Il y a des genres pour lesquels la route est balisée comme une étape du Tour de France. Il suffit de maquiller le parcours des mêmes pancartes et panneaux publicitaires, et vous voilà plongés dans l'ambiance. À chaque étape on se projette sur la suivante, ce qui change c'est finalement le décor ou le pourcentage des côtes à grimper, gare aux points de côté.
Et devant la voiture balai, on trace le chemin comme dans un couloir goudronné où l'aspiration jouerait un rôle moteur quand, derrière la roue du concurrent qui tente l’échappée en solitaire, on se projette pour atteindre le sommet du col en tête. Pour les First Person Shooters, à une certaine époque on parlait plus de Doomlike que de CODlike, une époque pas si lointaine il faut l'avouer. Les choses ont bien changé.
Les rafales de scripts ont bouleversé les labyrinthes. Finies les architectures dédaléennes, les minotaures armés de sulfateuses aux voix démoniaques, la joie de se refaire « Massacre à la tronçonneuse » en version pixel, la mort aux trousses. Fini aussi les excès de vitesse entre deux rocket-jumps, place à l'authentique guerre. La « guerre terroir » labellisée rouge sang, moderne comme un caillou en pleine Intifada. La guerre spectaculaire où les sous-marins nucléaires attaquent New-York et où les portes avions sont des atolls pacificateurs sur l'océan Atlantique.
Dans ce paysage où les « UAV are online » et le nom « Hiroshima » est synonyme de Nuke ou MOAB, il faut reconnaître qu'une licence comme Bioshock passe difficilement sous le radar. Univers glauque, noir, incertain, ravagé par la folie, Bioshock a cette chance (provoquée) de ne pas être un clone, mais bel et bien une licence qui a su adapter au genre du FPS une empreinte particulière.
Entre Steampunk et polar désaxé à l'univers fantastique assumé, Bioshock récite sa partition du shoot, dévie les propos quand son enquête se transforme en petit laboratoire d'essai de plasmides ou que les déambulations de ses personnages s'étirent dans des cités nourries de croyances parfois macabres.
La religion est un asile pour les personnes qui peuplent ces villes perdues au fond des océans, ou perchées dans les nuages. La vérité comme interface de l'aliénation, la défense des valeurs, la création de sociétés autonomes et marginales, sont des logiques qui tapissent l'écriture des scénarios de la licence. Naviguer entre l'institutionnel et l'alternatif, le rationnel et l'irrationnel, distord le principe de réalité auquel peut s'accrocher le joueur.
Parmi les fous, devient-on fou ? Bioshock a choisi en partie la violence pour répondre à cette question. En partie, car une des mécaniques de jeu qui avait le plus retenu l'attention des joueurs sur la licence, était la connexion que pouvaient établir les personnages secondaires de l'aventure. Leur relation, dont nous étions spectateurs, devenait un vecteur d'émotion étrange. Tant et si bien que finalement personne ne retiendra le nom des héros des deux premiers jeux mais par contre tout le monde gardera un souvenir impérissable des Big Daddy et des Petites Sœurs. Le hold-up parfait.
Avec Bioshock Infinite, on reprend le chemin de l'arène, direction ce phare perdu en pleine mer démontée. Ça vous rappelle quelque chose ? C'est normal. Infinite reprend le HUD et les mécaniques canoniques de la franchise, les repères sont là comme ce phare accroché au rocher, ils ne changent pas. Sauf qu'à défaut de plonger dans la pénombre aquatique, Infinite nous joue le mouvement antagoniste en nous accrochant à sa cité céleste. Un antagonisme que l'on retrouve aussi dans le traitement esthétique du jeu.
Out donc les couleurs ternes et aqueuses, le noir blafard et humide des couloirs si chers aux ambiances lovecraftiennes des premiers Bioshock et place à un ciel bleu paradisiaque et aux couleurs chatoyantes d'Infinite. Bienvenue à Columbia, son ambiance pittoresque, son soleil radieux et ses habitants accrochés malgré eux aux poteaux. Si vous pensiez qu'Edgar Poe n'était pas un exhausteur de goût littéraire de cet épisode, vous vous fourriez le doigt dans l’œil. Le FPS d'Irrational Games joue très vite de ses grincements et dissonances pour vous replonger dans le bain. Vous n'aviez pas été baptisé ? Vous risquez d'être servis.
Infinite, c'est aussi l'occasion de découvrir Booker DeWitt, nouveau héros de l'aventure et investigateur de l'extrême mandaté pour retrouver une jeune femme du nom d’Élizabeth retenue prisonnière d'une demeure gardées par un oiseau mécanique à vapeur. Bavarde et attentionnée, Elizabeth révèle très vite l'humour qui pourra s'inviter dans les scènes qui viendront comme des scripts ou des parenthèses lier les deux protagonistes centraux de l'aventure.
Ken Levine himself promettait lors de son apparition sur scène pour la présentation de son jeu, que cette relation serait génératrice d'émotions bigarrées pour le joueur. Si les premiers Bioshock mettaient en scène une relation extérieure au personnage central, en l’occurrence celle des Big Daddy et des Petites Sœurs comme nous l'évoquions un peu plus haut, Infinite manœuvrera avec plus d'intimité sa narration pour rapprocher les joueurs de la mystérieuse créatrice de portails.
Car oui en plus des choix moraux que DeWitt devra produire - des choix qui entretiendront certainement l'alignement de votre avatar et les embranchements scénaristiques auxquels cet épisode de Bioschok pourra vous inviter – Infinite n'oublie pas d'inclure sa dose de fantastique dans le tamis de son background pour offrir à son jeu ce parfum typique que le joueur attend de la licence. Entre pouvoirs neuro-psychiques, voltige aérienne accroché aux réseaux de rails tissés entre les bâtiments de Columbia ou les phases d'exploration, Infinite n'oublie pas d'offrir des scènes d'action qui raviront les puristes, d'autant que ces dernières sont plutôt nerveuses et bien calibrées.
Doté d'une réalisation impeccable et d'un framerate imperturbable sur les PC sur lesquels étaient installés les jeux, Infinite a séduit. En plus d'une direction artistique intéressante, le jeu de 2K promet un sidekick qui pourrait facilement vous voler la vedette à la fin de la pièce. Ne reste plus qu'à attendre le 26 mars prochain pour réaliser si ce nouvel opus pourra se hisser au niveau du premier épisode de la série. Bioshock Infinite est attendu sur PC, PS3 et Xbox 360, aucune version n'a pour le moment été annoncée pour la Wii U de Nintendo.