La révolution trahie (snif !)
En effet, dans SC2, on a le droit à des enjeux futuristes d’ampleur, mais on a aussi un bon pied dans l’Histoire et la politique.
Chez les Protoss nous avons la représentation d’une société ancienne et avancée, mais également sclérosée, refermée sur elle-même, qui refuse d’ouvrir les yeux. Un genre de bureaucratie/théocratie qui campe sur ses positions, trop imbue d’elle-même pour voir les menaces ou la nécessité de changer, notamment en s’ouvrant aux autres races ou à leurs frères, les Templiers Noirs. Tassadar fait ici figure d’icône éclairée que personne n’écoute. Grand sage, il joue les Cassandre en tentant de bousculer son monde pour le protéger des dangers qui le guettent. Il est respecté, mais devient dès lors embarrassant, forcé à se tourner vers les parias et les rebelles, emmenant avec lui quelques fidèles prêts à tout pour aller contre la tendance générale et s’acoquinant avec l’ennemi : les Humains, les Templiers Noirs.
L’Histoire lui donne raison et il meurt en martyr, en symbole de sa cause. Beaucoup de ces thématiques font échos à des questionnements actuels, sur nos sociétés fermées et craignant tout ce qui est autre, différent, en leur sein comme à l’extérieur, incapable de se remettre en question et accroché à leur soi-disant supériorité. Le monde des Protoss est aussi ancestral qu’archaïque, un colosse (avec thermolance) aux pieds d’argiles qui paie le prix fort pour son aveuglement en perdant sa planète natale, Aïur.
Les thématiques historiques et les enjeux de société ne sont jamais aussi présents que dans le cas des Terrans, peuple auquel il est le plus facile de s’identifier. L’histoire que nous suivons, globalement celle de Jim Raynor, est également une histoire d’émancipation.
La Confédération, système en place quand nous commençons le jeu, est décrit comme un conglomérat corrompu, oppresseur et injuste. On trouve ce type de gouvernement, souvent caricature des sociétés occidentales modernes, dans nombre d’oeuvres d’anticipation, genre qui par nature accentue par la projection les travers de notre monde. Starcraft 1 puis 2 nous font jouer une révolution, décrite avec beaucoup de complexité, de contradictions et de mécaniques héritées de l’Histoire.
La rébellion explose sous l’égide d’Arcturus Mengsk, stratège, habile politicien et leader charismatique. C’est lui qui parvient à fédérer et à organiser les insurgés pour mettre à bas la Confédération. Elle éclate, comme souvent ce type d’événement, en tant de crise (en l’occurrence l’invasion Zerg et le conflit avec les Protoss). Mengsk est rejoint par Jim Raynor, un shérif de peu d’envergure politique, mais aux principes solides. C’est à travers lui que se posent les questions liées à ce type de bouleversements.
Mengsk, King Joffrey de Starcraft : tout le monde veut le buter
La première d’entre elles concerne les méthodes. Jusqu’où peut-on aller pour mettre à bas un système corrompu ? Mengsk est un pragmatique tandis que Raynor est un idéaliste, c’est de là que partiront leurs premiers conflits. Mengsk est prêt à tout, considère que la fin justifie les moyens : la manipulation, la terreur, l’alliance avec des gens peu fréquentables (comme Duke, général de la Confédération qui retourne sa veste par opportunisme), l’abandon sans pitié de leurs propres hommes (ou femme, dans le cas marquant de Kerrigan, laissée pour morte aux griffes de l’Essaim).
Raynor est un homme vertueux, bourré de principes, qui se refuse à s’abaisser même quand cela parait nécessaire. Si Mengsk est celui qui est prêt à tout, quitte à être pire que ce qu’il combat (un peu comme Arthas), Raynor est l’idéaliste condamné à l’impuissance, enfermé dans ses valeurs. Évidemment, l’histoire de SC, comme l’Histoire réelle, n’est pas tendre avec ce genre de personnes.
Lorsque Mengsk, aidé de Duke, utilise les Zergs pour massacrer la population d’une planète confédérée, c’est la goutte d’eau pour Raynor qui quitte les rangs, se tournant vers d’autres rebelles incompris que sont Phénix, Tassadar ou Zeratul. Mengsk, quant à lui, parvient à ses fins et impose une dictature à ses ordres, le Dominion, par bien des aspects largement pire que la plus corrompue des confédérations.
Raynor, c’est une révolution et un révolutionnaire trahis, comme l’Histoire en compte tant. Un mouvement d’émancipation qui s’achève en un état totalitaire, une caste qui en remplace une autre en utilisant une insurrection, condamnant les rebelles les plus sincères à l’exil, privilégiant les opportunistes de la dernière heure... peut-être justement parce que ces idéalistes ne voulaient pas le pouvoir, qu’ils étaient trop vertueux et désintéressés pour vaincre.
Triste constat.
Dans Brood War, Raynor portera à nouveau la résistance contre l’ennemi terrien (revenu de notre monde natal pour récupérer leur colonie perdue), allié aux nostalgiques de la Confédération. Il sera à nouveau trahi par excès de naïveté (et sans doute d’amour compliqué) lorsque son Kerrigan se retourne contre eux. Un nouveau coup de poignard symbolisé par la mort (eh oui, encore) de son ami Phénix.