C'est une donnée qui reste stable : la propagation et l'impact de l'eSport sur un public de plus en plus friand de compétitions en ligne est en constante progression. Ils sont de plus en plus nombreux ces joueurs qui n'attendent plus qu'on leur parle la langue de la vulgarisation. Aujourd'hui place aux experts, aux dialogues entre initiés, aux échanges entre un public averti et des acteurs qui utilisent leur expérience pour accrocher les spectateurs derrière les écrans. Ce format, la télévision l'a, séculairement, compris. Plus aucune émission de sport sans ses spécialistes, ses ex-joueurs ou ex-agents, pour parler de football, de rugby ou de basket. Et pour l'eSport, aussi la tendance est à la généralisation. « Quand j'étais encore enfant jouant à Pac-Man, ça se passait généralement dans mon salon en famille ou avec des amis, eux aussi amateurs de jeu vidéo », Matthew DiPietro le chef de marque de Twitch caractérise ainsi cette évolution logique, technologique et sociale.
Qui parle de réseaux de communications, surtout à ce niveau, parle aussi de plateformes de streaming. Ces nouveaux diffuseurs organisent, rythment, et monopolisent, le quotidien d'une nouvelle forme de spectateurs. Ils sont plus de 45 millions de viewers à se connecter chaque mois sur Twitch et passent un peu plus d'1h30 devant ce qui fait l'actualité de leur loisir préféré, à savoir le jeu vidéo. Chacun de ces visiteurs réguliers ne regarde pas tout ce qui se passe sur ces sites, ces nouveaux macro-diffuseurs de contenus. Ils ont leurs habitudes, leurs stars, leurs scènes et leurs jeux de prédilection. Comment par exemple faire exploser DOTA 2 en France quand les Russes sont des centaines de milliers à être farouchement hypnotisés devant leur PC pour chaque grande compétition internationale ? Comment définir ce qui fait que les joueurs américains sont plus friands de la scène Call of Duty que ne l'est l'audience française ? Si les questions subsistent, il reste quelque chose de sûr. Ce nouveau mode de diffusion est aujourd'hui entré dans les mœurs, et le taux de pénétrabilité de cette nouvelle activité impacte sur la façon qu'ont les utilisateurs d'envisager le jeu vidéo.
L'eSport passe la seconde, en l'espace de deux ans
Pour densifier cette activité, les diffuseurs ont compris la parade. Créer des événements Premium, du casting haut de gamme, rétribuer les acteurs majeurs de chaque scène grâce à un CPM aguicheur, permettent de valoriser leur marque. Et au début de l'année 2014, sur la scène Call of Duty, une question s'est très vite posée. Qui de Twitch ou de la MLG pourrait s'attacher les services de ces casters devenus stars ? Car oui Call of Duty aux États-Unis, ça n'est pas anodin. La licence phare d'Activision a su devenir un véritable phénomène outre Atlantique. Les équipes professionnelles, l'ont compris, pour continuer de grandir il faut savoir choisir ses partenaires attitrés.
MLG vs Twitch - cliquez sur l'image pour agrandir
Organisés et très visibles sur la scène nord-américaine, OpTic Gaming est de ces équipes qui se sont fait un nom sur la scène Call of Duty. Ancien joueur et aujourd'hui dirigeant de l'équipe, H3CZ n'hésitait pas à rappeler très récemment que le jeu était aussi suivi qu'une compétition de NASCAR sur le net. Dans un pays où le moteur de l'industrie est aussi gouverné par l'automobile, ça n'a rien d'anecdotique. Alors que des stades entiers accueillent les compétitions de League of Legends, les Américains commencent à voir la lumière au bout du tunnel. OpTic est une équipe historique de la scène Call of Duty, complètement ancrée dans le panorama des aficionados et amateurs de cette scène et même si vous ne connaissez pas Call of Duty, vous avez peut être entendu parler de NaDeshot.
