu’est-ce qui t’arrive ? » et moi je lui disais : « Putain mais c’est trop beau ! ». L’entrée sur scène, ça été aussi un moment super fort avec tout le public qui se levait en criant « Wouallez ! ». C’était vraiment une folie, j’ai fait mon p’tit dérapage, je m’amusais comme un gamin ! Franchement, c’est un moment que je n’oublierai jamais !
Quand tu te présentes, tu aimes rappeler que tu as été sélectionné en équipe de France sur la quasi-totalité des jeux vidéo auxquels tu as joué à haut niveau. Aujourd’hui les Nation Wars ont disparu du paysage, à l’exception de l’ESL Country Championship qui est très peu médiatisé. C’était mieux avant ?
Oui par rapport à ça, c’est un regret. Car quand tu joues pour les couleurs de ton pays comme la France contre d’autres pays, tu as une petite pression mais tu joues pour ton équipe et tous les Français sont derrière toi. En tant que joueur de l’équipe nationale, vu tout ce que ça m’a apporté et l’engouement qu’il y avait autour, c’est vrai que c’est bizarre que ça n’a pas continué. C’était des choses que les gens aimaient voir, genre : « Wouah, l’équipe de France joue contre l’équipe d’Espagne ! Ca va être trop beau ! ». On voyait les joueurs qui représentaient toutes les équipes nationales et qui se soutenaient entre eux à fond, c’était un truc de folie alors que d’habitude on se soutient entre mates mais on joue chacun pour sa gueule. C’est dommage que ça ait disparu mais ça va peut-être revenir prochainement.
Contrairement à d’autres RTS comme WarCraft III par le passé avec la WC3L ou les FPS et les MOBA, c’est le mode 1c1 qui est principalement mis en avant sur SC2. Hors, la plupart des joueurs amateurs découvrent l’aspect compétitif au travers des clan wars organisés en ligues Pandaria, Fureur et autres. De plus, on voit un vrai engouement du public pour des tournois par équipe comme la GSTL et la Proleague en Corée mais également l’Acer TeamStory Cup et l’EMS RaidCall en Europe. Faut-il mettre davantage en avant ce type de compétitions selon toi ?
Oui, sans hésitation. D’une part, ça rapprocherait les équipes. Il y a parfois des équipes qui sont composées de loups solitaires, genre tu es dans une équipe où il y en a cinq : ils ne se parlent jamais, ils ne se jouent jamais, ils font leur Ladder dans leur coin, ils font leur tournoi dans leur coin, etc. Ce genre de tournois en équipe force les loups solitaires à se regrouper, à se fédérer pour former une vraie meute de loups : ils s’entraîneront ensemble, ils se donneront des conseils mutuellement, ils se soutiendront dans la défaite, etc. C’est vraiment ce type de compétition qui peut déjà faire énormément progresser les joueurs grâce aux tips de leurs mates et en plus l’ambiance est toujours plus sympa quand tu vois les joueurs d’une même équipe qui se soutiennent et qui se tapent dans les mains.
Personnellement, quand je suis dans une équipe, je ne m’intéresse pas uniquement aux joueurs de l’équipe SC2 mais également aux joueurs des autres équipes LoL, ShootMania et autres, et à tous les membres du staff qui bossent dans la structure. Pour moi, on est ensemble, on est unis comme les doigts de la main.