Maintenant que le décor est planté, penchons-nous particulièrement sur la cible qui nous intéresse : les joueurs, et au-delà les geeks de notre époque. Comme bien des enfants de la dernière génération, disons, la fin des années 1970, le rapport à l’alimentation a été modifié par rapport à leurs aînés. Il y a eu l’irruption de la télé pendant les repas par exemple, la désacralisation du repas, l’essor de la nourriture industrielle de plus en plus élaborée (plus chère et sans pour autant être meilleure), et l’arrivée des écrans dans chaque pièce de la maison.
Les situations varient évidemment selon les milieux sociaux, les lieux de vie, l’endroit où sont pris les repas / et déjeuners. Mais ces facteurs-là, et ceux que nous avons évoqués auparavant, expliquent le changement des modes de consommation alimentaire, et le glissement progressif d’une partie de la population ces nouvelles façons de manger.
Du repas à table on est passé au plateau télé, à l’assiette devant le PC. L’irruption des jeux (massivement) multijoueur aura encore modifié ces pratiques avec l’arrivée de contraintes horaires pour joueur à plusieurs.
« La bouffe » vue par Cyprien. Caricature pas si éloignée de la réalité
L’absence relative d’éducation culinaire ou alimentaire n’aide pas à améliorer la situation, et quand bien même quelqu’un sait ce qui est mieux, il n’aura pas forcément la possibilité de le mettre en œuvre. Des repas équilibrés sont souvent des vœux pieux par manque de temps, de volonté ou d’argent. Prenons aussi en compte le facteur flemme, ou le fait que ce ne soient pas les joueurs concernés qui fassent eux-mêmes la nourriture, et vous obtenez un panorama alimentaire rempli de gens qui délaissent complètement les règles essentielles de la nutrition. En outre, de ce point de vue, quitte à devoir manger, autant que ce soient des choses qui fassent plaisir (typiquement pas des steaks de tofu bio), plutôt que des aliments moins appétissants.
Si les joueurs mangent si mal, c’est que le fait de jouer assidument n’est plus compatible avec un mode de vie vertueux du point de vue alimentaire. Il y a quelques années, avant l’arrivée massive d’Internet et des jeux multijoueurs, les choses étaient dans le même état qu’avec l’arrivée de la télé. À présent que beaucoup de gamers ont leurs cercles de compagnons de jeu, la donne est différente.
Le cas le plus emblématique est celui des MMO. S’engager dans une guilde qui raide à 20h30 n’est pas compatible avec les repas familiaux pris à la même heure. De même, rentrer tard du travail ne sera pas facilement accommodable avec de tels horaires, à moins de sacrifier sa vie de joueur ou son équilibre nutritionnel. Le choix est alors à faire entre l’exil des repas familiaux, ou celui de son groupe de joueurs. Ceux qui vivent seuls n’auront pas ce dilemme en revanche. On peut décliner ce genre de rendez-vous multijoueur sur les autres types de jeu ou support, évidemment, mais se retrouver entre amis pour une partie sera toujours moins contraignant que les impératifs organisationnels d’une guilde ambitieuse.
Contrairement à l'IRL, dans les MMO on sait bouffer
Les LAN et grosses compétitions sont également des lieux privilégiés de ce genre de consommation alimentaire. Réunissez ensemble des gens adeptes des fast-foods et sandwichs en tous genres, venus pour jouer et pas pour un séjour gastronomique, et vous obtiendrez inévitablement des tables constellées d’emballages de sandwichs en tout genre, de boites de gâteaux, de bouteilles ou canettes de sodas, voire, plus récemment de boissons énergisantes. À une moindre échelle les IRL reproduisent aussi ce schéma, même si les cas varient selon les situations, et que ces moments sont aussi l’occasion de se faire de bonnes bouffes.
Ces modes de consommation sont outre le reflet de l’air du temps, le prolongement des comportements des joueurs de leur âge. Amusez-vous à roder près d’un lycée ou d'une université, et vous verrez que finalement le comportement alimentaire des joueurs n’est qu’un reflet supplémentaire des mœurs alimentaires d’une société qui s’est convertie à ce que certains appellent la malbouffe. Le phénomène n’est pas propre à la jeunesse, il est seulement accentué. Si en grandissant les gens mangent un peu moins mal, le repas du midi est rarement l’occasion d’une escapade gastronomique à une table étoilée.