La grenade frag
Nadeshot est le 7e diffuseur de Twitch. Avec ses 340 000 abonnés sur sa page, il est devenu une de ces stars émergentes du monde de l'eSport. Plus qu'un joueur, avec OpTic Gaming, il a réussi à raconter une histoire à une scène encline à partager sa vie, ses émotions et son quotidien avec lui sur sa chaîne YouTube. En fidélisant cette audience et en l'informant quotidiennement via les réseaux sociaux, il a réussi là où d'autres ont échoué : faire naviguer sa communauté d'une plateforme de diffusion à l'autre. Pourtant au début du mois de mars, Nadeshot remettait tout en cause. Dans une vidéo qu'il diffusait sur YouTube, il annonçait vouloir prendre une décision importante concernant le fait de continuer de streamer ou non sur Twitch. Au début du mois d'avril, la décision était rendue publique, toujours sur la chaîne YouTube du joueur (vidéo ci-dessous), Nadeshot continuerait son aventure sur le site de la MLG, comme beaucoup d'autres joueurs professionnels de la scène.
Cette décision intègre évidemment une stratégie, et pour Nadeshot, et pour la MLG. En décembre dernier la MLG annonçait fièrement être le site et l'organisation leader dans l'eSport. En seulement quatre ans, cette activité grossissait de 1557% avec près de 54 millions de viewers par heure soit un total de 3 milliards de spectateurs par minutes pour toute l'année 2013. Des chiffres éloquents, mais à mettre en relief, car c'est ce que réalise Twitch en l'espace de quelques jours. Une donnée qui est à prendre en compte, car Twitch est aujourd'hui un acteur et un partenaire tout ce qu'il y a de solide pour certains organisateurs. La tendance pourrait-elle s'inverser ?
À travers ces accords nouveaux, la MLG tente son coup de poker : marketer la marque MLG avec un contenu Premium grâce à des acteurs reconnus de la scène à laquelle ils appartiennent. Car si le trafic n'est pas à remettre en question, c'est bien autour du volume des recherches sur internet que la Ligue américaine doit devenir visible, comme nous l'indique ce graphique. Et bien sûr Call of Duty a son rôle à jouer. Avec le streamer le plus populaire de la scène Call of Duty, la MLG s'affirme comme un concurrent potentiel à Twitch et cela, même si les chiffres plaident en la défaveur du site. La seule décision du joueur de quitter Twitch, montre à quel point les choses peuvent évoluer. Cette donnée doit être inscrite dans un modèle globalisant où tout nouveau partenariat signé avec un joueur pro, valorisera la marque MLG.
La MLG en passe de « sangs mêlés »
Cette activité opérante est intrinsèquement liée à la vitalité des scènes eSportives en question. La MLG l'a bien compris et investit dans les compétitions, démarchant les sponsors, concrétisant les accords pour gonfler les cashprices mis en jeu, ou tout simplement en investissant directement ses fonds propres pour créer les compétitions. L'événementiel, c'est la nouvelle étape, celle où le diffuseur est aussi acteur de ce qu'il montre à son public. À ce niveau, la MLG n'hésite pas à mettre la main à la poche, ce sont des centaines de milliers de dollars qui sont investis chaque année dans des tournois en ligne ou dans le dur , l'apport est structurant. Il est le moyen et la fin pour garantir à la compétition d'exister et ainsi valoriser ce qui est streamé. Et de plus en plus la MLG affiche ses velléités de vis-à-vis de Twitch. Sur le très sérieux site Gamespot, DiGiovani, le fondateur de la ligue, n'hésitait pas à prendre le taureau par les cornes en affirmant que « les joueurs feraient plus d'argent en streamant chez eux plutôt que chez Twitch ». Tentés ?
Si Nadeshot n'est pas à plaindre, il suffit d'observer les chiffres de ses comptes Twitch et YouTube hackés par un curieux, il est probable que la MLG soit en mesure pour le moment de garantir à ses casters Premium que les promesses seront tenues. Quand la MLG investit plus de 165 000 $ dans les cashprice des compétitions Call of Duty, Twitch ne débourse pas un centime sur cette même scène. Les calculs sont-ils faits à la hâte ? La MLG offre-t-elle la même pénétration du marché pour ses casters que Twitch ? Rien n'est moins sûr, mais le pari sur l'avenir est tenté. Si vous voulez mon avis, il ne reste plus qu'à Twitch de commencer à événementialiser ses activités au niveau de la scène Call of Duty, pour voir revenir tout le monde au bercail.